FOCUS – Pour tenter de juguler la hausse du contentieux administratif, tout en réglant certains litiges de manière plus « apaisée », le tribunal administratif de Grenoble va expérimenter dès avril 2018 la médiation préalable obligatoire pour toutes les affaires relevant du social et de la fonction publique. Ainsi, un juge ne pourra-t-il être saisi sans qu’une médiation n’ait pas été tentée auparavant.
Suite à des menaces, le préfet avait finalement fait ordonner l’expulsion du camp Valmy le 24 mai 2017. Le tribunal avait auparavant annulé la décision du maire de faire évacuer les personnes © Manuel Pavard
Il y a la partie visible de l’activité du tribunal administratif : les dossiers les plus médiatisés. L’affaire de la station d’épuration de la fromagerie L’Étoile du Vercors, dans laquelle le juge a conforté le maire de Saint-Just-de-Claix dans son refus de délivrer un permis de construire à Lactalis.
Ou l’affaire Dieudonné, qui s’est conclue par l’annulation de la décision du maire de Grenoble d’interdire le spectacle de l’humoriste controversé. L’annulation du plan local d’urbanisme d’Huez également ou encore l’obligation faite au Département de l’Isère de prendre en charge les mineurs étrangers isolés, décision confortée en appel par le Conseil d’État.
Le juge des référés a aussi, au cours de cette année 2017, rejeté la demande de libération de l’hippopotame Jumbo, comme il a rejeté le recours des opposants au projet de gazoduc Eridan. Il s’est prononcé sur l’opération de piétonnisation Cœurs de ville, cœurs de métropole pour annuler les recours successifs en référé* des opposants, comme il a rejeté la demande du maire de Grenoble de faire expulser le camp Valmy et fait annuler la tarification solidaire appliquée au stationnement résident à Grenoble.
Hausse de 120 % des procédures d’urgence appliquées au droit des étrangers
Mais dans tout ce contentieux – qu’il relève du champ social, économique, fiscal, environnemental ou électoral, de la fonction publique, de l’urbanisme, des marchés publics ou de la sécurité publique –, un champ émerge plus que les autres : celui du droit des étrangers. En 2017, il représentait 30 % des affaires nouvelles. Et sur les 2 349 dossiers traités, 1 319 obligations de quitter le territoire ont été prononcées. Dont 327 en urgence.
Traduction judiciaire de la politique migratoire du gouvernement, le nombre de procédures d’urgence a explosé : + 120 %. Et ce n’est pas fini… « On s’attend à une réforme du droit des étrangers avec une augmentation des procédures d’urgence », soulignait le président du tribunal administratif de Grenoble Denis Besle lors du bilan de l’activité de sa juridiction.
Ce ne sera pas la seule réforme. En vue également, une refonte du droit de l’urbanisme, l’objectif du gouvernement étant de lever les freins à la construction de logements, notamment dans les zones tendues, et éviter notamment les recours considérés comme abusifs. « La régularisation d’opérations d’urbanisme entachées d’irrégularités deviendra une obligation », a abondé le président du tribunal grenoblois.
Le tribunal administratif en chiffres
- 7 513 affaires jugées en 2017 (7 489 en 2016) et 7 315 enregistrées ( 7 526 en 2016)
- 7 096 affaires en stock, en attente de jugement en 2017 (7 294 en 2016) dont 352 de plus de deux ans
- Délai moyen de jugement : 11 mois et 10 jours (11 mois et 21 jours en 2016)
- Taux d’appel : 25 % (décision maintenue dans 80 % des cas, réformée dans 5 % des cas et annulée dans 15 %)
- 56 demandes d’exécution
Sur le ressort du tribunal de Grenoble, le contentieux, s’il a marqué le pas en 2017 (- 2,8 %), n’en finit pas d’augmenter depuis dix ans. En 2005, le nombre d’affaires jugées était sous la barre des 6 000. Douze ans plus tard, il dépasse les 7 500. Mais l’évolution la plus notable est dans les délais de traitement. On trouve la justice lente ? En 2005, le nombre d’affaires dites en stock – comprendre en attente de jugement – dépassait les 10 000. Aujourd’hui, elle s’approche des 7 000.
Les magistrats jugent ainsi plus d’affaires qu’il n’en rentre, éclusent progressivement le stock et réduisent les délais de jugement. Depuis 2014, le délai moyen est passé sous les un an. Il a même été amélioré de onze jours en 2017 pour s’établir à un peu plus de onze mois.
Télé-recours et médiation pour réduire encore les délais de jugement
Peut mieux faire ? À moyens constants, restrictions budgétaires obligent, on touche aux limites du système. D’où l’idée de développer d’autres champs. Jusque-là réservé aux avocats et administrations, le télé-recours sera ouvert à tout justiciable dans le courant de l’année 2018.
L’autre piste est de développer la médiation. Rendue possible par la loi de modernisation de la justice du 18 novembre 2016, cette approche, qui existe déjà en matière civile et commerciale, pourrait marquer un tournant dans l’évolution du contentieux administratif.
« Il s’agit de faire face au flux du contentieux mais aussi parce que le contentieux n’est pas toujours la solution idéale, explique Denis Besle. La médiation peut être une solution apaisée dans certains cas, sans gagnant ni perdant, avant d’éventuellement saisir le juge. »
Dès le mois d’avril, le tribunal administratif de Grenoble va donc expérimenter la médiation préalable obligatoire dans les contentieux sociaux (RSA, APL…) et dans la fonction publique. Le justiciable ne pourra alors passer par la case tribunal dès lors qu’il aura tenté la médiation.
Patricia Cerinsek