FOCUS – Le tribunal administratif vient de dresser le bilan de son activité sur 2018. Une activité très soutenue, marquée par une véritable explosion du contentieux des étrangers et, plus précisément, des obligations de quitter le territoire français. Si 2019 s’annonce tout aussi chargée, le tribunal administratif compte bien assurer la charge des affaires, avec le renfort d’un nouveau magistrat.
Pas d’audience solennelle pour le tribunal administratif (TA) de Grenoble, à l’inverse de ses homologues du tribunal de grande instance ou de la Cour d’appel. Mais ses magistrats ont, eux aussi, dressé le bilan de l’activité passée et envisagé les perspectives pour l’année 2019. Un exercice auquel s’est livré le président du TA Denis Besle, aux côtés du (tout nouveau) greffier en chef Cyril Vicente.
Denis Besle (à gauche) président du tribunal administratif, et Cyril Vicente, greffier en chef. © Florent Mathieu – Place Gre’net
Et en matière d’activité, le tribunal n’a pas chômé l’année dernière, note le président. Les 8 231 affaires enregistrées en 2018 représentent ainsi une hausse de 12,5 % par rapport à 2017. En parallèle, le nombre de « sorties », autrement dit d’affaires jugées, augmentent lui de 6,2 %. Elles sont au nombre de 7 971… mais ne couvrent donc pas les entrées.
Une explosion du contentieux des étrangers en 2018
D’où provient cette augmentation ? Du contentieux des étrangers en priorité. Et plus précisément des dossiers d’obligation de quitter le territoire français (OQTF), qui explosent avec une hausse de 163 %, alors que la loi impose qu’ils soient traités en 96 heures. « C’est la conséquence de l’activité des préfectures, qui prononcent de plus en plus de mesures d’éloignement pour les étrangers », indique Denis Besle.
De fait, tous les magistrats du TA sont mobilisés sur la question des étrangers. Composé de huit chambres qui couvrent les territoires de l’Isère, de la Drôme, de la Savoie et de la Haute-Savoie, le TA compte des spécialités selon les chambres. Mais qu’elles soient en charge de la fiscalité, de la santé publique, de l’environnement, des travaux publics ou du travail, toutes les chambres statuent également sur les contentieux des étrangers.
Parmi les autres affaires en hausse, les dossiers en lien avec les fermetures de débits de boisson ou encore les permis de conduire. Mais les entrées peuvent parfois être motivées par l’actualité nationale. Ainsi, explique Denis Besle, une forte augmentation des demandes d’expertise sur des immeubles menacés a été observée en fin d’année. Soit juste après l’effondrement de deux immeubles rue d’Aubagne à Marseille au mois de novembre.
Des affaires retentissantes en 2018 comme 2019
Enfin, l’année 2018 a été marquée par quelques affaires retentissantes. À commencer par l’annulation de la votation citoyenne mise en place par la Ville de Grenoble. Le président du TA invite toutefois à regarder cette annulation « dans le détail » : « Ce n’était pas une annulation complètement stérile : le tribunal annule mais fournit tout de même une sorte de mode d’emploi. Il appartient après à la commune de voir ce qu’elle veut en faire », commente-t-il.
Pour le maire de Grenoble Éric Piolle, l’annulation du dispositif de votation citoyenne représentait une « vision très étriquée de la démocratie » .© Séverine Cattiaux – Place Gre’net
Autre affaire très remarquée pour ses répercussions environnementales : celle de la fromagerie Étoile du Vercors, qui rejette depuis des années ses effluents dans l’Isère. En décembre 2018, le TA a annulé la mise en demeure du préfet, imposant à l’entreprise de se mettre en conformité. « Le tribunal l’a annulé en tant que le préfet avait donné un délai trop bref », explique Denis Besle. Le nouveau délai, fixé par le TA ? Neuf mois, au lieu des six exigés par la préfecture.
Quelles affaires en prévision pour 2019 ? « Devraient être jugés, d’ici la fin de l’été, les recours contre le projet Cœurs de ville, cœurs de métropole », annonce Denis Besle.
En mars 2017, le juge des référés avait rejeté la demande de suspension présentée par le groupe d’opposition Métropole d’avenir. C’est à présent « le fond » de l’affaire qui sera traité par le tribunal, alors que nombre de travaux ont d’ores et déjà commencé.
Autres prévisions ? « Nous commençons à enregistrer des recours contre la pollution de la Vallée de l’Arve », fait savoir le président du tribunal. Qui s’étonne, au passage, que les recours ne se présentent pas sous forme d’action collective. « C’est quelque chose de peu utilisé, alors que cela pourrait présenter un intérêt pour les justiciables, mais aussi pour les juridictions », regrette-t-il. À ce jour, au niveau national, les actions collectives « se comptent sur les doigts d’une main ».
Perspectives pour 2019
En matière de perspectives générales pour 2019, Denis Besle veut éviter les diagnostics trop hâtifs. « C’est difficile de savoir comment les choses vont évoluer : début 2018, nous nous attendions à un niveau d’activité stable, et il y a eu une explosion des contentieux… », se souvient-il. Prudent, le magistrat table sur un haut niveau d’activité, similaire à celui de l’an dernier. Et en appelle à un renfort de moyens pour faire face aux dossiers qui ne cessent d’affluer.
Le tribunal administratif de Grenoble devrait compter un nouveau magistrat, au mieux à compter de juillet 2019. © Joël Kermabon – Place Gre’net
Ceci d’autant plus que le ratio négatif entre entrées et sorties a aggravé le nombre d’affaires en attente de jugement depuis plus de deux ans. Celles-ci sont en effet passées de 351 à 529. « Ce n’est pas aussi préoccupant que cela. 529 affaires ne représentent que 7,2 % de notre stock total », tempère toutefois Denis Besle. Qui se fixe pour objectif de ne pas dépasser les 7,5 % d’affaires de plus de deux ans, et juge au demeurant la situation « tout à fait rattrapable en 2019 ».
À condition d’obtenir un magistrat supplémentaire, que l’État a promis au tribunal administratif de Grenoble pour 2019. Seul souci : l’embauche d’un magistrat ne se fait pas via Pôle Emploi. Soit le TA recrute un magistrat en mutation, soit il se tourne vers un jeune magistrat qui vient de finir sa formation. Dans les deux cas, le processus de validation de poste est long et ne permettra pas une prise de fonction avant début juillet, dans le meilleur des cas.
Un effort de pédagogie autour du recours à la médiation
C’est pourquoi Denis Besle appelle de ses vœux le recours à la médiation, déjà rendue obligatoire dans certains cas. « Un cadre juridique a été donné à la médiation. Il faut maintenant convaincre les acteurs de la justice et les justiciables d’utiliser ce mode de règlement des litiges », souligne-t-il. Par convention, la Métro, la Ville de Grenoble et le Département de l’Isère se sont pour leur part engagés à soutenir la procédure de médiation. Reste un « effort de pédagogie » à accomplir auprès du public.
Denis Besle (à gauche) président du tribunal administratif, et Cyril Vicente, greffier en chef. © Florent Mathieu – Place Gre’net
Pour le moment toutefois, le bilan de la médiation sur la juridiction administrative de Grenoble n’est pas flamboyant. Sur une centaine de médiations, une trentaine ont abouti à un règlement de l’affaire. « Les résultats sont mitigés mais tout succès est bon à prendre ! », relativise Denis Besle. Et de conclure : « Trente médiations sur 8 000 affaires c’est très faible, mais pour les trente personnes qui ont vu leur situation réglée, c’est toujours ça de pris ! »