FOCUS – Attendu depuis vingt ans, le futur plan de déplacements urbains fait une croix sur le tram et renvoie la création ou la prolongation de lignes au-delà de 2030. Le document, qui sera soumis à enquête publique en septembre, met la priorité sur les mobilités douces avec l’objectif de limiter la place de la voiture solo. Mais il table aussi beaucoup sur le ferroviaire, renvoyant la balle du financement dans le camp de l’État, la Région et la SNCF…
Le maire de Grenoble Eric Piolle, le président du SMTC Yann Mongaburu, et le président de la Métro Christophe Ferrari © Joël Kermabon – Place Gre’net
Grenoble va-t-elle enfin avoir son PDU ? Vingt ans que l’agglomération grenobloise, ville pionnière du tram, vit sans plan de déplacements urbains, le dernier en date remontant à… 1987. Et pour cause, les suivants ont tous été retoqués par la justice.
Le nouveau, arrêté en avril 2018 par le conseil syndical du syndicat mixte des transports en commun de l’agglomération grenobloise (SMTC) après deux ans de travail, vient d’être soumis pour avis aux élus métropolitains – le 6 juillet – puis aux élus grenoblois, trois jours plus tard. Cet automne, le grand public pourra donner son avis lors d’une enquête publique. L’ADTC, elle, a d’ores et déjà fait savoir tout le “bien” qu’elle pensait de ce nouveau PDU.
Et c’est peu dire qu’au sein des assemblées grenobloise et métropolitaine le PDU n’a pas remporté l’adhésion des élus. En fait, à peu près tout le monde a trouvé à redire sur ce document devant tracer et planifier les déplacements urbains sur le territoire à l’horizon 2030, et qui sera réévalué tous les ans*.
Ambitieux pour quelques-uns, le plan est jugé notoirement insuffisant par quasiment tous les autres. Beaucoup dénoncent un « PDU de services » où les investissements en matière d’infrastructures lourdes pêchent sacrément.
Le plan prévoit pourtant 2,2 milliards d’euros d’investissements pendant douze ans. En ligne de mire ? La réduction de 6 % du nombre de kilomètres parcourus en voiture individuelle. « Cela peut paraître peu mais c’est à mettre en regard avec la tendance à la hausse des déplacements, estimée à + 18 % sur la période », faisait remarquer le président du SMTC, l’écologiste Yann Mongaburu, également vice-président de la Métro en charge des déplacements.
De cinq à huit lignes de tram… après remaillage
Pour parvenir à ses fins, le PDU mise sur un tram-train pour desservir le grand Sud avec comme potentielle variante la prolongation du tram E vers Le Pont-de-Claix (145 millions d’euros). Il table aussi sur un bus à haut niveau de services d’ici 2023 en direction de Montbonnot, susceptible d’évoluer à terme vers un tram, sur le Métrocâble aussi (voir encadré).
En vue également, le renforcement des lignes de bus, la requalification de la rocade sud, davantage de parking-relais, et le renforcement du réseau Chronovélo. Le plan de déplacements urbains prévoit en outre de mailler les cinq lignes de tram existantes pour en faire huit d’ici 2023 (60 millions d’euros).
Objectif : aller directement de Saint-Égrève à Échirolles ou de Saint-Martin-d’Hères à Fontaine. Ou encore du sud de Grenoble au campus universitaire. Pas suffisant pour les élus d’opposition.
« Ce projet de PDU n’a inscrit les transports collectifs que timidement, en seconde moitié des orientations prioritaires, juste devant les usages partagés des véhicules à moteur, soulignait Jeanne Jordanov. Où est l’offre de tram ambitieuse ? » L’élue (groupe Indépendants de gauche, opposition métropolitaine) réclamait que deviennent prioritaires la prolongation d’une ligne vers Sassenage, la création d’une ligne Grenoble-Meylan comme d’une ligne Meylan-domaine universitaire-Saint-Martin-d’Hères-Echirolles-Pont-de-Claix.
Priorité à l’optimisation des infrastructures existantes
Mais, d’ici 2030, seuls le tram E sera prolongé jusqu’à Lesdiguières (voire au Pont-de-Claix) et la ligne A jusqu’au Pont-de-Claix. Des travaux dans les cartons depuis longtemps déjà. Rien de neuf donc.
« Marche, vélo, transports en commun, voiture partagée » relègue le tram en avant dernière position
« Le choix qui a été fait est celui d’optimiser et de mieux utiliser nos infrastructures, répondait Yann Mongaburu. Les transports collectifs, ce sont 450 millions d’euros d’investissements d’ici 2030. Mais nous n’avons pas voulu penser que transports collectifs. Il s’agit d’organiser la transition énergétique des véhicules, vers le bio GNV par exemple, l’auto-partage, le covoiturage ».
Le PDU a ainsi prévu la sortie du diesel, d’ici 2021 pour les bus et cars, 2025 pour les poids lourds et 2030 pour tous les véhicules. En se libérant du diesel, le SMTC espère à terme une économie de 12 millions d’euros par an. Il compte aussi réduire de 30 % les émissions de gaz à effet de serre, de 60 % celles de dioxyde de carbone.
Sur ses encarts publicitaires, le syndicat affiche la couleur (et l’ordre des priorités ?) : ce sera « marche, vélo, transports en commun et voiture partagée ». Pour la Ville de Grenoble, le PDU ne va d’ailleurs pas assez loin, Jacques Wiart – le conseiller municipal délégué aux déplacements – réclamant un renforcement du plan sur ses aspects piétons et espaces publics.
Quant à l’opposition municipale de gauche, socialiste et citoyenne, elle n’a pas été complètement convaincue non plus. Marie-José Salat, du groupe de rassemblement et de progrès a ainsi réclamé, dans l’enceinte municipale, un « vrai schéma directeur piétons-cyclistes » pour tenter d’aplanir les conflits d’usage et pour une meilleure accessibilité aux zones économiques.
Près de trois quarts des investissements prévus sur le ferroviaire mais sans financement garanti
Mais le gros du PDU, ce n’est ni le tram, ni le vélo, ni la marche à pied pas plus que le câble. Près de trois quarts des investissements (990 millions d’euros) relèvent du ferroviaire. Et donc pas seulement de la Métro et du SMTC, mais aussi de l’État, de la Région et de la SNCF.
« Le projet de RER métropolitain inscrit au contrat de plan État-Région 2015 – 2020 doit impérativement être accéléré, soulignait le président de la Métro, Christophe Ferrari. Il était quand même au point mort. Là, on sent un léger mouvement… »
Un projet qui impliquerait de créer une voie supplémentaire en gare de Grenoble, de développer la halte ferroviaire d’Échirolles, de déplacer la gare du Pont-de-Claix, de rouvrir celle de Domène et de créer une troisième voie à Brignoud.
Mais le ferroviaire, c’est aussi, dans le PDU, la préservation de la ligne Grenoble-Gap, placé au même niveau que le renforcement de la ligne Grenoble-Lyon. Avec la volonté affichée de, dixit Yann Mongaburu, « ne pas hiérarchiser ni prioriser »… Ce qui a eu le don de faire bondir nombre d’élus, parmi lesquels Jean-Damien Mermillod-Blondin, du groupe d’opposition Métropole d’avenir, pour qui « dans ce PDU, il est tout de même beaucoup question de train ».
Au risque d’en laisser sur le bord du chemin ? C’est ce que craint Michel Savin (Métropole d’avenir). « Sur certains territoires, il n’y a qu’une ligne de bus et aucun projet pertinent pour les dix ans qui viennent, alors qu’on leur demande de continuer à construire des logements. Pendant vingt ans, des territoires vont encore regarder l’aménagement se faire sur la métro. » Même son de cloche dans les rangs de… la majorité.
« Le RER, la ligne Grenoble-Gap, on soutient mais il faudra faire plus et mieux en amont des dessertes ferrées et notamment intra-urbaine, soulignait le communiste Jean-Paul Trovéro du groupe Communes, coopération et citoyenneté (majorité métropolitaine). Il faudra améliorer les interconnexions, la desserte des zones commerciales, désenclaver les quartiers. »
« Les déplacements sont un enjeu de cohésion sociale. Nous avons encore beaucoup de travail pour y arriver. » D’autant qu’il n’existe aucun chiffrage précis des actions à mettre en œuvre. « L’absence de budget fléché sur ces actions rend la mobilisation des crédits difficiles », faisait remarquer Laurent Thoviste (Pour une agglomération solidaire, écologique et citoyenne, majorité métropolitaine).
Le plan de déplacements urbains, un pari sur l’avenir ? À ce jour, seuls la Métro et le SMTC ont arrêté le montant de leur participation, respectivement de 270 et 350 millions d’euros. Sur les 2,2 milliards d’investissement global. Restent donc 1,5 milliard à trouver, entre le Département, la Région, l’État, la SNCF…
L’Isère absente de la future loi des mobilités
« Il y a encore beaucoup de travail pour arriver à une vision partagée et de nombreuses interrogations sur les engagements des partenaires, pointe le conseiller municipal et métropolitain d’opposition de droite républicaine Matthieu Chamussy.
« Outre la réserve du Département, il y a des divergences avec la Région et des différences d’appréciation sur le niveau de financement des uns et des autres. L’engagement de la Métro n’est pas assez conséquent […] Vous apportez 30 % du financement nécessaire [Métro + SMTC, ndlr], mais encore faut-il avoir une capacité de dialogue, de compromis. Ce n’est pas en procédant par diktat et oukases qu’on trouve le moyen de discuter avec le Département et la Région. »
Avec l’État aussi. L’Isère est un des grands absents de la future loi des mobilités dont l’examen, sans cesse repoussé, ne devrait pas intervenir avant 2019.
La Métro, elle, a d’ores et déjà pris les devants, se retranchant derrière tout un tas d’arguments – budget contraint, désengagement de l’État, carences règlementaires, incohérences du modèle de financement du transport ferroviaire en France – pour anticiper de potentielles désillusions.
« Faire évoluer la fiscalité est nécessaire, argumente l’ex-socialiste Christophe Ferrari. L’exonération totale de la TICPE [taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, ex-TIPP, ndlr], c’est autant de recettes potentielles qui pourraient bénéficier aux mobilités durables. Comme il est nécessaire de baisser le taux de TVA à 5,5 % pour le transport de voyageurs. »
Le président de la Métro plaide également pour qu’évolue la réglementation afin de pouvoir élargir les zones basses émissions comme la règlementation sur les voies à occupation multiple sur les autoroutes, « y compris par un usage dérogatoire de la bande d’arrêt d’urgence ».
« Il y a nécessité de faire avec ce que l’on a, poursuivait Christophe Ferrari. S’il n’y a pas un certain nombre de verrous qui bougent nationalement, alors les ambitions ne seront sans doute pas à la hauteur… »
Patricia Cerinsek
* La loi impose que les PDU soient réévalués tous les cinq ans.
Très (trop ?) cher Métrocâble…
À l’horizon 2023, le Métrocâble devrait relier Fontaine à Saint-Martin-le-Vinoux, moyennant 57 millions d’euros dont seuls 22 millions sont plus ou moins assurés d’être financés. Mais si le tracé, transversal, laisse nombre d’élus pantois, le coût d’un tel équipement au regard de ses capacités de transport (8 500 voyageurs à terme) a fait bondir Guy Tuscher (Ensemble à gauche, opposition municipale).
« Le câble, présenté comme le moyen le plus économique, est tout à fait discutable. S’il est quatre fois moins cher en investissement et en fonctionnement, il transporte au maximum aussi quatre à six fois moins de passagers. »
Pour ses détracteurs, le calcul est vite fait. Moyennant 60 millions d’euros pour 3,7 kilomètres et 5 000 à 8 000 voyageurs par jour, le câble coûtera 3 000 à 3 200 euros/kilomètre/voyageur. Le tram E, 300 millions d’euros pour 11 kilomètres et 28 500 voyageurs/jour coûte en comparaison 940 euros/kilomètre/voyageur. Une belle et chère vitrine…