FOCUS – Près de 120 caravanes, convoyant environ 80 familles de gens du voyage, se sont installées pendant près d’une semaine au parc Bachelard, après avoir investi durant trois jours le parc de la Poya, à Fontaine. Venus notamment du sud de la France, ces évangélistes effectuent leur migration estivale annuelle. Un rassemblement pacifique qui met en lumière l’absence actuelle d’aire de grand passage sur le territoire de la Métropole grenobloise.
Chaque année, le phénomène se reproduit. La période estivale donne le coup d’envoi des grands pèlerinages et migrations de gens du voyage, qu’ils soient catholiques ou évangélistes.
Des dizaines de caravanes sillonnent alors les routes hexagonales, effectuant des haltes de plusieurs jours aux quatre coins de la France, au gré des possibilités d’accueil.
Naturellement, l’Isère et l’agglomération grenobloise n’échappent pas à cette tradition. Quelque 80 familles de gens de voyage et 120 caravanes ont ainsi investi une partie du parc Bachelard, à Grenoble. En deux temps trois mouvements, un mini-village mobile et nomade s’est érigé sur les terrains en herbe jouxtant les allées du parc, en bordure de l’A480.
Le parc Bachelard, « la solution la plus simple »
Arrivés notamment d’Aix-en-Provence mais aussi du Loiret – où se tient un grand rassemblement annuel –, les membres de cette communauté sont issus pour la plupart d’une mission évangélique, l’association AGP (Action grand passage). Porte-parole officieux du groupe, le pasteur Tommy est attablé au milieu du terrain ce vendredi, à l’heure de l’apéritif, aux côtés de ses amis Gaston et Christophe et de leur famille. Ils relatent les pérégrinations les ayant menés au parc Bachelard, ces derniers jours.
Dimanche 8 juillet, la communauté s’était en effet installée initialement dans le parc de la Poya, à Fontaine. « Nous y sommes restés trois jours, jusqu’à mardi, mais le maire de Fontaine nous a demandé de partir à cause du feu d’artifice programmé le vendredi 13 juillet dans le parc », raconte Tommy, qui tient cependant à souligner les « très bons contacts noués avec le maire [Jean-Paul Trovero]. S’il n’y avait pas eu de feu d’artifice, on aurait pu y rester quinze jours, d’après la commune. »
Contraints de plier bagages mardi dernier, en fin d’après-midi, les gens du voyage se sont alors repliés sur le parc Bachelard, à une poignée de kilomètres. Alors que les abords d’Alpexpo ont été un temps évoqués lors des discussions avec les autorités, le parc Bachelard s’est imposé de lui-même. « C’est compliqué de déplacer 80 familles et c’était la solution la plus simple, précise Christophe, l’emplacement étant proche et disponible. »
« Les autorités n’ont pas respecté la loi »
Les gendarmes sont passés régulièrement et les représentants des gens du voyage étaient « en contact chaque jour avec le médiateur de la préfecture », indique le pasteur, qui n’omet pas de « remercier le préfet et le maire de Grenoble ».
Côté « relations avec le voisinage » – source de discorde récurrente dans d’autres contrées –, il n’y a eu aucun souci notable, se félicite Gaston : « Ça s’est très bien passé, les gens comprennent notre situation. »
Il faut dire que la semi-illégalité de l’occupation du parc Bachelard est loin d’être voulue par les gens du voyage, assurent ces derniers. « Si notre entrée ici a été tolérée, c’est parce qu’il manque une aire de stationnement de grand passage, explique le pasteur Tommy. Comme c’est le cas dans pas mal de départements et de communautés de communes, les autorités n’ont pas respecté la loi. »
La loi « Besson 2 » du 5 juillet 2000 fixe en effet aux collectivités des obligations d’accueil des gens du voyage sur leur territoire, précisées dans un Schéma départemental d’accueil des gens du voyage (SDAGV), élaboré par le préfet en lien avec le président du conseil départemental.
Outre les aires d’accueil permanentes, obligatoires pour toutes les communes de plus de 5 000 habitants, ce document prévoit pour chaque territoire l’implantation d’aires de grand passage (accueil temporaire), qui relèvent désormais de la compétence de l’Établissement public de coopération intercommunale (EPCI) et peuvent bénéficier de subventions étatiques.
La future aire, censée être opérationnelle pour avril 2019, pourra accueillir 200 caravanes
Pour la Métropole grenobloise, à la traîne sur le sujet comme de nombreuses intercommunalités, le projet de création d’une aire de grand passage devrait voir le jour prochainement sur le site du Pont-Barrage, situé sur les communes de Saint-Égrève et du Fontanil-Cornillon. D’une superficie totale de 4 hectares, la future aire aura vocation à accueillir jusqu’à 200 caravanes, sur une durée de huit à quinze jours.
Si la délibération actant le lancement des procédures de Déclaration d’utilité publique (DUP) a été votée depuis janvier 2016 déjà, celles-ci suivent actuellement leur cours. Prévu à l’origine pour l’été 2018, le projet a pris un peu de retard. Le nouveau SDAGV 2018 – 2024, évoqué en conseil métropolitain le 6 juillet dernier, se donne pour objectif de terminer la réalisation de l’aire de grand passage afin qu’elle soit opérationnelle pour avril 2019.
Prochaine étape de leur grande migration estivale : Annecy et la Haute-Savoie « où là, il existe plusieurs aires de grand passage, note Tommy. Nous sommes attendus en début de semaine [16 et 17 juillet, ndlr] à Rumilly. »
Plusieurs dizaines de caravanes d’un autre groupe ont pris le relais lundi
Un départ après la finale de la Coupe du monde, donc, « car oui, nous sommes français », plaisante Christophe, dont l’humour ne masque pas l’ironie sous-jacente. Las des confusions incessantes avec les Roms, certains brandissent ainsi fièrement leur nationalité française en étendard : « Nous sommes français », répètent deux d’entre eux.
Une posture qui n’est pas non plus exempte de contradictions car, comme le rappelle le pasteur Tommy : « Roms, Tsiganes, voyageurs… A l’origine, nous sommes tous issus du même peuple ! »
Ce lundi, le convoi de la mission AGP avait bel et bien délaissé le parc Bachelard pour reprendre la route. Pourtant, leur départ ne sautait pas immédiatement aux yeux, plusieurs dizaines de caravanes d’un autre groupe de gens du voyage ayant pris le relais ce même jour, pour s’installer au même endroit. Une situation qui risque fort de se répéter jusqu’à l’ouverture tant attendue de l’aire de grand passage…
Manuel Pavard