REPORTAGE – À Grenoble, le ministre de la Transition écologique et solidaire a vanté le modèle grenoblois. Mais la feuille de route tracée en Isère, comme dans treize autres zones particulièrement polluées en France, va-t-elle convaincre Bruxelles de la bonne volonté de l’État français de lutter contre la pollution de l’air ? Car si les collectivités ont fait un morceau de la route, la réglementation vient encore souvent se mettre en travers de leur chemin.
Il y a urgence. D’ici la fin du mois d’avril, la Commission européenne devrait se prononcer sur le sort de la France au regard de ses efforts pour combattre la pollution de l’air. Et décider ou non de déferrer l’Hexagone devant la cour de justice de l’Union européenne. À la clé, une amende d’une centaine de millions d’euros.
Comment convaincre Bruxelles mais aussi le Conseil d’État qui, en juillet dernier, a enjoint l’État de revoir ses plans de protection de l’air (PPA) ? Le gouvernement a tracé des feuilles de route. Quatorze exactement, correspondant aux quatorze zones en France dans le collimateur de l’Europe qui ne respectent pas les seuils réglementaires de pollution au dioxyde d’azote et aux particules fines PM 10*.
Les quatorze feuilles de route ont été transmises à Bruxelles. Verdict fin avril
C’est la dernière ligne droite. Les quatorze feuilles de routes, publiées, ont été transmises à Bruxelles le 31 mars. Il ne reste donc plus rien à faire, si ce n’est croiser les doigts ? À croire que non… Le ministre de de la Transition écologique et solidaire est, lui, parti en croisade, plus vraiment pour convaincre, mais plutôt pour faire bonne figure. Et décerner les bons points. À Grenoble ce 13 avril, il a rencontré les acteurs du projet Grenoble Alps Together, posé la première pierre de Biomax aussi. Grenoble, bon élève ?
Reportage Joël Kermabon
« Grenoble et l’Isère ont pris leur part de contribution et je voulais les féliciter », a souligné Nicolas Hulot devant un parterre d’élus locaux et nationaux dans les salons de la préfecture. Leur feuille de route est celle qui me semble le plus inspirer les autres territoires. Elle me semble complète. »
Cette feuille de route**, ses neuf fiches-actions et sa soixantaine de mesures, pas souvent nouvelles, n’a pourtant pas complètement convaincu les élus grenoblois qui pointaient lors du dernier conseil municipal un réel manque d’ambition.
L’opération de piétonnisation du centre-ville de Grenoble, à l’image de la fermeture des berges à la circulation à Paris, laisse sceptique quant à sa capacité à endiguer la pollution de l’air ; la gratuité des transports publics n’est ni abordée ni même envisagée ; les moyens prévus pour booster la prime air-bois restent à trouver et l’amélioration de l’offre de transports en commun jugée pas assez conséquente.
Un groupe de travail missionné par le Sénat pour évaluer la démarche du gouvernement
Pas convaincus ? Le ministre si. Méthode Coué ? Les élus ne sont pourtant pas les seuls à tiquer. Le Sénat a, le 11 avril, missionné un groupe de travail pour évaluer la démarche du gouvernement et voir si les mesures inscrites dans les feuilles de route régionales sont à la hauteur. C’est aussi ce que réclament, au niveau local, deux élus métropolitains qui demandent une évaluation de l’efficacité des mesures déjà mises en œuvre. Et des associations n’en finissent de tirer la sonnette d’alarme, réclamant que continuent de se développer les infrastructures de transport.
D’autant que la France n’a pas de quoi pavoiser. Certes, des territoires ont pris les choses en main. À Grenoble, la zone basses émissions, la première de France et qui a impulsé le dispositif de circulation différenciée au moyen des vignettes Crit’air, devrait ainsi s’étendre à une poignée puis une vingtaine de villes dans l’Hexagone. Dans la vallée de l’Arve, le fonds air-bois a aussi fait ses preuves et devrait être généralisé sur tout le territoire.
Mais, au niveau national, ça patine encore. La France est la championne des primes. Prime air-bois, prime à la conversion, prime vélo… sauf qu’on ne s’y retrouve plus. « Entre les aides des collectivités et les aides de l’État, on a des dispositifs franchement utiles et efficaces mais sous-utilisés parce que les gens ne le savent pas », a concédé le ministre. S’agit-il seulement de faire œuvre de pédagogie ?
Les initiatives se multiplient en région mais la réglementation ne suit pas
Le chemin semble encore long. La France vise l’interdiction à la vente des véhicules émetteurs de gaz à effet de serre… mais à l’horizon 2040, et à supposer que rien ne vienne se mettre en travers du chemin. Si les zones basses émissions émergent en France – avec retard sur de nombreux pays en Europe – la réglementation pour en élargir le périmètre reste contraignante. Les véhicules de livraison les plus polluants, s’ils sont interdits de circuler dans le centre-ville élargi de Grenoble, et dans huit autres communes en 2019, continuent de rouler sur l’A480…
Reste aussi à faire respecter ces zones basses émissions. Or, en matière de contrôle, rien n’est prêt. « Il faut des systèmes automatisés, a abondé Nicolas Hulot. Cela demande des investissements. J’ai bien reçu le message. » Même retard à l’allumage du côté du chauffage au bois. Alors que la Métropole, le Grésivaudan et le Pays voironnais poussent avec la prime air-bois au renouvellement des appareils défectueux, rien n’interdit de mettre à la vente des équipements tout aussi peu performants…
« Cette situation, c’est quarante ans d’aménagement du territoire, de politique des transports et du logement qui n’ont pas pris en compte la question de la pollution de l’air. Maintenant, on sait la relation de cause à effet. On doit prendre des mesures locales, restrictives, des mesures incitatives pour par exemple favoriser le covoiturage… Encore faut-il donner les accès à certaines voies pour les véhicules optimisés en termes de nombre de personnes à bord. »
Les voies réservées au covoiturage ? « Il faut qu’on y réfléchisse »
Des voies réservées au covoiturage, des voies à occupation multiple, c’est ce que réclament a minima la ville et la Métropole de Grenoble en amont et en aval de l’A480 dans sa traversée de Grenoble. « Ce sont des choses auxquelles il faut qu’on réfléchisse, a abondé Nicolas Hulot. Il faut que l’État fasse son travail ainsi que les industriels de l’automobile. » Bruxelles devra-t-elle et va-t-elle se contenter de quelques mesures et beaucoup de bonnes intentions alors que la première mise en garde de la Commission européenne remonte à 2009 ?
« Tout ne va pas se régler du jour au lendemain, reconnaissait le ministre. La volonté est là. Elle ne vaut pas efficacité mais c’est déjà un préalable. » Pas sûr que tous ces arguments plaident suffisamment en la faveur de la France pour que Bruxelles lève l’épée de Damoclès qui s’approche de la tête de Paris…
Patricia Cerinsek
* Grenoble, Lyon, vallée du Rhône, Marseille-Aix, Montpellier, Nice, Paris, Reims, Saint-Étienne, Strasbourg, Toulon, Toulouse, Vallée de l’Arve.
** Les contributeurs à la feuille de route : le département de l’Isère, la Métropole de Grenoble, le Pays voironnais, le Grésivaudan, la ville de Grenoble, le syndicat mixte des transports en commun de l’agglomération grenobloise, l’établissement public Scot, la société autoroutière Area.