FOCUS – Tandis que la Ville de Grenoble lance la première édition de la biennale Villes en transition, le quartier populaire de la Villeneuve a concocté, quasiment sur la même période, à savoir du mardi 7 au samedi 11 mars inclus, la Semaine de la transition, avec cinq jours de débats, ateliers et actions. Risque de doublonner avec la biennale officielle ? Loin s’en faut. Pour David-Gabriel Bodinier, l’un des organisateurs de l’événement, il s’agit de rappeler que la vraie transition est d’abord démocratique et doit impliquer les quartiers. Pour ce militant de la Villeneuve, il est clair qu’elle exclut toute solution parachutée – sans l’avis des citoyens – du type « smart city », « métropolisation » et « démolitions » de logements sociaux.
« La transition ne peut pas se faire sans nous » martèlent les très nombreux coorganisateurs et partenaires de la Semaine de la transition à la Villeneuve, dans un texte qui expose les raisons de cette manifestation.
Car de quoi s’agit-il pendant ces cinq jours bien remplis ? De montrer à voir comment la transition s’incarne sur un territoire et de réfléchir à comment elle peut encore aller plus loin…
« De Saillans à la Villeneuve : la démocratie au fondement de la transition » Autant dire que le thème de la soirée d’ouverture, en partenariat avec le Crieur de la Villeneuve, donne le la. Puis, durant cinq jours vont s’enchaîner workshops, ateliers, discussions, débats, séminaires, toujours sur un mode très participatif, tantôt autour de sujets pratiques, telle l’économie circulaire des objets quotidiens, tantôt polémiques comme le refus des démolitions de logements sociaux à la Villeneuve, ou encore prospectifs, à l’instar du séminaire du vendredi matin sur « les communs territoriaux » et « les conditions démocratiques de la transition métropolitaine ».
A noter que la Semaine s’articule avec Les deuxièmes rencontres de géopolitique critique sur le droit à la ville (sorte d’alternative au Festival de géopolitique autour du pouvoir des villes organisé par Grenoble École de management, partenaire de la Biennale).
Le jour de clôture de l’événement, le samedi 11 mars, les organisateurs invitent les participants à marcher vers la Biennale officielle (départ à 15 h 30 de la Villeneuve) jusqu’à la Belle électrique.
Pour participer au débat organisé par le Monde sur la fracture urbaine ? Point du tout. Pour débattre du fameux linky sur le parvis de l’équipement culturel. A quelques mètres de la Biennale, mais toujours en marge…
Pourquoi le quartier de la Villeneuve s’est-il mis en tête d’organiser une Semaine de la transition, en parallèle de la Biennale officielle ?
David-Gabriel Bodinier : Vis-à-vis de la biennale, on va dire « officielle », chacun se positionne comme il l’entend. On n’a pas une ligne où l’on dit : « C’est bien ou c’est mal ». On n’est pas du tout dans ce type de jugement moral ! […]. Après, c’est à chacun de s’en saisir […]
Nous, on n’imaginait pas sélectionner une action parmi un foisonnement d’initiatives à la Villeneuve pour l’inscrire au programme « officiel » […] La transition, c’est en outre une démarche qui a du sens par ses différentes entrées, qui nécessite plusieurs sortes d’actions… On ne pouvait donc pas, par exemple, mettre l’accent sur la transition urbaine et pas sur la transition démocratique, alors qu’on pense justement que c’est parce qu’il y a des transitions démocratiques qu’on peut réfléchir aux transitions urbaines […].
Et, à la fois, le plus important c’est que tout cela s’incarne sur le territoire, qu’on ne discute pas juste dans des salons : « Ce serait bien de faire comme ceci… ». Oui bien sûr que tout le monde est d’accord pour l’accès à une meilleure alimentation, que globalement on consomme moins d’énergie […]
Par contre, ces alternatives-là, il faut qu’elles puissent s’incarner sur le territoire, et transformer le territoire. Et c’est là toute la difficulté, en particulier dans les quartiers populaires.
Or l’enjeu est que les questions de transition ne viennent pas aggraver les difficultés. Grosso modo qu’il n’y ait pas, d’un côté, des personnes qui mangent bio, et puis que de l’autre, la majorité continue à aller à Lidl, parce que c’est moins cher […] Tout cela pour nous est extrêmement important depuis très longtemps. Les alternatives, oui, mais avant tout les alternatives avec les quartiers. C’est là où les gens sont le plus impactés par les inégalités. Et donc ça paraît évident que c’est avec les quartiers qu’il faut réfléchir aux alternatives, sinon on risque de les augmenter…
La Semaine de la transition n’est certes pas complètement une « contre Biennale ». Pour autant, la vision de la transition de la Villeneuve n’est pas vraiment celle dans laquelle s’embarquent les villes en France, ni Grenoble…
D‑GB : Oui il y a des différences. La question de « smart city », on s’y refuse… Ce modèle de la smart city est porté par un certain nombre d’entreprises de la Presqu’île scientifique.
Et clairement on pense que ce sont de fausses bonnes solutions. On sait très bien que ceux qui aujourd’hui apportent des “solutions” étaient les climato-sceptiques d’hier. Que ce sont toute une série de lobbyings internationaux qui ont freiné les démarches de transformation pour essayer de résoudre la question du climat, qui prétendent aujourd’hui avoir des solutions, et qui surtout cherchent à faire du profit…
Il y a aussi, la question de la « métropolisation » qui est à l’œuvre partout en France. On y est opposés, parce qu’il y a d’autres modèles qui existent, comme celui exploré par le réseau des territorialistes qui seront présents. Ils réfléchissent à une alternative à partir des travaux d’un Italien qui s’appelle Alberto Magnani, qui a travaillé sur le concept de « biorégion ».
En gros la « métropolisation », c’est le processus de domination des territoires à partir des villes-centres et des classes supérieures de ces villes, qui affirment : « Les enjeux ne se situent pas à l’échelle de la ville mais de la métropole, nous savons de quels enjeux il s’agit et nous allons proposer des solutions face à ces enjeux. » Et ils le font du coup de manière technocratique et non pas démocratique… C’est comme ça qu’on a, aujourd’hui, un programme local de l’habitat (PLH) et un plan local d’urbanisme intercommunal (PLUI) dont personne n’a jamais entendu parler.
Aussi mobilisé que l’est manifestement le quartier de la Villeneuve, peut-il réussir sa transition sans la force publique ?
D‑GB : On est très conscients que non. Et c’est d’ailleurs le thème de la soirée finale « Du droit à la Ville au nouveau municipalisme ». On sait qu’il y a une série d’enjeux qui ne peuvent pas juste venir de la mobilisation de mouvements sociaux. Donc oui, c’est tout-à-fait important qu’il y ait des nouvelles municipalités qui émergent, comme Barcelone ou Grenoble.
Après, quelles alliances opèrent-elles avec les mouvements sociaux ? A Grenoble, elles font défaut… Un certain nombre de revendications, comme la non démolition des logements sociaux, mais aussi la question du droit au logement, et la réquisition des bâtiments vides ne sont pas pour le moment des dossiers dont s’est emparée la Ville de Grenoble.
Séverine Cattiaux