TRIBUNE LIBRE – La réélection mouvementée de Christophe Ferrari à la présidence de la métropole grenobloise le 17 juillet 2020 a laissé un goût amer aux “rouges-verts”, qui l’ont accusé d’avoir pactisé avec la droite. Mais pour Pierre Merle, ce tohu-bohu provoqué par la réélection du président sortant n’est pas tant dû à un marchandage politique qu’à une guerre d’ego entre deux frères ennemis qui désiraient chacun « accéder au trône ». Face à cette crise institutionnelle, la solution pourrait peut-être venir d’une innovation politique forte dans la gouvernance de la Métro.
Habitant de la Métropole, Pierre Merle est diplômé de l’Institut d’études politiques (IEP) de Grenoble. Il a eu l’occasion de s’intéresser à la gouvernance de Grenoble-Alpes Métropole à travers son mémoire de fin d’études, L’ourson et le jeu de quilles.
Le 17 juillet dernier a donné lieu à l’une des passes d’armes politiques les plus âpres que Grenoble-Alpes Métropole n’avait jamais connues de son histoire. Alors que l’élection de son président se faisait jadis en réalité dans des réunions feutrées, pour la première fois le premier conseil communautaire du mandat a joué le rôle qui était le sien : un lieu de débat riche et public, sans dénouement déjà acté.
Une élection « ni absurde, ni honteuse »
Contrairement à ce que de nombreux observateurs ont pu dire, ce qui s’est déroulé durant les dix heures du conseil métropolitain n’était ni absurde, ni honteux pour la démocratie. Il s’est agi de négociations telles que tous les régimes à scrutins proportionnels peuvent en connaître : en Suisse, en Autriche, au Bénélux, en Espagne, en Allemagne, dans toute la Scandinavie, que ce soit au niveau national comme au niveau local, les exécutifs désignés sont le fruit de compromis de ‘’troisième tour’’ entre élus, et cela ne choque personne.
Le gouvernement fédéral autrichien est le fruit d’une alliance entre un parti de droite conservatrice et un parti écologiste, ce qui n’avait pas été anticipé pendant la campagne électorale, et là-bas, les citoyens ne se sont pas sentis trahis.
L’élection de Christophe Ferrari s’est faite dans la douleur… © Laure Gicquel – Placegrenet.fr
En France, nous ne sommes pas habitués à de telles incertitudes. Le modèle de la prime majoritaire, que ce soit au niveau municipal comme au niveau régional, n’exige aucune négociation après le second tour. « Le gagnant rafle tout » (la liste en tête gagne d’office une large majorité des sièges au conseil), même avec une majorité relative, et l’opposition n’a plus qu’à regarder les trains passer pendant tout le reste du mandat.
Au contraire, l’intercommunalité est une chance pour le débat démocratique. En rassemblant de fait des élus qui candidataient sur des communes et donc des listes différentes, la création d’un exécutif intercommunal induit un indispensable effort de dialogue, sans le confort d’un scrutin majoritaire qui garantit l’hégémonie.
La guerre des « leadeur » et l’attitude « machiste » des deux camps
Le débat (du moins public) qui a opposé Christophe Ferrari et Yann Mongaburu ne portait pas tant sur la nature des politiques publiques à mettre en œuvre durant les six prochaines années à la Métro. Il reposait plutôt sur la question du leadership mis en évidence par l’élection de son président.
Christophe Ferrari, président de la Métropole de Grenoble ©Laure Gicquel
Yann Mongaburu se présentait comme ‘’l’animateur’’ d’une majorité où la question de la provenance municipale de chacun ne devrait plus être un sujet, puisque c’est le virage de la transition environnementale et sociale qui devrait occuper les esprits. Christophe Ferrari a axé sa candidature sur le respect des différentes composantes de la majorité et des communes de la Métropole, condition sine qua non pour mobiliser toutes les forces du territoire.
Les deux approches peuvent s’entendre. Surtout, elles ne remettent en cause ni l’existence ni le périmètre d’une majorité au Conseil métropolitain. Le propos ici n’est justement pas d’appeler à une gouvernance de consensus. Il est sain que dans une instance comme la Métropole, une majorité unie sur des projets et valeurs claires voit le jour et porte des politiques publiques qui ne seraient pas que le plus petit dénominateur commun entre tous les élus du conseil métropolitain.
Néanmoins, les deux camps, rassemblant chacun deux groupes politiques de la Métro, ont fait preuve, en tentant coûte que coûte à gagner la présidence, d’une attitude qu’on pourrait qualifier politiquement de ‘’machiste’’. Il s’est agi pour eux de gagner cette place comme on gagnerait un trône. Cette logique de ‘’dominant’’ ne correspond ni à l’esprit ni aux ressorts du travail intercommunal.
Cette lutte est vaine, dans la mesure où la majorité du conseil métropolitain est claire, repose sur quatre groupes qui ont travaillé ensemble pendant six ans, et avaient visiblement jusqu’à maintenant la pleine envie de continuer à le faire. Force est de constater qu’aujourd’hui Christophe Ferrari n’est pas majoritaire dans sa majorité, et que Yann Mongaburu ne dispose pas d’un majorité à la Métropole pour l’élire président. La situation semble dans une impasse.
innover pour sortir par le haut, l’idée d’une gouvernance partagée
Il est curieux que personne n’ait jusqu’à maintenant imaginé que la présidence de la Métropole pouvait être partagée. En Suisse, la présidence de nombreux exécutifs politiques est tournante. Ainsi le maire de Genève comme le président du Conseil fédéral changent chaque année. Ce rôle est ainsi transmis entre les différentes composantes de la majorité, de façon à ce qu’aucun ne paraisse hégémonique.
Le Forum, siège de la Métro. © Grenoble Alpes Métropole
On pourrait très bien imaginer que durant les quelques soixante-dix mois que durera le prochain mandat, les quatre groupes de la majorité se répartissent équitablement la présidence dans le temps, soit environ dix-huit mois par présidence, tout en conservant le même bureau (les vice-présidents de la Métro).
Cette option est possible juridiquement tant qu’elle n’est pas formalisée dans les statuts de la Métropole, et quelques intercommunalités en France ont déjà adopté ce système. Christophe Ferrari comme Yann Mongaburu pourraient chacun exercer la présidence singulière qu’ils souhaitent, sur un temps suffisamment conséquent pour impulser des orientations particulières.
Ce choix pourrait surtout permettre à une ou deux femmes de devenir présidentes de la Métro, dans une époque où le leadership politique au féminin demeure un angle-mort de la démocratie locale. Il acterait ce qu’est dans les faits le travail politique en intercommunalité : la collégialité. Non le pouvoir d’un chef, l’aura d’un baron, mais l’action d’une assemblée où des élus d’horizons différents se sont mis d’accord sur un programme d’action. Grenoble-Alpes Métropole : première Métropole de France à gouvernance partagée, dans un cadre politique affirmé. Cela, en attendant une hypothétique élection du Conseil métropolitain au suffrage universel direct, laquelle, ne nous leurrons pas, ne rendrait pas sa gouvernance politique plus simple, bien au contraire, mais plus lisible pour les habitants de son territoire.
Avec une présidence tournante, l’agglomération grenobloise renouerait ainsi avec sa tradition d’innovation politique… et trouverait une sortie digne de son blocage institutionnel, en évitant d’inutiles blessures qui ne reposent sur aucun clivage idéologique réellement fondé.
Pierre Merle
Rappel : Les tribunes publiées sur Place Gre’net ont pour vocation de nourrir le débat et de contribuer à un échange constructif entre citoyens d’opinions diverses. Les propos tenus dans ce cadre ne reflètent en aucune mesure les opinions des journalistes ou de la rédaction et n’engagent que leur auteur.
Vous souhaitez nous soumettre une tribune ? Merci de prendre au préalable connaissance de la charte les régissant.