EN BREF – Jean-François Beynel, premier président de la Cour d’appel de Grenoble, s’est longuement exprimé ce mercredi 5 septembre sur les attaques antisémites menées contre Me Denis Dreyfus, l’avocat de la famille d’Adrien Perez, mortellement poignardé devant une discothèque à Meylan. Le magistrat en est convaincu : au-delà des propos d’une « gravité extrême », ce sont les fondements mêmes de notre démocratie qui sont bafoués.
Jean-François Beynel, président de la cour d’appel de Grenoble, et Jacques Dallest, procureur général, avaient convié la presse ce mercredi 5 août au palais de justice de Grenoble.
L’objet de cette invitation ? Présenter le programme de la journée portes ouvertes organisée par l’institution à l’occasion des prochaines Journées européennes du patrimoine (JEP).
À cette occasion, les deux magistrats ont tenu à évoquer une question d’actualité. En l’occurrence, les violentes charges antisémites dont l’avocat de la famille d’Adrien Perez, Denis Dreyfus, a été victime de la part d’un site raciste. Des attaques qui ont aussitôt suscité nombre de réactions, autant qu’elles ont déclenché la colère et l’indignation générale. Unanimement soutenu, l’ancien bâtonnier a porté plainte contre les auteurs des brûlots antisémites.
« On ne peut pas accepter ce genre de torchon innommable »
« Le parquet de Grenoble a tout de suite ouvert une information judiciaire contre X et saisi un juge d’instruction pour provocation à la haine raciale », déclare Jacques Dallest. De quoi permettre – avec des moyens d’investigation dès lors élargis – d’identifier le serveur hébergeant le site ainsi que le rédacteur des attaques, espère le procureur général, très déterminé. « On ne peut pas accepter ce genre de torchon innommable, antisémite qui s’adresse à des gens avec si peu de cervelle », tonne-t-il.
« Je ne devrais pas intervenir puisqu’un juge d’instruction grenoblois a été saisi, complète Jean-François Beynel, mais j’ai décidé quand même de vous en parler […] Je voudrais alerter sur quelque chose qui me paraît d’une gravité extrême : ce sont des choses que je n’ai pas vues écrites depuis même pas 1940 mais 1933 dans Je suis partout. Ça donne profondément envie de vomir, c’est dégueulasse ! », se scandalise le magistrat. Jean-François Beynel semble manquer de mots pour qualifier les écrits incriminés. « C’est misogyne, diffamatoire à l’égard de l’humanité et du sentiment humain », appuie-t-il encore.
« On attaque nos principes fondamentaux »
Pourquoi cette intervention ? « Modestement, si je suis devenu magistrat – comme, vous, vous êtes devenus journalistes –, c’est parce que nous croyons en l’État de droit. Nous croyons que dans un pays c’est la règle de droit, c’est le respect de l’autre, c’est la démocratie », expose le président de la cour d’appel.
Et celui-ci de citer Angela Merkel. « Si j’ai voulu faire de la politique c’est pour ne plus jamais voir ce qui s’est passé hier », aurait déclaré la chancelière fédérale. « Eh bien moi, je dis que si je suis devenu magistrat un jour, c’est parce que je continuais à croire en un pays dans lequel ceci n’est pas possible », explique Jean-François Beynel.
Même chose pour les avocats comme Me Dreyfus, poursuit-il. « Ils croient à la liberté de parole, à l’indépendance de l’esprit, à l’intelligence, qui est plus forte que la bêtise pour régler les litiges, et au respect de l’autre. » Selon le président, « on attaque là, non pas simplement quelqu’un à qui on prête une religion, on attaque nos principes fondamentaux », s’indigne-t-il en tapant sur la table.
« Denis Dreyfus est attaqué parce qu’il est avocat et qu’il défend la liberté »
« C’est ce pour quoi je me lève le matin, ce pourquoi j’ai fait des études, ce pourquoi je suis avec vous ici ! », martèle le magistrat emporté par la conviction. « Je suis profondément solidaire du bâtonnier Dreyfus en tant que magistrat représentant d’une institution judiciaire bafouée ».
Le président de la cour d’appel n’en démord pas. « Si Denis Dreyfus est attaqué, c’est parce qu’il est avocat, parce qu’il défend la liberté. Il n’a rien dit d’extraordinaire, il n’a fait que son job d’avocat », poursuit-il.
Et de prévenir. « Si ce genre de choses continue sans qu’il n’y ait d’indignation profonde, on ne trouvera plus un jour d’avocats pour nous défendre », augure Jean-François Beynel.
« Ce qu’on attaque, là, c’est la liberté qu’a Me Dreyfus de nous défendre, d’assurer aux citoyens de ce pays dans une instance démocratique judiciaire indépendante le droit d’avoir un avocat libre. Je trouve ça absolument scandaleux ! », pourfend le magistrat.
Ce dernier l’assure, « il se trouve qu’il y a un aspect antisémite, mais c’est vous, c’est nous qui sommes attaqués, c’est tous ceux qui contribuent dans ce pays à s’exprimer librement », conclut le premier président de la cour d’appel.
Joël Kermabon