ENTRETIEN – Le livre de Michel Destot, Ma passion pour Grenoble, sort en librairie ce jeudi 16 avril 2015. L’occasion d’un entretien avec l’ancien maire pour mieux comprendre ce qui l’a poussé à écrire cet ouvrage, ses fiertés et ses regrets, son lien passé avec Hubert Dubedout, ou encore, ses relations actuelles avec Geneviève Fioraso et Jérôme Safar. L’occasion également de l’interroger sur des sujets tels que la pollution ou l’émergence de bidonvilles à Grenoble.
Avec Ma passion pour Grenoble, un ouvrage de 230 pages aux éditions de l’aube, préfacé par Michel Rocard, Michel Destot a voulu revenir sur ses 19 années en tant que maire. Outre ses actions politiques menées à Grenoble, le livre retrace ses expériences personnelles et ses courses en montagne.
Après avoir évoqué son parcours d’ingénieur au CEA et la création de l’entreprise Corys, il revient sur sa première élection en 1995, sur cette foule venue l’accueillir sur les marches de l’hôtel de ville, sur ses projets urbains et son attention pour les quartiers. Mais aussi ses fiertés, sa lutte contre les inégalités et sa politique tournée vers la petite enfance, l’insertion des jeunes et l’accompagnement des seniors.
Michel Destot témoigne aussi de sa relation particulière avec les Grenoblois, qui l’interpellent – écrit-il – encore régulièrement dans la rue. Il s’attarde également sur les liens qu’il a noués avec des personnalités politiques de la région et de grands ténors socialistes : Dominique Strauss-Kahn, Martine Aubry et François Hollande. Son ouvrage n’échappe pas non plus à la description des relations internationales qu’il a pu établir au cours de ses nombreuses visites dans des pays comme le Burkina Faso, la Lituanie, la Chine… Plus inattendu, il présente sa vision d’évènements historiques tels que la chute de l’URSS.
Michel Destot n’oublie pas pour autant sa famille, ses aventures humaines en montagne et remercie, tout au long de l’ouvrage, les personnes avec qui il a travaillé ou qu’il a rencontrées au cours de ses trois mandats sur Grenoble.
Pourquoi ce livre ? Pourquoi maintenant ?
Il y a plusieurs raisons. La première c’est que je tenais absolument, après mon expérience grenobloise, à m’exprimer sur le fait urbain. C’est-à-dire sur la place des villes dans l’architecture territoriale française, mais aussi comme levier dans le redressement économique et social du pays et comme référence au plan international.
Évidemment, je suis aussi beaucoup interpellé par les Grenoblois, qui me disent : « Monsieur le maire, vous nous avez abandonnés… ». Non, pas du tout ! C’est pourquoi je voulais absolument revenir sur ces années. Non pas par nostalgie, mais pour expliquer le sens de mon engagement pendant 19 ans. Expliquer la dynamique dans laquelle je m’étais engagé avec mes équipes pour des actions à venir, notamment avec la mise en place de la métropole.
Est-ce un livre plutôt personnel ou politique ?
Il est les deux. C’est évident qu’il tourne autour de mon expérience grenobloise. Celle-ci est locale mais aussi en liaison avec le national et l’international. J’ai basé tout cela sur des valeurs, des convictions : la volonté de réduire les inégalités et l’ouverture au monde, aux autres qui nous enrichissent.
Par ailleurs, mon expérience s’est basée sur une culture de projet intégrant la transversalité. Aucune politique n’est en effet purement sectorielle. La politique de la ville, par exemple, est évidemment liée à l’habitat mais pas simplement dans le quartier où l’on va faire de la rénovation urbaine. Elle concerne aussi les autres quartiers de l’agglomération parce qu’il y a des problèmes de peuplement, de relogements.
De même, dans le domaine de la recherche, si l’innovation est désarticulée de l’industrie, de l’exportation, il manque, là aussi, quelque chose dans la chaîne de la compétitivité. Pour moi, le local s’enrichit de l’international et du national. Et inversement, toute l’expérience acquise à Grenoble peut éclairer les politiques aux niveaux national et international.
Vous citez souvent Hubert Dubedout. Le considérez-vous comme un modèle ?
Nous n’étions pas de la même génération mais nous étions très proches, y compris sur le plan familial. Ma propre fille passait une partie de ses vacances avec sa petite-fille. Nous avons fait beaucoup de montagne ensemble. Et nous avions, au fond, des parcours un peu atypique en matière politique. Je suis issu, comme lui, du milieu de la recherche : le CEA.
Nous étions des ingénieurs, pas dans la veine politique classique. C’est quelque chose de très fort, qui joue à la fois sur l’individu et sur ses qualités humaines, d’ouverture. Je me souviens des dernières discussions sur la situation de Grenoble, cette ville atypique, multiculturelle. Il était vraiment très attentif à tout cela. C’était quelque chose qu’il portait en lui.
Vous citez également Michel Rocard, qui a rédigé la préface de votre ouvrage. Le considérez-vous comme un mentor politique ?
Oui, il m’a beaucoup inspiré, indiscutablement, bien que nous ne soyons pas tout à fait de la même génération. Il a eu des expériences nationales et internationales et une vision globale des choses, pas seulement sectorielle. C’est quelqu’un de très éclectique au bon sens du terme sur le plan politique. Il s’intéresse à tout.
Il n’est pas Grenoblois, contrairement à la plupart de mes amis, mais du point de vue de la compréhension de la culture grenobloise et de ce que j’ai voulu faire, il me semble qu’il était le plus proche. Il m’a beaucoup inspiré politiquement : c’est un défenseur de la social-démocratie contre le capitalisme, le stalinisme, le fascisme… La social-démocratie telle qu’il a pu l’incarner est quelque chose de parfaitement respectueux et toujours d’actualité.
Quelles sont les réalisations dont vous êtes le plus fier, suite à ces 19 années de mandats ?
Indiscutablement la politique de la ville : tout ce que l’on a pu réaliser en matière de rénovation urbaine. Je m’y suis attelé d’entrée de jeu parce qu’il me semblait important de ne pas délaisser certains quartiers, de ne pas avoir une ville à deux vitesses.
Autre sujet de fierté indiscutable : le rayonnement à l’international, à travers, notamment, la cité scolaire internationale, la maison de la culture, l’auditorium ou la Presqu’île aujourd’hui.
Votre ouvrage comporte un chapitre “ouverture à l’international”. Que signifie pour vous cette ouverture et que vous inspire l’émergence de bidonvilles dans l’agglomération ?
Je suis pour l’ouverture internationale, bien entendu, parce que c’est une de nos responsabilités et une chance. Une chance parce que les gens qui viennent de l’extérieur nous enrichissent. Grenoble ne serait pas Grenoble s’il n’y avait pas eu l’immigration italienne, maghrébine… ou anglo-saxonne, dans le domaine de la recherche.
Sans compter l’implantation de grandes entreprises. HP, Caterpillar, Xerox et bien d’autres, nous ont beaucoup apporté en matière de développement économique. Il faut être capable d’accueillir des personnes venant d’horizons différents. Il faut aussi que leurs enfants puissent suivre un cursus scolaire dans leur langue maternelle. C’est évidemment un enrichissement, et pour eux et pour nous.
Nous devons donc être capables d’accueillir toutes les populations qui viennent. Mais il faut le faire dans des conditions qui soient respectables. Ce qu’on voit aujourd’hui dans un certain nombre de squats, ou terrains d’atterrissages si j’ose dire, est choquant. D’abord pour les gens qui y vivent dans la précarité. Ces conditions sont souvent source d’exploitation, y compris d’eux-mêmes, avec les trafics que l’on dénonce bien souvent. Et aussi indigne pour les riverains qui doivent vivre à proximité de cet environnement.
Ce n’est pas acceptable et il faut trouver les solutions. On constate aujourd’hui une accélération de cette situation qui n’est pas bonne. Il faut à la fois maintenir cette capacité d’ouverture et d’accueil et maîtriser les choses dans des conditions acceptables, tant pour les populations qui viennent que pour celles qui les accueillent.
Vous consacrez tout un chapitre à votre passion, la montagne, assimilée à une bouffée d’air dans votre vie. Pourtant, vous ne parlez pas de la pollution, sujet sensible à Grenoble. Pourquoi ?
Parce qu’on a progressé sur les trois grandes causes de pollution que sont l’industrie, les transports et le chauffage. Sur le plan industriel – le plus polluant –, la pollution a tendance à diminuer au profit de la soft industrie. L’alternative à la voiture en solo a été un axe majeur pendant ces 19 ans. Nous avons mis l’accent sur le développement des transports publics, moins polluants.
Sans compter la maîtrise de l’énergie, grâce à GEG et à la Compagnie de chauffage pour le réseau de chaleur. Nous avons pu avoir quelque chose de plus collectif et donc éviter ce qui est le plus polluant. Logement après logement, on a pu mettre en place des systèmes de maîtrise de l’énergie moins consommateurs, moins polluants et moins émetteurs de gaz à effet de serre.
Vous évoquez, dans votre ouvrage, Abderrahmane Djellal qui a récemment dû rembourser un trop-perçu de notes de frais. Avez-vous été déçu par cette nouvelle ?
Je pense que l’honnêteté intellectuelle était de ne pas changer de position concernant Abderrahmane Djellal. J’ai dit ce que je pensais de lui et sa conduite pendant ces 19 ans. Je n’ai pas porté de jugement sur la situation connue ensuite.
Vous citez régulièrement Geneviève Fioraso. Envisagez-vous de porter des dossiers en commun avec elle à l’assemblée nationale ?
Oui, bien sûr ! Pourquoi voulez-vous que l’on ne porte pas de dossiers ensemble ? Elle est dans la commission de la défense et moi dans celle des affaires étrangères. Je porte des dossiers sur le projet de loi de la non prolifération nucléaire, sur le Lyon-Turin et je me suis aussi beaucoup engagé en matière hospitalière.
Elle ne sera pas forcément sur les mêmes sujets que moi. Mais d’une manière générale, il n’est pas mauvais que les députés d’une même ville ou d’un même département puissent couvrir un terrain plus important du point de vue de l’engagement politique.
Vous vous dites “inquiet” de la baisse des subventions culturelles, comme celle des musiciens du Louvre Grenoble. Êtes-vous inquiet pour l’avenir de la culture à Grenoble ?
Oui, parce que ce sont des signes qui ne sont pas en rapport avec les raisons qui sont données. Quand on me dit que l’on coupe des subventions ou que l’on diminue d’un facteur extrêmement important les investissements parce qu’il y a baisse des dotations de l’État, on n’est pas dans le même ordre de grandeur. Le budget de la ville c’est 300 millions d’euros, les baisses de subventions 3 ou 4 millions.
Quand on supprime ou que l’on diminue par deux des investissements, la raison n’est plus uniquement la baisse de dotations de l’État.
La situation de l’État demande un effort de solidarité nationale sur lequel on peut discuter. Je pense que l’on aurait mieux fait d’avoir une sorte de régulation de type bonus-malus, avec une modulation des dotations de l’État en fonction des capacités à investir : si l’on investit, pas de baisses de dotations ; si l’on n’investit pas, des baisses de dotations.
A Grenoble, ce n’est pas simplement l’orchestre de Grenoble qui est en cause. Un certain nombre d’habitants viennent me voir en me disant : « On ne sait pas à quel saint se vouer », « On ne sait pas ce que l’on aura effectivement comme subvention réelle ». Il y a une vraie hésitation à s’engager et, ça, c’est un problème.
L’écosystème grenoblois est-il, selon vous, en danger ?
Il faut faire attention à ne pas donner de mauvais signes. Certains affirment que les entreprises ne doivent pas être accompagnées, que ce n’est pas le rôle du secteur public. Je ne suis pas d’accord. Il faut les accompagner, tout en ayant des contreparties en matière d’emplois, de développement économique et de retombées fiscales.
Ce travail doit être mené dans tous les domaines, pas simplement dans celui de la haute technologie. Une boîte comme A.Raymond, qui a le vent en poupe et a beaucoup innové, a aujourd’hui du mal à être accompagnée, ne serait-ce que par rapport à l’évolution de son positionnement urbain, sur le cours Berriat à Grenoble.
Avez-vous des regrets par rapport à vos actions en tant que maire ?
On a toujours des regrets, bien entendu. J’émets d’ailleurs dans le bouquin des regrets par rapport au fait que l’on n’ait pas eu une politique de peuplement. Le foncier est rare. Nous avons beaucoup construit à Grenoble, mais c’était insuffisant. Il aurait fallu avoir d’avantage le concours du reste de l’agglomération, de l’aire urbaine. En l’absence d’une meilleure répartition de la population, ce problème devient quasiment insurmontable.
On continue de concentrer dans les quartiers des familles qui peuvent avoir plus de difficultés que d’autres. Quand vous avez 40 % de jeunes chômeurs dans certains quartiers, cela pose évidemment un problème, on le sait. Le vrai problème est l’espace, même en dehors de la communauté d’agglomération qui s’est constituée. Car c’est là qu’il y a le plus grand sentiment de déclassement et où des votes extrêmes – Front national – se sont fortement exprimés. Il n’y a pourtant pas beaucoup d’immigrés là-bas…
Certaines personnes ont quitté la ville-centre ou la première couronne de Grenoble parce qu’elles trouvaient la vie trop chère. Elles se retrouvent à l’écart de tous les grands équipements et, à un moment, prisonnières parce que ce qu’elles gagnent en logement moins cher, elles le dépensent en déplacements. Et on voit très nettement une structuration de cette deuxième ou troisième couronne qui va dans le mauvais sens. D’où la nécessité d’aller très vite en matière de métropole. Une métropole élargie à l’aire urbaine.
Des regrets par rapport aux dernières élections municipales ? D’avoir peut-être passé le flambeau un peu tard, comme le suggère Jérôme Safar ?
Je ne sais pas pourquoi il suggère ça ! J’ai fait exactement comme dans toutes les villes françaises qui ont changé [de candidat, le maire sortant ne se représentant pas à l’élection, ndlr] : Nantes, Rennes… Ils s’y sont pris un peu plus tôt à Paris parce qu’il y a une règle particulière : il faut présenter des maires d’arrondissement.
Je m’étais engagé à ne pas me représenter et à ne pas cumuler les mandats, ni dans le temps, ni dans les fonctions. Je m’y étais pris de telle façon que Jérôme Safar soit en responsabilité extrêmement forte en tant que premier adjoint. Il était chargé des finances, de la gestion déléguée, de la sécurité, de la prévention, de la politique de la ville… Je lui laissais souvent présider le conseil municipal. On l’a fait dans le calendrier qui a été prévu par ma propre formation politique. Personne n’y a trouvé à redire. Tout le monde a trouvé cette façon digne pour passer le relais.
La raison de ce qui est arrivé est très claire. Elle est à rechercher au niveau national, comme partout ailleurs. Dans les villes de la même strate – Strasbourg, Lille, Dijon – il y a eu moins 12 % par rapport au premier tour. Nous, à Grenoble moins 17 %. Les gens qui ne voulaient pas voter pour les socialistes ont voté pour la droite ou l’extrême droite. À Grenoble, compte tenu de la présence d’Alain Carignon et de l’état de la droite, ils ont voté pour Piolle.
Vous dîtes dans votre livre “La vie politique trouvera inévitablement son terme”, “J’aimerais pouvoir mieux promouvoir notre diplomatie économique”, que vous voulez encore aider les jeunes… Comment voyez-vous l’avenir désormais ?
Il y a beaucoup de pistes. Bien malin celui qui peut décrire à l’avance son avenir. J’ai toujours essayé de concilier ma curiosité, mes activités et, de plus en plus, mon jardin secret : ma famille, la culture, la montagne. J’aimerais en faire plus avant qu’il ne soit trop tard. Un jour, je n’aurai plus les capacités physiques ou intellectuelles pour tout ça.
Et je veux aussi faire un petit peu profiter mon pays de ce que j’ai pu acquérir ici, sur Grenoble, tant que je suis encore en forme. Je suis encore député pendant deux ans, à moins de me virer… Je vais essayer de bien faire mon travail durant les deux ans qui viennent. Je ne suis pas éternel mais je crois qu’en politique il ne faut jamais dire jamais.
Propos recueillis par Ludovic Chataing
Séances de dédicaces :
Deux séances de dédicaces sont d’ores et déjà prévues pour le livre de Michel Destot :
- le samedi 18 avril à 17 heures, à la librairie Arthaud.
– le samedi 25 avril à 16 heures, à la Fnac du centre-ville.