BLOG JURIDIQUE – La démission de Mme Geneviève Fioraso, pour raisons de santé, est désormais officielle. Quelles sont les conséquences juridiques d’une telle décision ? Analyse de Romain Rambaud, professeur de droit public à la faculté de droit de Grenoble.
Les rumeurs couraient depuis quelque temps déjà. La presse s’en était fait l’écho : comme l’indique Place Gre’net, Geneviève Fioraso a démissionné du gouvernement, ainsi qu’en témoigne le décret du 5 mars 2015 relatif à la composition du gouvernement.
Fondé sur l’article 8 de la Constitution, en vertu duquel “Sur la proposition du Premier ministre, [le Président de la République] nomme les autres membres du gouvernement et met fin à leurs fonctions”, ce décret précise qu”“il est mis fin, à sa demande, aux fonctions de Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d’État chargée de l’enseignement supérieur et de la recherche”.
C’est Madame Najat Vallaud-Belkacem qui prend ses fonctions, solution logique dans l’attente d’un remaniement prévu (paraît-il) après les élections départementales. Quelles sont les conséquences juridiques d’une telle démission ?
Retour à l’Assemblée nationale
En vertu de l’article 23 de la Constitution, “Les fonctions de membre du gouvernement sont incompatibles avec l’exercice de tout mandat parlementaire”. A la différence d’une inéligibilité, une incompatibilité n’empêche pas se présenter à une élection, mais à choisir entre les deux postes une fois l’incompatibilité constatée.
Mme Fioraso, élue députée de la 1ère circonscription de l’Isère et réélue en juin 2012, n’avait ainsi pas siégé à l’Assemblée nationale puisqu’elle avait été nommée, dès le mois de mai 2012, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, avant d’accepter de devenir secrétaire d’État lors du dernier remaniement. Dans une telle hypothèse, c’est le suppléant, élu en même temps que le député, qui exerce les fonctions de député en application de l’article 25 de la Constitution.
Avant la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008, le suppléant assurait alors le mandat de député jusqu’au bout, et le ministre ne pouvait pas revenir siéger à l’Assemblée nationale. En pratique, cela conduisait souvent le suppléant à démissionner pour qu’une législative partielle soit organisée, afin que l’ancien ministre puisse se présenter et éventuellement, gagner. Une situation risquée, à laquelle la réforme du 23 juillet 2008 a entendu mettre fin : désormais, l’article 25 de la Constitution autorise le retour des anciens ministres à l’Assemblée nationale.
Plus précisément, l’article LO. 176 du Code électoral dispose que « Les députés qui acceptent des fonctions gouvernementales sont remplacés, jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois suivant la cessation de ces fonctions, par les personnes élues en même temps qu’eux à cet effet ». Mme Fioraso sera donc remplacée pour un mois encore par son suppléant, et récupérera ensuite son siège de députée.
Une telle solution est évidemment très favorable à la classe politique. Elle a cependant été justifiée dans une décision très récente du Conseil constitutionnel, la décision 2014 – 4909 SEN, Yonne, du 23 janvier 2015. Le Conseil a considéré qu’il existe un « intérêt qui s’attache à ce que les députés puissent être nommés membres du gouvernement » et un intérêt qui s’attache à ce que l’incompatibilité prévue par l’article 23, et le remplacement qu’elle rend nécessaire, “ne produisent pas des effets manifestement excessifs après la cessation de leurs fonctions gouvernementales”.
Le risque politique de l’élection partielle en cas de démission
Cependant, Mme Fioraso a annoncé qu’elle quittait ses fonctions pour raisons de santé, son équipe indiquant, selon Place Gre’net, qu’elle serait “gravement malade”. Aura-t-elle alors les forces de reprendre son siège de députée ?
Cette question, qui ne relève bien sûr que d’un choix personnel, pourrait cependant poser des problèmes politiques. D’après l’article LO. 176 du Code électoral, “Les députés dont le siège devient vacant pour cause de décès, d’acceptation des fonctions de membre du Conseil constitutionnel ou de prolongation au-delà du délai de six mois d’une mission temporaire confiée par le gouvernement sont remplacés jusqu’au renouvellement de l’Assemblée nationale par les personnes élues en même temps qu’eux à cet effet”. C’est-à-dire que le remplacement des députés par leurs suppléants ne devient définitif qu’en cas de décès, de départ pour le Conseil constitutionnel ou de prolongation d’une mission temporaire confiée par le gouvernement au délai de six mois. Cette dernière hypothèse avait failli se produire pour M. Moscovici avant son départ pour Bruxelles, mais sa mission s’étant achevée avant le délai de six mois, il avait fallu organiser l’élection partielle du Doubs.
Dans les autres cas, l’article LO. 178 du Code électoral prévoit : “en cas d’annulation des opérations électorales d’une circonscription, dans les cas de vacance autres que ceux qui sont mentionnés à l’article LO 176 ou lorsque les dispositions de cet article ne peuvent plus être appliquées, il est procédé à des élections partielles dans un délai de trois mois”.
Ainsi, si un ministre de retour à l’Assemblée ne reprend pas son siège au bout d’un mois, il est considéré démissionnaire et une législative partielle doit être organisée. Lors de la réforme de 2008, il avait été prévu dans la loi organique la disposition suivante : “si le parlementaire qui a accepté des fonctions gouvernementales renonce à reprendre l’exercice de son mandat avant l’expiration d’un délai d’un mois suivant la cessation de ces fonctions, son remplacement devient définitif”. Ce qui aurait pu jouer ici. Cependant, cette disposition a été déclarée contraire à la Constitution dans une décision du Conseil constitutionnel 2008 – 572 DC du 08 janvier 2009, au motif que l’article 25 de la Constitution (nouveau) ne prévoit qu’un remplacement temporaire, et non un remplacement définitif.
En somme, si Mme Fioraso démissionne dans un mois, ou plus tard, une législative partielle devra être organisée, à moins que sa démission n’ait lieu un an avant la fin du mandat de l’Assemblée, puis qu’aucune élection partielle ne puisse avoir lieu dans l’année précédant “dans les douze mois qui précèdent l’expiration des pouvoirs de l’Assemblée nationale” (article LO. 178).
Ainsi, si d’aventure Mme Fioraso devait être conduite à démissionner une deuxième fois dans les mois à venir, une élection partielle devrait être organisée, ce qui n’arrangerait pas le pouvoir socialiste, malgré le dernier succès dans le Doubs. Grenoble se trouverait alors, une nouvelle fois, au centre de l’attention nationale… et des combinaisons politiques, alors qu’une partie du personnel politique de la ville se veut déjà, y compris dans le cadre des élections départementales prochaines, le laboratoire d’une possible nouvelle gauche.
Romain Rambaud
Professeur de droit public à l’université Grenoble-Alpes, Faculté de droit
http://droitelectoral.blog.lemonde.fr