Le Conseil d'Etat enjoint le ministère de l'Ecologie de prendre un arrêté suspendant la chasse du grand tétras, espèce menacée ayant totalement disparu des Alpes. © Skolan124 / Wikimedia Commons

Chasse d’es­pèces fra­giles ou en déclin : le grand débat entre chas­seurs et défen­seurs de la biodiversité

Chasse d’es­pèces fra­giles ou en déclin : le grand débat entre chas­seurs et défen­seurs de la biodiversité

FOCUS – La France détient un record d’Europe dont elle peut dif­fi­ci­le­ment s’e­nor­gueillir : celui du nombre d’es­pèces qu’il est pos­sible d’y chas­ser. Un état de fait qui passe mal auprès des asso­cia­tions de pro­tec­tion de la nature et plus géné­ra­le­ment des défen­seurs de la bio­di­ver­sité. En face, les chas­seurs et leurs sou­tiens, notam­ment poli­tiques, entendent bien ne rien lâcher sur le terrain.

« Dans nos mon­tagnes, la chasse d’es­pèces comme le lago­pède et la per­drix blanche se pour­suit. Si on conti­nue, en 2050, il n’y en aura plus », se désole Marie-Paule de Thiersant, pré­si­dente de la Ligue de pro­tec­tion des oiseaux (LPO) Auvergne-Rhône-Alpes. Avant de se déso­ler qu′« on chasse aussi la mar­motte dans cer­taines com­munes. »

À ce sujet, l’Association jus­tice pour les ani­maux de Savoie (AJAS) a lancé, fin août 2022, une péti­tion pour exi­ger l’in­ter­dic­tion de la chasse à la mar­motte, qui a repris le 11 sep­tembre 2022 avec l’ou­ver­ture de la chasse. Alors que sa popu­la­tion est en déclin, la mar­motte conti­nue en effet d’être chas­sée dans cer­tains dépar­te­ments, « comme en Savoie où plus de 400 ani­maux sont tués » chaque saison.

Chasse d'espèces fragiles ou en déclin : ce fossé entre pro et anti. Famille de marmottes dans le Queyras. © André Weill

Les asso­cia­tions s’in­surgent contre la chasse à la mar­motte, encore auto­ri­sée dans plu­sieurs dépar­te­ments et qui reprend le 11 sep­tembre 2022 avec l’ou­ver­ture de la chasse. © André Weill

Par ailleurs, un col­lec­tif de dix-huit ONG a éga­le­ment appelé, dans une tri­bune parue le 10 sep­tembre 2022 dans Le Monde, à inter­dire la chasse de ce ron­geur pro­tégé par la Convention de Berne. Un traité inter­na­tio­nal que la France a pour­tant rati­fié en 1990 et qui est « censé assu­rer la conser­va­tion de la faune sau­vage », rap­pellent les signataires.

« Il fau­drait arrê­ter la chasse d’es­pèces menacées »

Il fau­drait donc sur­tout, implore la pré­si­dente de la LPO AuRA, « arrê­ter la chasse d’es­pèces mena­cées figu­rant sur la liste rouge de l’UICN (Union inter­na­tio­nale pour la conser­va­tion de la nature) ». Mais sur le ter­rain, la situa­tion ne pousse guère à l’optimisme.

Chasse d'espèces fragiles ou en déclin : ce fossé entre pro et anti. Un circaète Jean-le-Blanc, parmi la liste d'espèces protégées en France depuis 1976, a été retrouvé blessé en Isère, victime d'un tir, le 22 août 2022. © Sylvain Chapuis

Un cir­caète Jean-le-Blanc, parmi la liste d’es­pèces pro­té­gées en France depuis 1976, a été retrouvé blessé en Isère, vic­time d’un tir, le 22 août 2022. © Sylvain Chapuis

Ce 22 août 2022, le Centre de soins pour la faune sau­vage Le Tichodrome, situé au Gua (Isère), a ainsi récu­péré un cir­caète Jean-le-Blanc blessé par des plombs de chasse. Une espèce pour­tant pro­té­gée depuis 1976, comme tous les rapaces. « C’est le hui­tième oiseau pro­tégé vic­time de tir reçu par Le Tichodrome en 2022″, s’a­larme la direc­trice de l’as­so­cia­tion Mireille Lattier… Soit « autant que durant toute l’an­née 2021″, alors que la sai­son de chasse n’a même pas encore débuté.

Déjà 100 000 signa­tures pour inter­dire en Isère la véne­rie sous terre du blaireau

Les asso­cia­tions de pro­tec­tion de la nature ont néan­moins obtenu une « petite vic­toire » récem­ment en Isère. Dans son nou­vel arrêté rela­tif à la chasse pour la cam­pagne 2022 – 2023, signé le 20 juin 2022, le pré­fet n’a en effet pas auto­risé la période com­plé­men­taire de véne­rie sous terre du blai­reau, pré­vue ini­tia­le­ment du 1er juillet au 14 sep­tembre 2022 et du 15 au 29 juin 2023.

© Andy Ballard - Pixabay

Pour la sai­son de chasse 2022 – 2023, le pré­fet de l’Isère a décidé de res­treindre la période auto­ri­sée de véne­rie sous terre du blai­reau, une pra­tique décriée pour sa cruauté. © Andy Ballard – Pixabay

Une pra­tique décriée pour sa cruauté et consis­tant à tra­quer l’a­ni­mal dans son ter­rier, avant de l’at­tra­per avec une pince métal­lique, puis de l’a­che­ver à l’arme blanche. Satisfaite de la déci­sion pré­fec­to­rale, FNE Isère espère main­te­nant obte­nir l’in­ter­dic­tion totale de la véne­rie sous terre du blai­reau, éga­le­ment deman­dée par le séna­teur éco­lo­giste de l’Isère Guillaume Gontard ainsi que par les dépu­tés insoumis.

Ce dimanche 11 sep­tembre, une péti­tion récla­mant « l’in­ter­dic­tion du déter­rage des blai­reaux », dépo­sée fin mars sur le site du Sénat, a d’ailleurs dépassé le seuil sym­bo­lique des 100 000 signa­tures. Conséquence : celle-ci sera exa­mi­née par le Sénat.

La Conférence des pré­si­dents – qui se réunira le 21 sep­tembre – pourra par exemple déci­der la créa­tion d’une mis­sion de contrôle, l’ins­crip­tion à l’ordre du jour d’un texte légis­la­tif, un débat en séance publique à pro­pos d’es­pèces chassés…

Le grand tétras a aujourd’­hui tota­le­ment dis­paru des Alpes

Autre lueur d’es­poir pour les asso­cia­tions, le pro­jet d’ar­rêté sus­pen­dant la chasse du grand tétras en France pour une durée de cinq ans. C’est le Conseil d’État qui, par une déci­sion du 1er juin 2022, a enjoint le minis­tère de l’Écologie de prendre cet arrêté, esti­mant que « la chasse du grand tétras n’est pas com­pa­tible avec le main­tien de l’espèce », aujourd’­hui « en mau­vais état de conser­va­tion ».

« Autrefois appelé Grand coq de bruyère, cet oiseau emblé­ma­tique des forêts de coni­fères en mon­tagne a aujourd’hui tota­le­ment dis­paru des Alpes, est très for­te­ment menacé dans le Jura et les Vosges et a perdu 80 % de ses effec­tifs depuis 1960 dans les Pyrénées, où sub­sistent à peine envi­ron 2 000 coqs », s’in­quiète en effet la LPO. Laquelle sou­tient ce pro­jet de mora­toire, réclamé de longue date par de nom­breuses asso­cia­tions de pro­tec­tion de la nature.

Le Conseil d'Etat enjoint le ministère de l'Ecologie de prendre un arrêté suspendant la chasse du grand tétras, espèce menacée ayant totalement disparu des Alpes. © Skolan124 / Wikimedia Commons

Le Conseil d’État enjoint le minis­tère de l’Écologie de prendre un arrêté sus­pen­dant la chasse du grand tétras, espèce mena­cée ayant tota­le­ment dis­paru des Alpes. © Skolan124 – Wikimedia Commons

Mais la mesure, sou­mise à consul­ta­tion publique jus­qu’au 10 août 2022, devra sur­mon­ter les réti­cences des fédé­ra­tions de chasse qui « appellent leurs adhé­rents à s’op­po­ser à l’a­dop­tion du mora­toire », tance la LPO.

Un pro­jet qui a en outre sus­cité, le 20 juillet 2022, un vote défa­vo­rable du Conseil natio­nal de la chasse et de la faune sau­vage (CNCFS)… Ce qui, pour l’as­so­cia­tion, reflète « le dés­équi­libre dans la com­po­si­tion de cette ins­tance par­tiale où les chas­seurs sont sur­re­pré­sen­tés » (aux côtés d’ac­teurs scien­ti­fiques et associatifs).

La jus­tice sus­pend la chasse au cerf sur les Hauts pla­teaux du Vercors

Autre dos­sier chaud, le tri­bu­nal admi­nis­tra­tif de Grenoble a donné rai­son, jeudi 8 sep­tembre 2022, à l’Association pour la pro­tec­tion des ani­maux sau­vages (Aspas) et à la Frapna Drôme, qui s’op­po­saient à la réou­ver­ture de la chasse au cerf dans la réserve natu­relle des Hauts pla­teaux du Vercors.

Le Département de l’Isère, pro­prié­taire d’une par­celle de 4 000 hec­tares depuis 1990, avait en effet été auto­risé par la FDCI à pra­ti­quer la chasse au cerf élaphe – via une asso­cia­tion de chasse – afin de régu­ler la population.

Mais pour les asso­cia­tions, cette régu­la­tion ne s’ap­puyait sur aucune étude scien­ti­fique. Le juge des réfé­rés a donc sus­pendu « l’exé­cu­tion de la déci­sion du 21 juin 2022, par laquelle la Fédération dépar­te­men­tale des chas­seurs de l’Isère a fixé l’attribution d’un plan de chasse annuel, pour la cam­pagne 2022/2023 sur le ter­ri­toire “CP La grande cabane – Le jas neuf”, sur les com­munes de Chichilianne et de Gresse-en-Vercors ». Le juge­ment sur le fond inter­vien­dra quant à lui dans les pro­chains mois.

Manuel Pavard

Auteur

8 réflexions sur « Chasse d’es­pèces fra­giles ou en déclin : le grand débat entre chas­seurs et défen­seurs de la biodiversité »

  1. Il est insup­por­table de voir des gens qui en majo­rité n’ont passé aucun exa­men pour l’u­ti­li­sa­tion d’une arme à feu, tirer sur des espèces en déclin ou même protégée.

    sep article
  2. Il ne res­tera plus rien dans la nature, il serait grand temps que ces séna­teurs arrêtent de sou­te­nir les chas­seurs à tous massacrer

    sep article
  3. La chasse n’est en aucun cas res­pon­sable de la dimi­nu­tion du nombre d’oi­seaux. Penchez vous sur les remon­tée méca­nique des skieurs
    Le déran­ge­ment per­ma­nent d’une sur­po­pu­la­tion de ran­don­neurs été comme hivers etc…
    Et qui va s’oc­cu­per des comp­tage le l’a­mé­na­ge­ment des places de champs ???????plus les chas­seurs qui pré­lè­ve­ment de façon spo­ra­dique quelques oiseaux .
    Peut être les asso­cia­tions anti chasse à grand­coup de de sub­ven­tion de l’état.

    sep article
  4. Si les chas­seurs ne s’oc­cupent pas de ces ani­maux ceux-ci dis­pa­raî­tront à coup sûr le lynx étant le pre­mier pré­da­teur du coq de bruyère le loup du cha­mois du mou­flon du cerf seuls les chas­seurs défendent la bio­di­ver­sité ils sont sur le terrain

    sep article
    • MB

      19/09/2022
      15:04

      Le lynx et le loup font aussi par­tie de la biodiversité.

      sep article
  5. Le 22 aout aucune chasse au plomb n’est auto­ri­sée en Isère, il y a peu de chances que ce soit un chas­seur qui ai blessé ce circaète.
    Le blai­reau créé d’énormes dégâts aux cultures. De moeurs noc­turnes, il ne peut être chassé, fina­le­ment, ce sont sur­tout les agri­cul­teurs qui vont payer la note mais eux aussi ont l’habitude.
    Les cer­vi­dés posent de tres gros pro­blèmes aux fores­tiers par­tout en france, ils militent pour une aug­men­ta­tion impor­tante des plans de chasse. La aussi, lais­sons les fores­tiers payer la note, on n’a pas non plus besoin de ces gens la, la nature sait tres bien s’occuper seule de ses pro­blèmes comme a la teste de buch ou les incen­dies se nour­rissent du défaut d’entretien, posi­tion défen­due poli­ti­que­ment par cer­tains groupes
    Sur les espèces, savez vous seule­ment qui effec­tue les comp­tages, qui entre­tient et défend les espaces indis­pen­sables a la repro­duc­tion : encore une fois ces imbé­ciles de chas­seur. Il est vrai que c’est beau­coup de tra­vail, mais ça c’est une valeur peu par­ta­gée au regard de cer­taines decla­ra­tions recentes.
    S’il vous plait, ne faites pas d’affirmations a l’emporte pièce, inté­res­sez vous…si vous le souhaitez

    sep article
    • CD

      19/09/2022
      18:02

      Favoriser la bio­di­ver­sité ne se pra­tique pas dans un fauteuil.
      Qui d’autre que les chas­seurs pour appor­ter eau et nour­ri­ture ? Et celà ne pro­fite pas qu’au gibier mais éga­le­ment aux oiseaux chas­sables ou pas, aux insectes.…
      Est ce qu’il vaut mieux un désert où les chas­seurs ne tuent rien ou pré­le­ver un cer­tain nombre d’a­ni­maux en assu­rant le main­tien des populations ?

      sep article

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