TRIBUNE LIBRE – Le Dr Nicolas Albin, responsable de l’Institut de cancérologie Daniel Hollard au groupe hospitalier mutualiste de Grenoble, s’inquiète après l’assignation du GHM au tribunal judiciaire suite à sa reprise par Doctegestio. A son sens, depuis l’annonce de la vente de l’établissement par Adrea fin 2018, le GHM traverse une tourmente peu propice à la nécessaire sérénité qu’impose la prise en charge des patients. D’où la nécessité de retrouver un dialogue apaisé.
Dans l’agitation locale, entretenue par les politiques (mairie et Métro) et les syndicats, le projet médical d’établissement n’est jamais évoqué, au profit d’un seul calcul politique, bien éloigné de l’intérêt du patient. Il convient donc de le remettre au centre de la discussion et se demander dans chacune de nos actions ce qui est bon pour nos patients.
De mon avis, l’assignation au tribunal judiciaire du GHM de Grenoble par les syndicats (FO, Unsa, CGT), l’union des usagers, l’union de quartiers, la Ville et la Métro n’apaise en rien la situation et nous éloigne des projets d’investissements et de développements indispensables à la survie de l’établissement.
Au début de l’annonce de la vente du GHM en fin d’année 2018, une sidération s’est emparée des soignants, l’arrivée et le réveil suscités par l’union de quartier Berriat, au milieu de 2019 nous a permis de prendre en main notre destin. De toutes ces discussions sur l’avenir du GHM ont émergé des valeurs qui ont fait consensus au sein de l’établissement, portées par la majorité des soignants : maintien du statut Espic (établissement privé d’intérêt collectif), maintien des missions de service public, maintien de l’entièreté du GHM (pas de segmentation de l’établissement), maintien des emplois et poursuite du projet médico-soignant.
« À titre personnel, j’ai toujours soutenu le projet de Scic »
La problématique du double statut des praticiens de l’établissement privés et salariés était clairement une difficulté, néanmoins le souhait de chacun de pérenniser son outil de travail et la qualité des soins a permis d’avancer. Une fois les valeurs définies restaient à déterminer le véhicule qui serait le plus approprié pour porter ces dernières.
Plusieurs projets ont émergé dont la Scic1• Coopérative 1 personne = 1 voix en assemblée générale.
« La valeur nominale de la part sociale est fixée par les statuts. Le capital constitué par le total de ces parts est variable, ce qui permet la libre entrée et sortie de sociétaires. Mise en réserve des excédents à chaque clôture des comptes. Soumise à une procédure de révision quinquennale pour analyser l’évolution du projet coopératif sur la base des rapports de gestion. »
• D’intérêt collectif
« L’intérêt par lequel tous les associés et l’environnement peuvent se retrouver autour d’un objet commun en organisant une dynamique multi parties-prenantes (le caractère d’utilité sociale). Ancrée sur un territoire géographique, ou au sein d’une communauté professionnelle ou encore dédiée à un public spécifique, la forme Scic peut recouvrir tout type d’activité et permet d’associer toute personne physique ou morale de droit privé ou de droit public autour du projet commun. »
Source (Société coopérative d’intérêt collectif) qui associe des personnes physiques ou morales autour d’un projet commun alliant efficacité économique, développement local et utilité sociale. À titre personnel, j’ai toujours soutenu le projet de Scic qui portait au mieux mes valeurs et surtout permettait une représentation et une valorisation de chaque salarié qui pouvait participer aux processus décisionnels. Ce, avec une finalité unique : le bien commun et non pas un intéressement individuel réservé aux actionnaires majoritaires d’une société de droit privé.
Les autres projets étaient plus classiques : Vivalto (un groupe lucratif), Doctegestio (un groupe d’emblée très critiqué identifié de la santé solidaire), Agduc (une association de dialyse). Le CHU de Grenoble s’est présenté comme partenaire et a apporté son soutien à tous les repreneurs (hormis Doctegestio) quels qu’en soit le profil, l’important étant d’être présent dans le processus.
Le 28 février 2020, la décision tombe, Adrea ne retient pas le projet Scic porté par les salariés et la majorité des acteurs locaux et sélectionne Vivalto, l’Agduc et Doctegestio pour la deuxième phase. Puis en juin 2020, Adrea sélectionne in fine le groupe Doctegestio qui deviendra Avec.
Retrait d’Adrea : « un simple calcul économique privilégiant la rentabilité financière »
On reproche l’absence de valeurs mutualistes du groupe Doctegestio mais que penser des valeurs “mutualistes” d’Adrea qui se retire du GHM considérant que la branche santé n’est pas suffisamment lucrative ? il s’agit bien ici d’un simple calcul économique privilégiant la rentabilité financière et non le bien-être physique des adhérents.
La SCI (société civile immobilière) était en partie détenue par Adrea et a été cédée à Icade et non à Doctegestio. Ce processus de vente est actuellement bloqué par le droit de préemption exercé par la Métro, ce qui empêche toute possibilité de projet d’investissement nécessaire à la prise en charge des patients : agrandissement des urgences, modernisation du parc de radiothérapie et d’imagerie médicale…
Une fois la décision d’Adrea de confier le GHM de Grenoble au groupe Avec, restaient deux alternatives :
– soit partir en guerre et tout faire pour bloquer le groupe,
- soit accepter la décision et faire repartir au plus vite cet établissement hospitalier vers sa mission première : les soins et le projet médico-soignant.
À titre personnel, j’ai choisi la deuxième alternative et dans chaque action entreprise je me pose la même question : est- ce bon pour les patients, la qualité de vie au travail des soignants ? C’est ici que je suis en désaccord avec l’assignation au tribunal judiciaire du GHM, la préemption des murs par la Métro, l’exclusion d’un groupement d’achat (source d’économie) à effet immédiat et enfin l’agressivité et la stigmatisation dont le président du groupe Avec est victime dans un acharnement hors du commun. Ce mépris clairement revendiqué envers nos repreneurs n’aide en rien la prise en charge des patients, les soignants ayant besoin d’un climat serein, de perspectives et de projets.
« Le bilan de neuf mois de gestion du nouveau GHM n’est certainement pas binaire »
Le bilan de neuf mois de gestion du nouveau GHM ne peut être simplifié et systématiquement à charge. Il n’est certainement pas binaire « tout bon » ou « tout mauvais », il est fait de nuances qu’il convient d’analyser et de décrire.
Dans les points positifs, il convient de reconnaître :
– les contrats des salariés, les missions de service public, le statut Espic et le périmètre du GHM dans son entièreté qui ont été clairement maintenus ;
– un bilan financier à l’équilibre, favorisé par les avances de trésorerie de l’État mais qui reflète aussi une activité exemplaire du GHM pendant la crise Covid ;
– par l’intermédiaire d’une nouvelle disposition législative, une nouvelle perspective à la problématique des dépassements d’honoraires des praticiens libéraux qui, par définition, ne sont pas pris en charge par l’assurance maladie et ne seront plus imputés directement au GHM ;
– la modernisation des échanges et des communications entre soignants par une [numérisation] qui reste le domaine d’expertise de notre repreneur ;
– des situations de privilèges ou de rentes aux dépens du collectif lié à des statuts particuliers qui ont été appréhendées.
Bien entendu, tout ceci se fait parfois dans la difficulté et des maladresses peuvent être signifiées, le GHM étant un établissement hospitalier conséquent. Une phase d’apprentissage et de reconnaissance mutuelle est ainsi forcément nécessaire. La stratégie du groupe fondée sur une politique d’achat virulente ne laisse pas suffisamment la place à d’autres alternatives d’efficience budgétaire comme la recherche clinique et l’innovation thérapeutique.
L’investissement et la présence très forte du président du groupe devrait progressivement laisser la place à une nouvelle direction pour permettre de donner plus de perspectives et de recul à la gestion du GHM. Mais ces problèmes ne justifient en rien la brutalité des échanges et le niveau d’hostilité.
« Les soignants ne pourront pas rester mobilisés dans une ambiance si délétère »
L’assignation en référé implique une analyse en urgence et technique sur la légalité de la vente et, plus tard, une analyse sur le fond. Mon inquiétude réside dans le fait que le GHM ne peut se permettre d’être bloqué dans ses projets de modernisation et immobilier sur une longue période. Nous sommes en souffrance depuis deux ans. Il est illusoire de croire que les soignants pourront rester mobilisés dans une ambiance si délétère et dans ce climat.
Nos dirigeants politiques locaux accusateurs portent une lourde responsabilité : en refusant de rencontrer le président du groupe, en méconnaissant le projet médico-soignant, soucieux qu’ils sont de la défense d’une idéologie, ils vont à l’encontre d’une prise en charge optimisée, absolument nécessaire dans l’offre de soins locale.
Malgré les divergences, les acteurs impliqués doivent pouvoir se parler et éviter de placer la santé sur le terrain juridique ; les défis médicaux sont majeurs, les soignants sont épuisés, les effectifs médicaux ne sont plus en capacité d’assurer les soins. Nous devons avoir conscience que la situation sanitaire est gravissime et qu’ajouter une assignation est proprement insupportable.
J’ai la naïveté de penser que la raison l’emportera et qu’un projet commun pourra naître au plus vite. Nous avons le devoir de nous entendre, de nous parler, nous le devons à nos patients.
Dr Nicolas Albin, cancérologue
Responsable de l’Institut de cancérologie Daniel Hollard – GHM de Grenoble
Rappel : Les tribunes publiées sur Place Gre’net ont pour vocation de nourrir le débat et de contribuer à un échange constructif entre citoyens d’opinions diverses. Les propos tenus dans ce cadre ne reflètent en aucune mesure les opinions des journalistes ou de la rédaction et n’engagent que leur auteur.
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1 • Coopérative 1 personne = 1 voix en assemblée générale.
« La valeur nominale de la part sociale est fixée par les statuts. Le capital constitué par le total de ces parts est variable, ce qui permet la libre entrée et sortie de sociétaires. Mise en réserve des excédents à chaque clôture des comptes. Soumise à une procédure de révision quinquennale pour analyser l’évolution du projet coopératif sur la base des rapports de gestion. »
• D’intérêt collectif
« L’intérêt par lequel tous les associés et l’environnement peuvent se retrouver autour d’un objet commun en organisant une dynamique multi parties-prenantes (le caractère d’utilité sociale). Ancrée sur un territoire géographique, ou au sein d’une communauté professionnelle ou encore dédiée à un public spécifique, la forme Scic peut recouvrir tout type d’activité et permet d’associer toute personne physique ou morale de droit privé ou de droit public autour du projet commun. »
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