FOCUS – L’assemblée générale du travail social en lutte de Grenoble a produit un rapport sur l’état de l’hébergement d’urgence à l’entraide Pierre-Valdo. Ce rapport, remis vendredi 9 avril à la directrice de la direction départementale de la cohésion sociale, rend compte de « dysfonctionnements » dans l’accompagnement des personnes accueillies. Mais aussi d’un « manque de moyens » pour les travailleurs du secteur médico-social.
« Le social n’est ni une entreprise, ni une marchandise », insiste Baptiste, éducateur spécialisé en prévention dans l’agglomération grenobloise. Comme lui, une trentaine de personnes étaient rassemblées, vendredi 9 avril, devant le bâtiment de la direction départementale de la cohésion sociale (DDCS). Les manifestants ont remis un rapport sur l’hébergement d’urgence à l’entraide Pierre-Valdo à la directrice de ce service de l’État.
Durant trois jours, les salariés du secteur médico-social ont multiplié les mobilisations en France pour alerter sur la dégradation de leurs conditions de travail.
A Grenoble, ils ont manifesté, mercredi 7 avril, devant l’association familiale de l’Isère pour les personnes handicapées. Jeudi 8 avril, 250 personnes ont battu le pavé dans la capitale des Alpes en compagnie d’étudiants et d’acteurs culturels.
Des conditions de travail qui se dégradent dans le secteur médico-social
Ce rapport sur l’hébergement d’urgence, écrit par une quinzaine de membres de l’assemblée générale du travail social en lutte de Grenoble (AGTSL), est soutenu par Sud Santé sociaux 38, la fédération sud santé sociaux, Solidaires 38 et la CNT Santé Social collectivités territoriales 38. « Notre but était de rendre visible le décalage entre les discours des dirigeants et les réalités constatées sur le terrain », explique Dominique, membre de l’AGTSL. D’où le titre : « Des beaux discours à la réalité… »
Le rapport, qui s’étend sur 35 pages, s’appuie sur une série de témoignages et un travail d’observation réalisé à l’automne 2020. « On s’est dit que c’était intéressant d’avoir quelque chose de précis et de documenté », argumente Dominique.
Le rapport s’attarde plus particulièrement sur l’hébergement d’urgence au sein de l’association Entraide Pierre-Valdo. « Ça pourrait concerner d’autres établissements qui s’occupent de l’hébergement d’urgence », précise toutefois Dominique.
L’entraide Pierre-Valdo, arrivée en Isère en 2018, dispose actuellement de six centres d’hébergement dans l’agglomération grenobloise. Et elle remporte de plus en plus de marchés publics dans la région. « C’est un des maillons de la chaîne », ajoute Laurent*, travailleur social chargé de présenter le document avec Dominique.
Pour se prémunir contre d’éventuelles représailles, les personnes ayant participé à l’écriture du rapport ont décidé de ne pas s’exprimer publiquement lors de sa présentation. « La voix des travailleurs sociaux reste très peu audible », complète Dominique. Alors ce document vise aussi à rendre compte de leurs réalités au quotidien.
« Un mouvement de marchandisation de la solidarité »
Le document pointe du doigt trois dominantes à l’œuvre dans le secteur de l’hébergement d’urgence. Tout d’abord, « l’importation d’une conception et de pratiques de gestion nourries par les logiques marchandes » dans le secteur médico-social. Les associations et fondations répondent à des appels d’offre pour remporter des marchés publics dans ce secteur. « Elles font tout en low cost parce que les budgets de l’État sont de moins en moins soutenus », rapporte Dominique. Le rapport d’enquête dénonce notamment des conditions d’accueil inappropriées dans des algecos sur le site de Comboire.
Autre observation : la dégradation de l’accompagnement. « Les associations gestionnaires délèguent de plus en plus à des services extérieurs le suivi social des personnes hébergées », constate Delphine qui milite au sein du collectif Lutte hébergement Grenoble.
Ce dernier se mobilise depuis plusieurs semaines pour trouver des solutions d’hébergement aux familles logées par le centre l’Entraide Pierre-Valdo de la rue Mangin, qui va fermer prochainement.
Car si la préfecture a annoncé, le 26 mars dernier, que l’Etat avait proposé une proposition d’hébergement et d’orientation à la trentaine de résidents, les associations la jugent inadaptée.
« Les personnes accueillies dans les hébergements d’urgence sont en très grande précarité, complète Dominique. Ils auraient besoin d’une attention très soutenue pour pouvoir faire leurs démarches ».
Enfin, l’enquête met en lumière la souffrance des travailleurs sociaux. Un rapport d’expertise du comité social et économique (CSE) effectué en 2019 dans l’association évoque des « conflits de valeurs » facteurs de risques psychosociaux. Les salariés se trouvent confrontés à une inadéquation entre le travail qu’ils réalisent et les normes professionnelles et sociales qui régissent leur métier. « On ne sait pas faire avec si peu de moyens », tempête Laurent. Cela entraîne des arrêts maladies qui affectent à leur tour la qualité de l’accompagnement.
Un rapport sur l’hébergement d’urgence pour faire bouger les lignes
Ce travail est aussi l’aboutissement d’une mobilisation collective qui se réinvente. « Je pense qu’il y a une nouvelle génération militante qui se réunit dans des collectifs syndiqués et non syndiqués, analyse Baptiste, membre de la CGT. Ils comptent bien ne plus se laisser faire. Ils ne veulent pas seulement faire part de leurs inquiétudes mais aussi exprimer une colère ».
Et ils ont pu faire entendre cette colère à la directrice de la DDCS qui a récupéré le rapport en fin de matinée. « Il n’y a que le combat collectif qui permet d’obtenir des solutions concrètes. En tout cas, c’est ce que l’on constate au Droit au logement », plaide Raphaël Beth du Dal 38.
Les travailleurs du secteur médico-social multiplient les mouvements de grève ces derniers mois pour alerter les pouvoirs publics. Notamment pour protester contre leur exclusion du Ségur de la Santé. « On espère que structurellement ça puisse faire bouger les lignes », conclut Laurent.
Tim Buisson
*Le prénom a été modifié à sa demande.
** L’entraide Pierre-Valdo n’a pas donné suite à notre demande d’interview.