REPORTAGE – Plusieurs milliers de personnes ont défilé dans les rues de Grenoble, samedi 28 novembre, pour protester contre la loi dite de « sécurité globale ». Plus de 70 marches des libertés se déroulaient alors partout en France avec le même mot d’ordre. Un rassemblement massif en ce premier jour de déconfinement.
« C’est juste intolérable, cette loi ! Il faut que les gens bougent et descendent dans la rue », clame Line, au milieu de la place de Verdun à Grenoble. Tout comme son frère et sa mère, la jeune femme arbore une pancarte rouge vif avec des slogans écrits en noir. Elle s’était déjà mobilisée lors des marches pour le climat, l’an dernier.
Beaucoup de jeunes sont ainsi présents, ce samedi 28 novembre. « C’est maintenant qu’il faut les stopper. Après, ça sera trop tard », ajoute Caroline, la mère de Line. Tous s’inquiètent de la loi « sécurité globale » et ont ainsi répondu à l’appel d’associations et de partis situés à gauche de l’échiquier politique. Parmi leurs revendications, la défense du droit à l’information, tout comme une trentaine de sociétés de journalistes et de rédacteurs ayant signé une tribune dans Libération le 9 novembre.
Également dans le viseur des manifestants, la loi de Programmation de la recherche. Ces deux lois, qui cristallisent les oppositions depuis plusieurs semaines, feraient en effet peser de nombreuses menaces sur les libertés individuelles selon leurs détracteurs.
Manifestation de grande envergure contre la loi « Sécurité globale »
Une chose est sûre, la manifestation d’environ 300 personnes organisée pour le même motif le mardi 17 novembre en plein confinement faisait bien pâle figure comparée à celle de ce samedi et ses milliers de personnes. Parti de 14 heures place de Verdun, le cortège a descendu la rue Lesdiguères avant de bifurquer en direction de la place Victor-Hugo. Les manifestants ont ensuite remonté les quais pour se rassembler place Saint-André. Un parcours qui visait à éviter le centre-ville, le préfet souhaitant ne pas pénaliser la reprise économique en ce jour de réouverture de nombreux commerces non essentiels.
Certains sont venus de loin pour manifester. À l’image d’Antoine, habitant de Prapoutel, station de ski des 7 Laux située à trois quarts d’heure de voiture, ce qui n’a pas freiné ses ardeurs. « Nos libertés sont menacées presque de semaine en semaine, s’inquiète-t-il. On a de nouvelles lois qui sortent et qui sont à peine débattues et ratifiées beaucoup trop rapidement. Sous couvert de l’état d’urgence sanitaire, on est en train de tuer la liberté de circuler, de parler et de manifester », s’insurge le médecin généraliste.
Sur la centaine de pancartes brandies dans la foule, les messages rivalisent d’ingéniosité : « Floutage de gueule », « Outrage à gens » ou encore « Souriez, vous êtes filmés ». Les slogans scandés sont, pour leur part, moins originaux. Un « Grenoble, soulève-toi ! » s’élève le long des quais de l’Isère.
« Quantitativement, c’est une grosse manif. On n’a pas vu ça depuis le mouvement contre les retraites, analyse Raphaël. Qualitativement aussi ». Il bat le pavé régulièrement à Grenoble. Et la jeunesse du cortège l’a marqué :
L’article 24 de la loi « sécurité globale » : la pierre d’achoppement
L’article 24 de la loi concentre toutes les attentions et les tensions. Celui-ci permet de punir « d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait de diffuser, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, dans le but qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, l’image du visage ou tout autre élément d’identification d’un fonctionnaire de la police nationale ou d’un militaire de la gendarmerie nationale lorsqu’il agit dans le cadre d’une opération de police. »
Seuls 103 des 271 députés La République en marche ont voté cet article. Cinq ont voté contre et les autres se sont abstenus. Le Premier ministre, Jean Castex, a par ailleurs annoncé jeudi qu’une commission indépendante allait « réécrire » cet article. Mais cette commission n’est pas du tout du goût de Richard Ferrand. Le président de l’Assemblée nationale rappelle que c’est une prérogative du Parlement, donc soit de l’Assemblée soit du Sénat. De quoi fragiliser la cohérence gouvernementale. « Le groupe LREM est en train d’exploser », commente Raphaël dans le cortège grenoblois.
La goutte d’eau
« Je veux soutenir le mouvement anti loi-sécurité globale qui est plus un droit à l’oppression qu’autre chose », s’agace Danielle. Elle aussi vient de loin, en l’occurrence de Miribel-les-Échelles à la limite entre l’Isère et la Savoie. Cette ancienne professeur de français a passé quarante ans de sa vie en Australie. Et son retour en France a été brutal.
« Il faut qu’on surveille la police pour vérifier qu’il n’y ait pas de bavures. Enfin, je ne sais pas si on peut parler de bavure, si ce n’est pas structurel », s’inquiète-t-elle. Les images de Michel Zeckler, ce producteur de musique tabassé par la police, l’ont profondément choquée. Idem pour Antoine. « La goutte d’eau ça a été la vidéo du producteur de musique », s’insurge-t-il.
Dans le cortège, Margot Belair défile sous les drapeaux d’Europe écologie – Les Verts. « Je m’inquiète beaucoup pour toutes les personnes qui ont pu subir des violences et qui n’ont pas été filmées, déplore la 9e adjointe au maire de Grenoble. Il doit y avoir des sanctions ». Éric Piolle, qui milite également ardemment contre cette loi, était pour sa part à Lyon afin de défiler en compagnie de son homologue lyonnais Gregory Doucet.
Dans la foule grenobloise, on distingue par contre le sénateur de l’Isère Guillaume Gontard et plusieurs élus de la majorité : Antoine Back, Nicolas Kada ou encore Anabelle Bretton.
Émilie Chalas, députée LREM de l’Isère, a pour sa part voté en faveur du texte et s’en expliquée, affirmant que « l’article 24 ne remet pas en cause la liberté d’informer ». Sa collègue iséroise du groupe Modem, Élodie Jacquier-Laforge, a fait de même tout en émettant plusieurs réserves sur le texte.
Quoi qu’il en soit, « le gouvernement doit entendre cette mobilisation », insiste Margot Belair. En tout, 133 000 personnes ont défilé partout en France selon le ministère de l’Intérieur. Difficile pour le gouvernement de fermer les yeux.
Tim Buisson
Les gilets jaunes également mobilisés ce samedi 28 novembre
Une centaine de gilets jaunes se sont rassemblés samedi 28 novembre aux alentours de 9 heures au rond-point du Raffour de Crolles. Celui-là même qui avait été évacué mardi 10 novembre, après près de deux ans d’occupation.
La centaine de personnes présentes a marché en direction de la mairie. Une marche dans le calme et sans heurts.
Certains manifestants se sont ensuite rendus à Grenoble. Il y étaient déjà présents le mardi 17 novembre pour fêter leur deux ans d’existence. À cette occasion, leur cortège avait rejoint la première manifestation contre la loi « sécurité globale ».