FOCUS – La Chambre régionale des comptes a rendu public son rapport sur les transports express régionaux en Auvergne-Rhône-Alpes. Un texte de 80 pages dans lequel les magistrats de la CRC passent au crible le ferroviaire régional. Parmi les enseignements : une volonté manifeste de la SNCF de se débarrasser de ses petites lignes. Et une certaine méfiance, voire une méfiance certaine, de la Région vis-à-vis de la société de transports.
C’est un rapport de près de 80 pages que la Chambre régionale des comptes a mis en ligne le 21 octobre. Son objet ? Les transports express régionaux de la SNCF au sein de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Un état des lieux détaillé de la santé physique et financière des lignes. Mais aussi de la fréquentation, de la politique tarifaire ou encore de la ponctualité. Le tout sur fond d’ouverture à la concurrence du transport de voyageurs, programmée pour le mois de décembre 2019.
Parmi les questions les plus brûlantes du rapport : celle des “petites lignes”. « Près de 80 % du trafic TER Auvergne-Rhône-Alpes demeure concentré sur les treize premières lignes de la région », note la CRC. Les petites lignes de la SNCF représentent ainsi 11 % de la fréquentation totale. Soit une moyenne de 19 000 passagers par jour. Avec de très fortes disparités : 4 000 voyageurs quotidien pour certaines… et trente pour d’autres.
Des guichets de gares dans le viseur
Et qui dit petites lignes dit… petites gares. Selon les chiffres de 2016 exploités par la CRC, la région compte 338 gares. Avec une forte prédominance de l’ancienne Rhône Alpes : 253 gares, contre 83 en Auvergne. Une grande majorité d’entre-elles (61 %) appartiennent à la catégorie C. Autrement dit, celle des gares accueillant moins de 100 000 voyageurs par an. Par comparaison, seules quinze gares de la région en accueillent plus de 250 000.
Quel avenir pour ces gares dites « d’intérêt local » ? La CRC pointe une nette divergence entre la Région et la SNCF. « SNCF Mobilités (…) envisage de supprimer les guichets des gares présentant une fréquentation réduite ». Avec pour objectif de diminuer les coûts d’exploitation et, par ricochet, la contribution demandée à la Région. La collectivité ne l’entend pourtant pas de cette oreille, comme en témoigne des prises de position postérieures à la rédaction du rapport.
Au mois de juillet 2019, après un coup de gueule de Laurent Wauquiez, la Région et SNCF Mobilités convenaient d’un moratoire sur les fermetures de guichets de gare. Trop tard pour les gares iséroises de Rives, Moirans, Brignoud et Goncelin : leurs guichets ont baissé rideau le 1er juin 2019. Et pas assez pour satisfaire l’opposition régionale, pour qui la Région donne beaucoup… sans obtenir grand-chose en retour.
Quand la SNCF délaisse l’entretien des petites lignes de la Région
La même opposition entre Région et SNCF se retrouve sur la question de l’entretien des petites lignes. Alors que le réseau ferré français dans son ensemble est victime d’un « vieillissement inquiétant », SNCF Réseau priorise ses travaux sur les lignes les plus fréquentées. « SNCF Réseau ne finance plus les travaux de renouvellement sur [les petites lignes] depuis 2017 car elle considère cette partie du réseau comme non prioritaire », indique le rapport.
Et de pointer du doigt les libertés prises par la société ferroviaire. Cette priorité donnée aux grandes lignes n’a pas été signalée de manière officielle à la Région, écrivent les magistrats de la CRC. Qui rappellent qu’en 2017, « un défaut de consultation des parties prenantes a d’ailleurs été relevé dans l’avis de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires ». La SNCF ferait-elle ce qu’elle veut, sans demander de comptes à personne ?
Pas de quoi donner confiance. Ainsi, écrit encore la Chambre régionale des comptes, la Région suspecte la SNCF d’avoir mis en place « une forme de subventions croisées entre lignes du réseau, au détriment des petites lignes ». Le principe ? « Les charges de péage [des petites lignes, ndlr] serviraient à financer l’entretien, la maintenance et le renouvellement des autres lignes ». Résultat : un défaut d’entretien qui pourrait mener à la disparition des lignes les moins fréquentées.
Si le rapport ne mentionne pas le cas de la ligne Grenoble-Gap, celle-ci semble symptomatique de la question. Alors que deux conseils régionaux, le Département de l’Isère et la Métro se disent prêts à participer financièrement à des travaux de réfection, l’aide de l’État tarde à venir et met en danger l’existence même du tronçon ferroviaire. Pour ses défenseurs, SNCF Réseau fait durer sciemment la procédure, motivée par le manque d’autorité de l’État sur la question. (cf. encadré)
La Région en charge des petites lignes SNCF peu rentables ?
Quelles solutions ? SNCF Réseau envisagerait… de confier à la Région et à d’autres ces lignes insuffisamment rentables. « Des réflexions sont engagées sur leur intervention directe dans le financement du réseau ferroviaire des petites lignes, avec la possibilité par exemple, d’un transfert de ce financement aux régions », écrit la CRC. En Auvergne-Rhône-Alpes, la Région met d’ailleurs déjà la main à la poche pour financer des travaux d’infrastructure.
Quelle somme nécessaire pour sauver les petites lignes ? 765 millions d’euros, selon un rapport de la SNCF Réseau rendu en 2016. Et les 111 millions mis sur la table par le Conseil régional n’y suffisent pas. « Une impasse de financement demeure, faute d’engagements d’autres collectivités jusqu’à présent », juge la CRC. Et d’ajouter, cruelle, que les financements après 2020 restent encore à trouver.
De quoi agacer le président de l’ex-Conseil régional Rhône-Alpes. Le socialiste Jean-Jack Queyranne « déplore que SNCF Réseau n’ait commencé à révéler ses besoins en travaux sur les petites lignes qu’à la fin de son mandat ». Et ceci alors que le déficit de maintenance remonte à « plusieurs décennies ». De toute évidence, la méfiance entre la Région et la SNCF ne date pas non plus d’hier.
L’ouverture à la concurrence remise à plus tard
Quid de l’ouverture à la concurrence ? À compter de décembre 2019, les conseils régionaux seront en mesure de lancer un appel d’offres pour la gestion des lignes TER. Mais peuvent également continuer à travailler avec la SNCF jusqu’en 2023. Une option visiblement retenue par la Région Auvergne-Rhône-Alpes. « Elle reconnaît qu’à l’heure actuelle, les conditions préalables ne sont pas remplies pour envisager une ouverture à la concurrence, même partielle », écrit la CRC.
Le monopole actuel de la SNCF ne semble au final guère déranger la Région. Celui-ci « permet actuellement aux régions de se consacrer pleinement à la définition du niveau de service et à la négociation de la convention et de ses avenants », estime-t-elle ainsi, citée par la CRC. Il ressort du rapport que les moyens techniques et humains nécessaires pour établir des procédures de mise en concurrence rebute clairement le Conseil régional.
Une concurrence au final faussée ? « La région pense que pour intéresser un maximum de candidats lors d’un appel d’offres, elle devra préalablement recueillir des informations dont elle ne dispose pas aujourd’hui », note la CRC. Notamment des données « sur les personnels, les matériels et les équipements nécessaires à la réalisation du service ». Preuve, une nouvelle fois, que la collectivité est maintenue dans une relative ignorance.
La Région ne se fait d’ailleurs guère d’illusions sur la transparence de la SNCF. Selon le rapport, « elle estime que pour faciliter le recueil de ces informations, il serait nécessaire qu’une liste précise et obligatoire soit fixée par les textes, avec le risque que la SNCF cherche à “capter” la procédure pour proposer ses propres données ». Au final ? Une attitude « pragmatique et prudente » de la Région… autant vis-à-vis de l’ouverture à la concurrence que de la SNCF elle-même.
Florent Mathieu
L’AVENIR DE LA LIGNE GRENOBLE-GAP TOUJOURS DANS LE BROUILLARD
L’avenir de la ligne Grenoble-Gap a tout du feuilleton à rebondissements. Dernier épisode : les défenseurs de la ligne attendaient beaucoup du comité de pilotage, programmé le 22 octobre à la préfecture de l’Isère. La réunion de la dernière chance, à leurs yeux. Le Collectif de l’Étoile ferroviaire de Veynes estime en effet que, faute de travaux réalisés en 2020, la ligne ne sera plus exploitable et de facto condamnée.
« Nouvel affront », s’étrangle le collectif : la réunion annoncée n’a pas eu lieu. Celle-ci est reportée à décembre, indique la préfecture de l’Isère. Problème ? « SNCF Réseau a déjà clairement annoncé que novembre était la date limite de réception des conventions pour lancer les travaux », écrit le collectif. Déception cruelle, quand les militants criaient (presque) victoire en septembre, suite à une déclaration optimiste du secrétaire d’État Jean-Baptiste Djebbari.
Du côté de la préfecture, on assure « l’engagement de l’État pour faire aboutir ce dossier ». Une délégation du collectif a ainsi été reçue le 22 octobre, accompagnée du sénateur de l’Isère Guillaume Gontard et du président du SMTC Yann Mongaburu. Pas de quoi rasséréner les défenseurs de la ligne. Qui plaident pour un arbitrage politique « avant que ne s’enclenchent les processus internes à la SNCF qui rendront inéluctable la fermeture de la ligne ».