FOCUS — Fermée depuis 2016 à l’exception de quelques concerts, la salle Le Ciel de Grenoble rouvre ses portes au public le 29 août sous l’égide de l’association Plege. Des nouveaux gestionnaires qui comptent bien mieux faire connaître un local qui propose également des résidences d’artiste et des salles de répétition. Reste quelques nuages, autour de la liquidation de la Régie 2C, et des accusations de « favoritisme ».
« Ciel, ma culture ! » Après plusieurs années de fermeture, marquées tout de même par quelques concerts sporadiques, l’association Plege annonce la réouverture de la salle Le Ciel ce 29 août à Grenoble. Une réouverture qui s’articule autour de quatre axes, décrit encore l’association : la diffusion de concert, l’accompagnement et le soutien aux pratiques musicales, les actions culturelles et la mise en place « d’espaces tiers-lieu ».
Autrefois gérée par la défunte Régie 2C (R2C), la salle de la rue Condillac est désormais entre les mains d’une association qui se veut, sans fausse modestie, « une plate-forme indispensable au service des initiatives émergentes et de l’interaction entre modèles alternatifs et circuits professionnels ou institutionnels ». Le tout autour d’une direction artistique que le responsable de la programmation David Nicolay décrit comme résolument « frondeuse ».
Un concert toutes les semaines à compter de janvier 2020
Les mots-clés des nouvelles orientations du Ciel ? « L’ouverture, la prise de risque perpétuelle, mais un rapport toujours très simple et finalement très pop à la musique », poursuit David Nicolay. Avec pour objectif de ramener dans son giron les “anciens” tout autant que de conquérir un nouveau public.
« Le vrai défi, c’est d’en faire une plateforme ouverte, ce qui n’était malheureusement pas le cas ces dernières années », explique encore le responsable de sa programmation.
Une programmation qui, pour le moment, n’est pas totalement définie. Si les trois artistes présents pour la soirée d’ouverture sont évidemment connus (voir encadré), le Ciel ne devrait présenter que deux autres concerts d’ici la fin de l’année 2019. En l’occurrence dans le courant du mois de novembre pour le premier et vers Noël pour le second. À compter de janvier 2020, les choses sérieuses doivent commencer, avec un concert par semaine, plus quelques spectacles hors les murs.
Et David Nicolay d’insister : « Le Ciel sera avant tout un espace de travail ». Ses locaux de résidence d’artistes et de répétition ouvrent dès le mois de septembre. L’occasion, espère le responsable, de créer une émulation bénéfique. « On compte sur le brassage de tous les musiciens pour redonner un souffle au Ciel. Si tout se passe bien, par le bouche à oreille et le travail de communication, on devrait arriver à toucher un public plus élargi ! ».
Une réouverture sur fond d’accusations de favoritisme
C’est un euphémisme de le dire : les choses n’ont pas toujours été simples pour Le Ciel. En votant la liquidation de la R2C en 2016, le conseil municipal de Grenoble sonnait le glas d’une régie municipale dont la situation ne cessait de se dégrader. Non sans faire tiquer la justice : deux ans plus tard, le Tribunal administratif de Grenoble retoquait le licenciement des deux salariés de la Régie 2C, et exigeait leur réintégration. Annulant de facto la liquidation de la régie ?
Ce n’est pas l’opinion de la municipalité grenobloise. « Le jugement du tribunal administratif n’enjoint pas la Ville de recréer la Régie 2C. Seul un contentieux demeure entre la Ville et deux anciens salariés qui ont sollicité une intégration dans les services municipaux », déclarait en mars 2019 Corinne Bernard, adjointe en charge de la Culture. Tout un symbole ? Sur son site Internet, la Ville continue pourtant à décrire la salle du Ciel comme gérée… par la Régie 2C.
Adversaire acharné de la procédure de dissolution de la R2C comme du mode d’attribution de la nouvelle gestion du Ciel, le Groupement d’analyse métropolitain (Gam) n’apprécie pas l’annonce d’une réouverture sous l’égide de Plege. Dans un courriel adressé au procureur de la République de Grenoble et au préfet de l’Isère, son porte-parole Pascal Clérotte exige pas moins que deux procédures, l’une administrative et l’autre pénale, contre les décisions municipales.
Administrative, car l’appel à projet lancé pour désigner les nouveaux gestionnaires du Ciel n’est pas, selon le Gam, la « procédure idoine » pour un équipement culturel municipal. Selon le collectif, un marché de Délégation de service public aurait été « approprié ». Pénale, car Pascal Clérotte considère que l’appel à projet était entaché de favoritisme. Une « manœuvre frauduleuse », juge-t-il, pour s’assurer « que cette gestion soit octroyée à Plege ».
« Évident qu’il n’y pas eu de favoritisme »
Quelle réponse de la Ville ? Sollicitée pour un entretien, et comme à son habitude depuis plusieurs semaines, ses services nous adressent une réponse de quelques lignes. Et indiquent avoir lancé un appel à partenaires, « largement diffusé au mois d’octobre 2018, par voies électronique et papier ainsi que sur le site de la Ville ». Trois candidatures ont été auditionnées, avant que le choix ne se porte sur l’association Plege et ne soit entériné par le conseil municipal.
Quid du sort des deux salariés de la Régie 2C, dont le Tribunal administratif a prononcé l’annulation des licenciements ? Un processus de réintégration, ou toute autre solution, sont-ils en voie de résolution ? Nous n’aurons pas l’opportunité de poser la question, la Ville ne souhaitant décidément pas décrocher le téléphone pour nous répondre. Tout en considérant nous avoir déjà apporté les « précisions » nécessaires… qui datent à présent de presque six mois.
« Ça paraît évident qu’il n’y a pas eu de favoritisme », répond de son côté David Nicolay. Qui rappelle que cinq structures différentes ont bénéficié de résidences d’artiste dans les locaux du Ciel avant son “attribution”… et que toutes auraient pu se porter candidates. « Nous avons affiché d’emblée que nous avions envie que le Ciel vive, mais rien n’était conclu d’avance ! », continue-t-il. Et de conclure : « Favoritisme non, mais que nous ayons été attentifs et passionnés, ça oui ! ».
Florent Mathieu
DEERHOOF, PORTON PORTON LOPEZ,
ET LUCAS RAVINALE & LOUP UBERTO AU PROGRAMME
Pour sa soirée d’ouverture, le Ciel accueille trois concerts : la « noise pop » des californiens Deerhoof, le « rock beefheartien » de Porton Porton Lopez, et la « transe paysanne » des Grenoblo-chambériens Lucas Ravinale et Loup Uberto. Autant de groupes qui, pour David Nicolay, « viennent étayer les possibilités de ce vers quoi le Ciel peut aller en termes de programmation ».
Actif depuis 1994, c’est pourtant la première fois que Deerhoof se produit à Grenoble. « Ça nous a paru évident de les programmer, ils synthétisent à eux seuls toute la visée, la portée de ce que l’on va défendre en matière de direction artistique », juge David Nicolay. Non sans mettre en avant la « démarche » d’un groupe indépendant et inventif.
Après San Francisco, retour dans le sud de la France avec Porton Porton Lopez. « Ils font de la musique plus influencés par les expérimentations progressives du rock américain ou allemand des années 70 », décrit le programmateur. Et de prévenir : « Cela peut paraître très cérébral pour les personnes qui ne sont pas habituées, mais il y a quelque chose de très simple. »
Enfin, David Nicolay présente les « fers de lance de la nouvelle musique indépendante grenobloise » que sont Lucas Ravinale et Loup Uberto. Un duo qui puise dans la musique traditionnelle, tout en jouant avec des instruments revisités ou inventés. « Ce n’est peut-être pas le projet grenoblois le plus populaire sur le sol national, mais c’est en tout cas l’un des plus prometteurs ! », juge-t-il.