FOCUS – Que reste-t-il à Grenoble du projet métropolitain appelé de ses vœux par le législateur ? Après deux ans de travail et cent cinquante auditions, le document a singulièrement perdu de sa substance pour devenir un simple manifeste. Sans portée réglementaire, il trace les grandes lignes de la vision, censée être collective, des quarante-neuf communes de la Métropole de Grenoble. Mais il arrive aussi tard, très tard…
Le projet métropolitain va-t-il faire pschitt ? Élaborer des projets d’agglomération pour les territoires urbains remonte à… 1999 et la loi Voynet. Depuis, les lois successives – notamment Maptam en 2014 et Notre en 2015 – n’ont cessé d’insister sur la nécessité de mettre en œuvre de tels projets politiques, sortes de documents “supra” permettant théoriquement d’en décliner tout un tas d’autres derrière.
Ce projet métropolitain à l’horizon 2030, la Métropole de Grenoble aura dû attendre 2018 pour le voir se mettre en branle. Soit plus de quatre ans de mandat. Finalisé à la fin de l’année dernière, présenté au Conseil de développement (C2D) de la Métro pour avis et expertise, il a été définitivement voté lors du dernier conseil métropolitain, le 5 avril dernier.
Un document qui arrive tard, très tard
Ce document arrive ainsi bien tardivement, et surtout après d’autres qu’il est censé chapeauter, Programme Local de l’Habitat (PLH), PLUI, PDU, plan climat énergie… Après près de deux ans de gestation, une petite centaine de rencontres, cent cinquante auditions, neuf rapports d’étonnement et moyennant près de 162 000 euros dépensés sur deux ans (hors personnel), qu’en reste-t-il ?
Car, au passage, le document a singulièrement perdu de sa substance. De projet, il est devenu simple manifeste. Manifeste pour une cité métropolitaine exactement. Et ce n’est pas qu’une simple question de vocabulaire. « Un manifeste est moins engageant, moins stratégique, il ne propose pas un plan d’actions », a résumé sur les bancs de l’opposition Jean-Damien Mermillod-Blondin du groupe Métropole d’avenir (droite républicaine).
Pourquoi cette cure d’amaigrissement ? « Plutôt que de faire un projet métropolitain qui aurait pu ressembler à un projet de la majorité en vue des municipales, il nous a semblé plus intéressant qu’il se transforme en manifeste pour construire une vision plus collective à l’échéance de dix, vingt ans », a expliqué Yannik Ollivier, le vice-président en charge du dossier. Quitte à le vider de sa substance ?
« Ce projet de manifeste n’est pas un projet fini »
Car, pour mieux rassembler, le document se contentera de tracer de grandes lignes et de fixer de grandes orientations. Pour le reste, il faudra encore affiner. « Ce projet de manifeste n’est pas un projet fini, a d’ailleurs souligné le président de la Métropole Christophe Ferrari. Le plus important dans tout ça, c’est la démarche, la dynamique de travail ».
Pour affiner, la Métropole compte sur trois débats, à venir, autour de la transition économique, de la démocratie-citoyenneté-intercommunalité et de « comprendre et s’approprier la métropole ». Reste que la dynamique de travail a tout de même sérieusement pris un coup.
Sur les bancs de l’opposition, les conseillers de droite ont ainsi fourbi leur propre projet, qu’ils considèrent comme « plus concret », fustigeant une rédaction du manifeste entre les mains du groupe de la majorité métropolitaine. Un contre-projet que cette dernière voit, elle, comme un « programme politique » fleurant bon les prochaines élections.
Quant au groupe des élus non inscrits et société civile (Nisc), il est à peine moins emballé. « Le groupe Nisc tient à rappeler que l’exécutif métropolitain a été fermé à un nombre important de majorités communales, pointait Françoise Guigui lors de débats fin 2018. Ce choix qui a été fait, c’est-à-dire la création d’une majorité politique plutôt qu’une majorité intercommunale de rassemblement, rendait alors difficile la mise en place de projets communs aux quarante-neuf communes de notre territoire. »
Un document qui manque d’ambition
« On ne peut pas parler de métropole inclusive », soulignait alors l’adjointe au maire de Seyssinet-Pariset. « Ce ne sont pas quelques mots ou termes qui nous gênent mais le manque d’ambition, le manque de souffle. Ce document ne répond pas concrètement aux préoccupations et aux besoins des habitants. » Pour la vision collective qu’est censé véhiculer le manifeste, c’est plutôt mal engagé…
Que dit le document ? Il préconise de « penser une métropole sociale », de s’engager « vers un nouveau mode de développement inclusif, durable et résilient ». Un vocabulaire « peu compréhensible » et « concret » pointe le C2D dans son avis. Le conseil de développement est sceptique. Si cette instance de démocratie participative forte de cent-vingt membres acteurs de la société civile est dubitative, c’est que le postulat de base est déjà fragile.
La légitimité des métropoles en question
Le C2D attire l’attention « sur le décalage croissant entre des compétences de plus en plus importantes portées par les métropoles, et leur légitimité et manque de lisibilité démocratique ». Une manque de légitimité qui, pour le conseil de développement, trouve d’abord son origine dans le mode d’élections, au suffrage universel indirect, des conseillers métropolitains. En attendant, le développement durable vu par le manifeste ne sied pas vraiment au C2D.
Marie-Christine Simiand, membre du Conseil de développement lors de la controverse sur le suffrage universel direct dans les métropoles. DR
« La transition seule ne suffit pas, il faut savoir vers quoi nous transitons… Cette partie du manifeste n’indique pas la spécificité de notre métropole, ce qui fait sens pour les acteurs… Ensuite, le Manifeste dresse une liste des aspects à considérer et des acteurs à impliquer, mais ne présente ni priorités, ni stratégie de réorientations. »
Le C2D est également dubitatif quant à la volonté du document de s’engager dans la lutte contre le changement climatique. « Les orientations en matière d’adaptation au changement climatique sont bien timides, pointe-t-il. Elles n’évoquent pas clairement non plus les mille prises d’initiatives des citoyens eux-mêmes, associés ou non, et qui font preuve de détermination et de lucidité. Il ne s’agit pas de s’illusionner, ni de sous-estimer les contradictions, paradoxes et limites de ces mouvements, mais rien n’avancera sans les citoyens. »
L’accent mis sur la responsabilité sociale
Sur le volet économique aussi, le C2D trouve le document un peu léger, sans priorités clairement énoncées. Mais reconnaît toutefois un réel effort sur le volet responsabilité sociale. L’idée a ainsi été proposée de lancer une plateforme de réflexion collective sur le vieillissement, le numérique, les modes de vie et de travail, ainsi qu’un observatoire des politiques sociales. Et pourquoi pas mettre en place un dossier métropolitain unique pour mieux s’y retrouver dans le dispositif d’aides sociales. Sans oublier que le social relève des compétences du Département…
Après la ville de Grenoble, un budget participatif à la Métro ? © Séverine Cattiaux – Place Gre’net
Autres pistes, celles d’un budget participatif métropolitain, d’instances de dialogue citoyen aussi. Le manifeste s’interroge également quant à la mutualisation des équipements, voire même la fusion des communes. Un dernier point qui n’a pas vraiment emballé tous les conseillers métropolitains.
Une liste qui, pour Claude Jacquier, laisse pourtant de grands blancs. « En matière de transition, c’est une caricature, au moment où le nouveau compromis politique nécessaire entre environnement, social et économie au cœur du développement soutenable est devenu introuvable et au moment où précisément la Métro et les élites politiques ont échoué à imaginer des alternatives crédibles pour faire face aux enjeux pourtant bien identifiés de longue date », tance ce directeur de recherches au CNRS et membre du C2D.
Une manifeste « langue de bois »
Claude Jacquier pointe également les absences et silences du document, que ce soit sur l’accessibilité, l’auto-partage, le télé-travail et plus généralement sur les enjeux écologiques majeurs. Pour lui, le manifeste, qu’il qualifie de « langue de bois », ne fait que révéler une absence de stratégie politique d’envergure et un manque de vision.
Qu’en restera-t-il dans dix ou quinze ans ? Le manifeste ne pourra, en tout cas, pas être mis en œuvre sur ce mandat. De quelles marges de manœuvre dispose-t-il ? Le document n’a aucune portée réglementaire. « C’est un document strictement politique, admet-on à la Métro, dont l’existence est prévue par la loi, mais non sanctionnée en cas de non-respect. »
Patricia Cerinsek