FOCUS – La Ville de Grenoble a annoncé, mardi 2 octobre au soir, l’octroi d’une convention d’occupation du domaine public pour le Ciel, via un appel à projets. Une décision qui intervient dans un contexte particulièrement sensible, après l’annulation cet été par le tribunal administratif de Grenoble de la liquidation de la Régie 2C, ex-gestionnaire de la salle de concerts. Car le jugement est exécutoire, même si la Ville a fait appel…
Le Ciel a accueilli en décembre 2017 son premier concert depuis la liquidation de la Régie 2C. © Manuel Pavard, Place Gre’net
Comme toute bonne série, la saga du Ciel ne lésine pas sur les rebondissements et coups de théâtre, sans oublier l’indispensable dose de suspense. Dans le rôle du scénariste, la Ville de Grenoble – qui gère en direct depuis deux ans l’emblématique salle de musiques actuelles – a donc concocté un nouvel épisode crucial pour l’ensemble des acteurs.
À l’issue d’une réunion au titre sibyllin – « Quel avenir pour le sous-sol du palais de l’Université ? » – la municipalité a ainsi annoncé, ce mardi 2 octobre, le lancement d’un appel à projets pour une convention d’occupation du domaine public (CODP).
Une subvention annuelle de 110 000 euros
Calendrier envisagé : dépôt des dossiers jusqu’à fin décembre, décision en mars 2019, puis remise des clés à l’heureux élu en juin. Budget : une subvention annuelle de 110 000 euros. Les détails de l’appel à projets ne sont en revanche pas encore connus, celui-ci devant être mis en ligne prochainement sur le site de la Ville. Jusque-là, rien de bien surprenant : la procédure est tout ce qu’il y a de plus classique pour un équipement culturel.
De gauche à droite : Olivier Bertrand, Corinne Bernard et Laurent Simon, l’ex-directeur du Ciel dont le licenciement vient d’être annulé par la justice. © Joël Kermabon – Place Gre’net
Mais avec le Ciel, rien n’est jamais simple… L’annonce survient en effet deux mois et demi après l’annulation, par le tribunal administratif de Grenoble, du licenciement, en juin 2016, de deux ex-salariés de la Régie 2C (ancien gestionnaire du Ciel et de la Chaufferie). En l’occurrence, Laurent Simon, directeur du Ciel, et Frédéric Rossi, administrateur.
Aucune offre de reclassement n’ayant été proposée par la mairie, leur licenciement a été jugé illégal. Tous deux sont donc censés être réintégrés au sein de la structure, ce qui a annulé de facto la liquidation de la régie municipale.
« J’ai demandé à mon avocate de faire exécuter le jugement »
Si la Ville de Grenoble a choisi de faire appel de la décision de justice, cet appel n’est cependant « pas suspensif », affirme Frédéric Rossi : « J’ai bien lu la communication du tribunal administratif et il est indiqué que tout délibéré doit être exécuté. J’ai alors demandé à mon avocate de faire exécuter le jugement de première instance, à savoir ma réintégration et ma demande indemnitaire, qu’on a évaluée entre 7 500 et 10 000 euros. »
Au-delà des considérations économiques propres à ce type de conflit, ce jugement complique sérieusement la tâche de la municipalité. En effet, depuis la dissolution de la Régie 2C, la Ville gère l’équipement et met les locaux de répétition du Ciel à disposition de plusieurs associations grenobloises avec lesquelles elle a passé des CODP. Deux concerts ont même été organisés, en décembre 2017 puis en juin dernier (précédé d’une journée portes ouvertes).
Journée portes ouvertes au Ciel le 17 juin 2018, organisée par l’association Plege. © Florian Espalieu, Place Gre’net
Mais en annonçant son futur appel à projets, la municipalité – déjà sous le feu des critiques du Groupe d’analyse métropolitain (Gam) qui dénonce depuis des mois une « gestion de fait » – a indirectement rallumé la polémique.
« Le Ciel ne peut être redonné en gestion à qui que ce soit d’autre »
Pascal Clérotte, porte-parole du Gam, le groupe d’analyse métropolitain, dénonce une « gestion de fait » du Ciel. © Patricia Cerinsek, Place Gre’net
Par la voix de Pascal Clérotte, le Gam a ainsi dégainé dans les heures suivant la réunion : « Le Ciel ne peut en aucun cas être redonné en gestion à qui que ce soit d’autre, puisque le siège, l’objet social et le personnel de cette régie sont toujours là. De la même manière, la Ville ne peut pas octroyer d’occupation du domaine public, puisque ce n’est pas la Ville qui dispose des locaux, mais la régie autonome à personnalité morale propre. »
Et celui-ci a aussitôt menacé de mesures de rétorsion face à l’appel à projets : « Nous allons exiger en référé l’annulation de l’appel à projets et sa requalification en marché public, que nous obtiendrons sans difficulté. Une fois cela fait, dépôt de plainte pour délit d’octroi d’avantage injustifié contre la municipalité et tous ceux impliqués au Ciel, plainte qui prospérera car on est exactement dans le même cas que celui de la Fête des tuiles. Tout le monde se retrouvera devant un juge. »
Pour la Ville, pas de communication officielle dans l’immédiat
Pascal Clérotte enfonce ensuite le clou : « Le fait de redonner le bâtiment en gestion alors que la Régie 2C n’est pas liquidée est un délit. » Sollicitée par Place Gre’net pour donner son point de vue et répondre à ces accusations, la municipalité a indiqué qu’elle n’envisageait pas de communication officielle dans l’immédiat, celle-ci étant prévue d’ici une dizaine de jours.
Également dans le viseur du Gam, le collectif Plege, aux manettes des deux concerts de décembre et juin, ne cache pas sa surprise.
En décembre dernier, Plege accueillait les Grenoblois de Krogshoy et le duo américain Boy Harsher, deux ans après le dernier concert tenu dans la salle. © Manuel Pavard, Place Gre’net
« La Ville a un local qu’elle met à disposition des musiciens et comme quatre autres associations (Retour de Scène, Mix’Arts, MixLab et la Bobine), on est en charge du planning pour les résidences scéniques et l’accueil des musiciens. On ne se fait aucun bénéfice là-dessus donc je ne vois pas bien ce qu’on nous reproche », s’étonne David Nicolay, créateur et porte-parole officieux de l’association.
Plege devrait se positionner sur l’appel à projets
« Cela fait un moment que la Ville avait annoncé qu’elle souhaitait donner un cadre à la suite du Ciel », ajoute-t-il. Quant au fond du dossier, lui comme ses collègues de l’association n’ont « pas grand-chose de plus à en dire : on est typiquement dans un combat d’avocat contre avocat, ce n’est pas vraiment notre domaine », reconnaît-il, concédant avoir « peut-être besoin d’un référent juridique » à l’avenir.
Pour l’instant, Plege n’a pris aucune décision concernant sa candidature : « Tous les membres de l’association n’étaient pas présents à la réunion mais il y a de grandes chances pour qu’on se positionne sur l’appel à projets », précise David Nicolay. En attendant, le collectif va se concentrer sur ses « nombreuses actualités des mois à venir », avec plusieurs concerts et résidences programmés au Ciel en octobre et novembre.
« Il y a pas mal de ramifications », assure Frédéric Rossi
Une chose est sure, l’imbroglio administratif entourant le Ciel semble loin d’être démêlé et la municipalité n’en a visiblement pas encore terminé avec les procédures judiciaires.
L’octroi de l’organisation de la Fête des tuiles à l’association Fusées se retrouve dans le viseur de la justice. © Florent Mathieu, Place Gre’net
Certaines voix s’élèvent en effet pour questionner le rôle joué par deux anciennes administratrices de la Régie 2C, Marielle Imbert et Charline Chechirlian. Toutes deux ont démissionné du conseil d’administration avant le vote entérinant la liquidation de la régie. Elles travaillaient alors pour l’association Fusées, organisatrice de la Fête des tuiles en 2015 et 2016 et visée par le parquet de Valence dans le cadre d’une enquête préliminaire pour favoritisme.
« Il y a pas mal de ramifications », assure Frédéric Rossi, qui esquisse notamment un « lien avec la Fête des tuiles » en donnant simplement deux chiffres : « Le budget de la Régie 2C, en comptant le Ciel plus la Chaufferie, était de 250 000 euros, alors que celui de la Fête des tuiles avoisine les 300 000 euros. » L’ex-salarié ne souhaite pas en dire plus mais ne cache pas son amertume : « On a l’impression d’avoir été les dindons de la farce. »