FOCUS – Le meurtre d’Adrien Perez, tué de coups de couteau après avoir porté secours à des amis en train de se faire agresser à la sortie d’une boîte de nuit, a fait le tour des médias nationaux. Et suscité de nombreux commentaires, en particulier de la part de personnalités ou d’organisations d’extrême droite. Mais aussi, au niveau local, de nouvelles critiques sur la politique de sécurité menée par la municipalité rouge-verte de Grenoble.
C’est au sortir de la boîte de nuit Le Phoenix qu’Adrien Perez a été tué de plusieurs coups de couteau la nuit du samedi 28 juillet, alors qu’il portait assistance à ses amis en train de se faire agresser. Un fait divers de l’été de plus ? Pour beaucoup, le drame est aussi une nouvelle occasion de décrire une France en proie à la délinquance, ou de pointer du doigt l’action de la Ville de Grenoble en matière de sécurité.
Les auteurs présumés de l’agression sont en effet issus du quartier Teisseire. Deux frères ont ainsi été mis en examen et placés sous mandat de dépôt, tandis qu’un troisième homme, domicilié pour sa part à Saint-Martin-d’Hères, est également mis en examen mais reste en liberté sous contrôle judiciaire. Le Parquet de Grenoble avait fait appel de cette décision, finalement confirmée ce lundi 13 août par le procureur général de la Cour d’appel de Grenoble.
Nombre de voix se sont élevées pour commenter le drame. Celles de responsables politiques, autant que celles d’internautes. La consonance maghrébine des noms des jeunes auteurs présumés des violences suscite notamment des commentaires virulents. De même que la phrase prononcée par la mère, éplorée, d’Adrien Perez sur les ondes de RMC : « Nos enfants se font toujours assassiner, et par toujours les mêmes ».
La « fachosphère » se déchaîne
Les réactions proviennent en effet majoritairement d’élus classés à l’extrême droite, ou encore de comptes issus de ce que l’on appelle communément la « fachosphère », tels Français de souche ou Riposte Laïque. Pourtant très présent sur les questions de sécurité, le président des Républicains Laurent Wauquiez, également président de la Région Auvergne-Rhône-Alpes, n’a pour l’heure émis aucun commentaire. Un silence que d’aucuns ne manquent pas de lui reprocher, tout comme est critiquée l’absence de réaction de la part du président de la République.
Le mot le plus répandu ? « Racaille ». Popularisé par Nicolas Sarkozy en son temps, le terme se retrouve dans les tweets des responsables du Rassemblement national (ex-Front national) Marine Le Pen comme Nicolas Bay. Un Nicolas Bay qui, au passage, félicite la mère d’Adrien et son « toujours les mêmes » pour « sa lucidité » et appelle à en finir avec le « politiquement correct ». Le politiquement correct en question est pourtant largement aboli sur la Toile, où les injures racistes sont légion parmi les commentaires.
Manifestation identitaire à Grenoble
Nicolas Dupont-Aignan n’est pas en reste, lui qui, dès le 3 août, appelait à la « tolérance 0 », avant de fustiger cinq jours plus tard « l’omerta politico-médiatique autour de ce crime barbare ». Omerta ? Le Dauphiné libéré, France 3, France Bleu ou encore 20 Minutes ont pourtant bel et bien consacré des articles au fait divers dans les jours qui l’ont suivi. Quand bien même c’est avec l’organisation d’une marche blanche à Grenoble que l’affaire a pris de l’ampleur dans les médias nationaux.
Une marche blanche qui chagrine quelque peu Jacques Bompard : « Je n’ai jamais été adepte de ces cortèges païens qui oscillent entre la résignation fataliste et l’émotion parfois vide de sens », écrit ainsi le maire d’Orange. Pour qui Adrien Perez est une victime de « l’occupation ordinaire » et de « l’impunité meurtrière des mutants de la République ». Des thèmes très présents parmi les réactions sur la mort d’Adrien Perez.
Dans cette ambiance, la manifestation organisée par le mouvement Génération identitaire samedi 11 août n’a rien d’une surprise. Derrière une banderole « Justice pour Adrien » et devant une autre affichant « Génération anti-racaille », une centaine de personnes se sont rassemblées devant le palais de justice de Grenoble durant quelques minutes. Par la voix de son avocat, la famille d’Adrien Perez a immédiatement dénoncé une « récupération politique ».
Olivier Véran et Émilie Chalas fustigent la municipalité
Au niveau local, les élus ou responsables politiques donnent également de la voix, en prenant pour cible la municipalité grenobloise. Dans un communiqué commun, les députés En marche de l’Isère Olivier Véran et Émilie Chalas s’émeuvent du meurtre, en évoquant le « lot de violences inacceptables » au sein de la Métropole grenobloise. Et disent attendre « une réaction ferme du maire de Grenoble », tout en dénonçant « l’incompréhensible déni » de l’équipe municipale : « Il n’est plus acceptable d’entendre pour seule réponse du maire de Grenoble “la sécurité, c’est pas moi c’est l’État” ».
« La sécurité et la prévention de la délinquance font évidemment intégralement partie des compétences du maire, sinon à quoi bon même conserver une police municipale ? », écrivent ainsi les deux parlementaires. Évoquant de « nombreux leviers » à disposition de la Ville, sans pour autant les détailler, Olivier Véran et Émilie Chalas mentionnent encore la vidéo-surveillance ou « la gestion de l’éclairage public ». Avant d’inviter la municipalité grenobloise à travailler main dans la main avec l’État « pour répondre à une situation d’une extrême gravité ».
Républicains et Patriotes sur la même longueur d’ondes
L’ancien maire de Grenoble Alain Carignon martèle, lui aussi, ses critiques contre la Ville de Grenoble. « Qui […] lance des appels aux étrangers en situation irrégulière pour les accueillir, ne sanctionne jamais les familles que la collectivité héberge au Rondeau quand elles commettent des actes graves de délinquance ? Organise des expositions anti-police* pour justifier la culture de l’excuse des voyous ? », interroge-t-il ainsi au sein d’une longue anaphore.
Alain Carignon appelle encore, « par respect pour les victimes », les élus locaux à « arrêter leur blablabla », et profite de l’occasion pour renouveler ses propres propositions sécuritaires. Parmi lesquelles : l’expulsion des familles des dealeurs des logements sociaux, la vidéo-surveillance 24 heures sur 24, la « captation de l’immatriculation des véhicules volés », ou encore l’instauration d’une brigade canine comme d’une police montée.
À droite toujours, Richard Cazenave, conseiller municipal de Grenoble au sein du groupe Réussir Grenoble, lui emboîte le pas. Dénonçant « des faits qui, après bien d’autres, ensanglantent cette agglomération grenobloise soit disant “apaisée” », l’ancien député UMP de l’Isère chapitre « l’inertie, […] l’absence ou […] la mollesse des réactions des responsables publics pour dénoncer ces actes et dire non à la barbarie et à l’insécurité ». « Il ne suffit plus aujourd’hui de se plaindre de l’insuffisance des moyens consacrés par l’État aux diverses collectivités pour la sécurité », estime-t-il à son tour.
« Grenoble n’est pas une ville de Bisounours ! Pourtant on dirait bien que ces dirigeants se comportent comme tels ! », écrit pour sa part sur Facebook Mireille d’Ornano. L’ex-élue FN, aujourd’hui membre des Patriotes, conseillère municipale de Grenoble et députée européenne, accable ainsi le maire de Grenoble Éric Piolle et « l’inconscience de sa politique de sécurité, totalement hors-sol et coupée du réel ».
Stéphane Gemmani propose un « Grenelle de la sécurité »
Plus pondéré dans la forme, le conseiller régional d’opposition Stéphane Gemmani, candidat à la candidature pour les élections municipales de 2020 à Grenoble, rejoint ces critiques. « Une erreur a été commise en début de mandat. Celle de vouloir se dédouaner des compétences propres à la fonction et aux compétences d’un maire en matière de police », écrit-il dans un message diffusé sur les réseaux sociaux le dimanche 13 août.
Autrefois en phase avec Emmanuel Macron, Stéphane Gemmani se distingue une nouvelle fois du mouvement En marche en notant que « les députés n’ont pas non plus eu le résultat escompté ». En cause, selon lui ? Le ministre de l’Intérieur Gérard Collomb qui n’a pas intégré les villes de Grenoble, Échirolles et Saint-Martin-d’Hères dans son expérimentation de la Police de sécurité du quotidien.
« Mais objectivement, même si tous ces éléments avaient été réunis, aurions-nous évité de tels drames comme celui du 29 juillet ? », relativise encore le conseiller régional. Qui n’en (re)formule pas moins sa proposition de réunir l’ensemble des responsables autour d’un « Grenelle de la sécurité urbaine, où l’État et les différents acteurs politiques et associatifs locaux se réuniraient pour imaginer des solutions ensemble ».
L’adjoint Pascal Clouaire en première ligne
Quelle réponse de la Ville de Grenoble ? Au lendemain de la marche blanche, Éric Piolle écrivait sur les réseaux sociaux que « les élus étaient présents […] pour soutenir les proches d’Adrien Perez et dénoncer la banalisation de la violence ». Et signalait son intervention sur France info, « pour évoquer l’urgence d’augmenter les effectifs de la police dans notre agglomération ».
De quoi satisfaire les internautes ? Pas vraiment. Si les commentaires sur les réseaux sociaux ne préjugent en rien de l’opinion générale, force est de constater que les réactions aux publications du maire de Grenoble sont pour le moins acerbes… dans un “camp” comme dans l’autre. « Augmentation des effectifs de polices , très bien, mais faudrait aussi les laisser faire leur travail », écrit un internaute. « Non merci on veut pas plus de policiers, ils passent leur temps à nous taper dessus. Ce sont eux les vrais voyous a Grenoble », rétorque un autre…
Devant les caméras de BFM TV, l’adjoint de Grenoble en charge de la Démocratie locale Pascal Clouaire a pour sa part lancé un appel à Gérard Collomb, demandant un entretien « pour lui expliquer le plus précisément possible la situation de l’agglomération grenobloise, […] pour essayer de lui faire comprendre la nécessité pour nous d’avoir des effectifs supplémentaires en termes de police de proximité ». Combien d’effectifs ? « Au moins cinquante policiers supplémentaires », répond Pascal Clouaire à la journaliste de BFM.
Indisponible au moment où nous publions l’article, l’adjointe de Grenoble en charge de la Tranquillité publique Élisa Martin nous indique qu’elle s’exprimera très prochainement sur Place Gre’net. L’occasion pour elle de répondre aux nombreuses critiques adressées à la municipalité dans le sillage de l’affaire Perez. À suivre donc.
Florent Mathieu
* Alain Carignon fait référence à l’exposition consacrée au contrôle au faciès présentée sur la place Verdun au mois d’octobre 2017, dont des panneaux furent rapidement vandalisés.