TRIBUNE LIBRE – Depuis le 5 décembre 2017, plusieurs dizaines de migrants sont hébergés sur le campus de Saint-Martin-d’Hères au sein du bâtiment Le Patio. Soutenus par le collectif du Patio Solidaire, qui a récemment lancé une collecte en ligne, ils ont obtenu du conseil d’administration de l’Université Grenoble-Alpes de pouvoir demeurer sur place jusqu’à la fin de la trêve hivernale. Tandis que des mobilisations similaires voient le jour partout en France, le Patio Solidaire et d’autres “occupants” de Lyon, Nantes ou Poitiers, lancent un appel à la solidarité.
Le mouvement d’occupation qui agite les universités et les villes de France nous montre chaque jour un peu plus que les personnes exilées ne sont pas accueillies mais chassées, triées, criminalisées. Parvenu.e.s à passer les frontières de l’Europe forteresse, les exilé.e.s sont confronté.e.s à une politique migratoire qui assume publiquement la privation de leurs droits fondamentaux.
Être exilé.e en France aujourd’hui, c’est se voir refuser le droit au logement, au travail, à la scolarisation. C’est être la cible d’un harcèlement quotidien fait de violences policières et bureaucratiques. C’est devoir justifier à l’infini les causes d’un exil toujours considéré avec suspicion. C’est être réduit à un ensemble d’assignations discriminantes qui distinguent notamment “migrants économiques”, “migrants politiques” ou “mineurs isolés étrangers”. C’est vivre en permanence dans l’angoisse d’une expulsion brutale via la procédure Dublin, laquelle empêche tout projet d’installation dans le pays choisi.
Aux frontières et dans les villes, le “délit de solidarité” est employé par le gouvernement pour combattre juridiquement et policièrement les personnes qui les soutiennent. Médias et discours politiques entretiennent un climat anxiogène qui divise la population en faisant des exilé.e.s les nouveaux “ennemis intérieurs” (terroristes, violeurs, criminels, responsables du chômage…), justifiant le développement d’un État policier. Cette situation est la continuité des politiques coloniales, racistes et impérialistes qui ont fait de la France une “puissance mondiale”. La “Françàfric”, le franc CFA, les dettes injustes et les ventes d’armes aux dictatures ne sont que des exemples de ces politiques qui assurent le maintien d’un mode de vie extrêmement vorace en ressources entretenant misère économique, guerres et bouleversements climatiques.
À contre-courant d’une société toujours plus individualiste
De Villars-les-Dombes à Briançon, des métropoles aux campagnes, nous sommes nombreux-ses à nous organiser contre leur cynisme, à construire des solidarités par nos différentes luttes. Nos occupations ne s’inscrivent pas dans des démarches humanitaires, paternalistes et éducatives. Nous ne demandons pas la charité, mais exigeons l’égalité et la justice. Ces lieux de rencontre sont des laboratoires d’auto-organisation, des espaces d’échange de savoir-faire qui bouleversent quotidiens et pratiques d’accueil. Par la déconstruction des logiques de domination, ainsi que par l’action collective, nous tissons de nouvelles manières de vivre ensemble.
Partant du constat de l’échec des politiques publiques, nous proposons une alternative solidaire, bâtie avec l’expérience de toutes et tous. Nous réaffirmons l’inconditionnalité de l’accueil et des droits inaliénables pour toutes les personnes, qu’elles soient demandeuses d’asile, sans-papier, sans-abris, mineures ou majeures. Aucune frontière n’empêchera jamais les peuples de décider du lieu sur lequel ils souhaitent vivre. Pourquoi lorsqu’un français migre vers un pays africain pour travailler, il est nommé “expatrié” plutôt que ”migrant économique” ?
Nos pratiques souhaitent aller à contre-courant d’une société toujours plus individualiste, crispée et anxieuse. Nous dénonçons ensemble le discours de la peur, omniprésent et manipulateur. Discours qui participe de la déshumanisation des exilé.e.s, envisagé.e.s comme des envahisseurs ainsi qu’à l’inscription de l’état d’urgence dans le droit commun.
Un réseau de solidarités inter-occupations et inter-villes
En 2016, l’INSEE recensait 2,9 millions de logements vides en France. L’Etat peut les réquisitionner. A l’inverse, Lyon Métropole, comme d’autres agglomérations, fait le choix de dépenser 1,8 millions d’euros pour la surveillance de ses bâtiments vides. L’exclusion spectaculaire dont sont victimes toutes les personnes sans-abri n’est pas une fatalité mais un choix politique.
Nous appelons à développer un réseau de solidarités inter-occupations et inter-villes. Il s’agit maintenant de susciter une prise de conscience collective. Nous appelons à poursuivre et étendre les mouvements d’occupation dans les universités et ailleurs. Toutes les compétences sont nécessaires dans cette lutte qui se joue au quotidien. L’expérience nous apprend que la désobéissance civile est une stratégie efficace. Que chacun.e s’empare de ces questions. Elles nous concernent tous.tes
Nous appelons aussi à une convergence des luttes entre le mouvement contre la réforme de l’université et nos mouvements d’occupation. Ce sont les mêmes actionnaires, politiques et médias qui ont intérêt à sélectionner, que ce soit aux frontières de l’État ou à celles de la fac. Leurs intérêts communs entretiennent le racisme systémique et divisent celles et ceux qui subissent leur politique. Inspirons-nous des Nantais.e.s qui occupent aujourd’hui un château construit pour les négriers ; réquisitionnons les 11 millions de logements vides que compte l’Europe ; retrouvons-nous chaque fois que l’occasion d’exiger l’égalité se présente, comme ce sera le cas le 17 mars dans de nombreuses villes françaises !
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Rappel : Les tribunes publiées sur Place Gre’net ont pour vocation de nourrir le débat et de contribuer à un échange constructif entre citoyens d’opinions diverses. Les propos tenus dans ce cadre ne reflètent en aucune mesure les opinions des journalistes ou de la rédaction et n’engagent que leur auteur.
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