FOCUS – C’est une demande des CCI eux-mêmes, affirme la municipalité de Grenoble. Les membres des Conseils citoyens indépendants se voient proposer une formation par Sciences-Po Grenoble afin de les aider dans leur participation à la politique publique. Et peut-être décrocher un « certificat d’action citoyenne ».
« L’idée, c’est de simplifier. Et pour simplifier, il faut expliquer la complexité ». C’est ainsi que Pascal Clouaire, adjoint de Grenoble en charge de la Démocratie locale, présente la formation proposée aux membres des Conseils citoyens indépendants (CCI). Un cursus assuré par Sciences-Po Grenoble qui peut même déboucher sur un « certificat d’action citoyenne. »
Cette formation, Pascal Clouaire assure que ce sont les CCI eux-mêmes qui en ont fait la demande. « Les habitués de la participation connaissent très bien le fonctionnement institutionnel, mais les autres arrivent dans des instances que la Ville a voulu indépendantes, avec une complète autonomie d’action et d’organisation. Et ils sont perdus ! »
« Aider les citoyens à jouer un rôle »
Philippe Teillet, directeur des Études pour les Masters à Sciences-Po Grenoble et responsable de cette formation, va dans le même sens. « Il y a des gens qui connaissent bien les rouages des villes, des intercommunalités, des métropoles. Et d’autres, plus nombreux, qui sont loin de tout ça ou qui ont des connaissances partielles. »
« L’idée, continue Philippe Teillet, c’est d’aider ces citoyens à jouer un rôle actif en ayant suffisamment d’information sur les institutions locales et les grands enjeux d’une ville comme Grenoble dans sa Métropole. »
Et Pascal Clouaire de détailler les questions à se poser. « Qu’est-ce qu’une ville, comment ça fonctionne ? Comment les décisions sont prises ? Quelles sont les compétences d’une ville par rapport à une Métropole, ou les compétences d’une Métropole ? Ou encore, quels sont les liens entre une ville et une association ? »
De “l’instruction civique” à échelle locale nécessaire pour l’adjoint de Grenoble. « C’est important de connaître le circuit d’une décision de politique publique, souligne-t-il. On sait quand il faut agir, où et avec qui. Quelle est la place d’un adjoint, d’un maire… À partir du moment où je connais les compétences de la ville, je sais quels sont mes interlocuteurs si je veux développer un projet dans mon quartier. »
Un certificat de “bonne citoyenneté” ?
« Les élus sont valorisés par des indemnités, mais comment valoriser la participation des habitants qui vont s’investir et passer du temps dans les constructions des politiques publiques ? La certification vaut reconnaissance du temps passé et des compétences acquises », assure Pascal Clouaire. Libre ensuite à celui qui aura obtenu son certificat de le faire valoir ou non auprès de qui de droit.
Cette notion de certification n’est pas sans soulever certaines railleries, relayées notamment par Le Postillon. Avec son style sarcastique, la parution satirique s’interroge sur ce certificat : « Peut-être servira-t-il plus tard à trier les bons et mauvais citoyens, ceux qui ont le droit de rentrer dans le conseil municipal et ceux qui doivent rester dehors dans les gaz lacrymogènes ? »
Alors, un certificat de bonne ou de mauvaise citoyenneté ? La question fait littéralement bondir Pascal Clouaire. « C’est n’importe quoi ! Le statut de citoyen n’a rien à voir avec le fait de suivre une formation. La citoyenneté c’est une qualité qui donne un certain nombre de droits et de devoirs, on est citoyen et voilà. On ne remet pas en cause la Déclaration universelle des Droits de l’Homme et du Citoyen. Évitons d’aller là-dedans, surtout en ce moment ! »
Reste qu’une formation peut toujours aiguiller les pensées dans une direction plutôt qu’une autre. Là encore, Pascal Clouaire conteste vigoureusement. « La formation a pour objectif de donner des informations, d’expliquer comment fonctionnent les choses. En même temps qu’on donne des explications, on donne la critique des explications. Il ne s’agit pas d’une expérience de formation de militants, mais de donner à comprendre comment fonctionne le système. »
Formation… ou formatage ?
L’adjoint de Grenoble fait avant tout confiance aux membres des CCI eux-mêmes. « Ce sont des personnes qui ont un sens critique plutôt aiguisé. La formation, c’est aussi un lieu de discussion et d’échange, où chacun enrichit le débat avec son appareil critique. C’est un lieu où l’on essaye de distinguer les faits des opinions, de faire la part des choses. » Sans risque de formatage ? « Ils s’en rendraient compte ! », assure Pascal Clouaire.
Philippe Teillet prend un recul d’universitaire sur la question. « On peut vite passer de former à formater, c’est possible. Mais ce n’est pas notre but : personne n’a l’intention de les formater, mais au contraire de leur donner la capacité d’agir. Notre esprit c’est de donner des ressources. J’entends bien que le risque est possible, mais tout le monde est dans ce risque-là. On est plutôt à Sciences-Po sur une logique de former un esprit critique, quoi qu’en dise Le Postillon… »
Pourquoi Sciences-Po ?
Pourquoi le choix de Sciences-Po Grenoble ? « Sciences-Po s’est imposé naturellement, explique Pascal Clouaire. C’est l’école qui a toutes les compétences requises pour réaliser ce type de formation, et toute la légitimité également pour réaliser une certification. Ça nous paraissait évident de nous adresser à Sciences-Po, tout comme on s’adresse à l’Institut de géographie alpine quand il s’agit de travailler sur l’urbanisme… »
Et l’élu de rappeler que travailler systématiquement avec les compétences universitaires locales faisait partie des engagements de campagne du candidat Piolle en 2014. L’engagement 66 stipulait en effet « l’insertion de l’université dans la ville ». Mais Pascal Clouaire apparaît lui-même dans l’organigramme de Sciences-Po Grenoble, au titre de « chargé de mission Développement de la pédagogie numérique ». Jouera-t-il un rôle dans les formations des membres des CCI ? Absolument pas, assure-t-il.
« Cela ne fait pas partie de mes compétences. À Sciences-Po, je travaille sur le numérique et je suis responsable du Master Transmedia. Je rassure tout le monde : je n’interviens ni de près, ni de loin dans cette formation. Le choix de Sciences-Po Grenoble est logique et légitime : on ne va pas d’adresser à Sciences-Po Lyon pour former un certain nombre de personnes qui sont à Grenoble ! »
Un coût de 400 euros par candidats à la certification
Combien de personnes ? Une vingtaine aura participé à la journée socle, selon le site de la Ville, quand les 7 CCI de Grenoble comptent entre 10 et 20 membres chacune. La formation n’a, en effet, rien d’obligatoire. Pascal Clouaire estime le coût de cette journée de formation entre 500 et 1 000 euros, café compris.
Quant au suivi de la formation certifiante, le chiffre du nombre de participants n’est pas encore connu. C’est de lui que va par ailleurs dépendre le coût de cette formation. Fixé à 400 euros par personne s’il y a moins de cinq inscrits, il passe à 300 euros au-dessus. Une différence qui n’a rien de négligeable, la Ville prenant en charge la quasi-totalité des frais engagés.
80 euros restent donc à la charge du participant à la formation. Mais les CCI peuvent également choisir de financer cette part en prenant sur leurs fonds propres, précise encore Pascal Clouaire. Qui ajoute que ces formations seront assurées tous les ans, voire deux fois par an pour la “journée socle”, si le besoin se fait sentir.
« On y va de manière itérative, conclut l’adjoint à la Démocratie locale. Nous essayons une première formation socle, nous allons faire la formation certifiante, puis une évaluation. Nous allons ajuster en permanence en réalité. C’est expérimental. Et je ne suis pas sûr qu’il y ait en France beaucoup de formations comme celle-ci ! »
Florent Mathieu
DE LA JOURNÉE SOCLE À L’EXPOSÉ ORAL : PLUSIEURS ÉTAPES DE FORMATION
Concrètement, la formation se compose en différentes étapes. La première reposait sur une journée de formation « socle » qui s’est déroulée le samedi 7 janvier à la Maison des habitants Chorier. Une professeure de Droit public à Sciences-Po Grenoble y a présenté le système institutionnel local, autour des questions de décentralisation, d’intercommunalités et de démocratie locale. « Un programme coconstruit avec les CCI », assure Pascal Clouaire, qui évoque une « forte demande » autour de ces thématiques.
Mais les membres des CCI qui le désirent peuvent aller plus loin. Ainsi, l’étape suivante réside dans des « modules avancés » où seront abordées au cours de trois réunions des notions plus précises. Les membres des CCI pourront également assister à trois conférences organisées par Sciences-Po Grenoble, parmi le “catalogue” de conférences qu’elle propose.
Enfin, les plus valeureux pourront s’engager dans le « module de valorisation d’engagement citoyen ». « Le citoyen va faire le point sur ce qu’il a réalisé et les projets qu’il a portés, explique Philippe Teillet. Il est accompagné par un tuteur de Sciences-Po et présente un exposé oral. Cela permet à la fois d’avoir un accompagnement sur le fond avec un universitaire ou un chercheur, et aussi de donner une compétence à s’exprimer oralement. Et cela peut conduire à ce que l’on délivre un certificat d’action citoyenne, qui peut être valorisé sur un CV pour celui qui en a besoin. » Un certificat – et surtout pas un diplôme – qui vaut reconnaissance des efforts accomplis.