Alors que la pollution fait son retour dans la cuvette grenobloise, Bruxelles pourrait bien saisir la Cour de justice de l'Union européenne contre la France

Alors que la pol­lu­tion fait son retour à Grenoble, Bruxelles lève le ton

Alors que la pol­lu­tion fait son retour à Grenoble, Bruxelles lève le ton

FOCUS – Alors qu’une nou­velle fois, la qua­lité de l’air se dégrade dans l’agglomération gre­no­bloise, la France a‑t-elle mis en place des mesures suf­fi­santes pour lut­ter contre ses prin­ci­paux pol­luants atmo­sphé­riques ? La Commission euro­péenne pour­rait rapi­de­ment taper du point sur la table. Après maints avis moti­vés et autres mises en demeure, Bruxelles devrait très pro­chai­ne­ment sai­sir la Cour de jus­tice de l’Union européenne.

Pollution dans la cuvette grenobloise : pour la première fois, les véhicules les polluants (immatriculés avant 1997) seront interdits de circulation dès samedi 10 décembre. Lundi, avec la persistance du pic de pollution, l'interdiction devrait être élargie. Crédit Patricia Cerinsek

Pollution dans la cuvette gre­no­bloise. © Patricia Cerinsek

La Commission euro­péenne gronde. Alors que, condi­tions météo­ro­lo­giques aidant, Grenoble s’apprête à entrer dans un nou­vel épi­sode de pol­lu­tion de l’air aux par­ti­cules fines, Bruxelles pour­rait bien lever le ton et sai­sir la Cour de jus­tice de l’Union euro­péenne. Car si la qua­lité de l’air s’améliore dou­ce­ment dans l’Hexagone, ce n’est mani­fes­te­ment pas assez.

A Grenoble comme dans neuf autres zones en France dans le col­li­ma­teur de Bruxelles, les mesures mises en place ne sont, jusque-là, visi­ble­ment pas suf­fi­santes. Bref, il y a trop de par­ti­cules fines dans l’air, ces pous­sières qui dans les val­lées alpines sont majo­ri­tai­re­ment issues du chauf­fage indi­vi­duel au bois consi­déré comme « peu per­for­mant ».

Des pol­luants que Bruxelles sur­veille de près. Mais rien à faire. La Commission euro­péenne a beau avoir adressé une lettre de mise en demeure à la France (en 2009), un avis motivé (en 2010), une déci­sion de sai­sine de la Cour de jus­tice de l’Union euro­péenne non sui­vie d’effets (en 2011), une mise en demeure com­plé­men­taire (en 2013) sui­vie d’un nou­vel avis motivé (en 2015), les valeurs limites sont tou­jours régu­liè­re­ment dépassées.

La situa­tion ne s’a­mé­liore « pas assez »

Même topo pour le dioxyde d’azote, le NO2, essen­tiel­le­ment issu du tra­fic rou­tier. Ses niveaux sont régu­liè­re­ment dépas­sés dans quinze zones. A Grenoble aussi. La France a, là, éga­le­ment eu droit à une mise en demeure (en 2015). A ce rythme, et au vu du peu d’améliorations obser­vables, Bruxelles a semble-t-il épuisé tous les recours.

Enrico Brivio, porte-parole Environnement à la Commission européenne : Bruxelles lance une procédure d'infraction contre la France pour dépassements des seuils réglementaires NO2.

Enrico Brivio, porte-parole Environnement à la Commission euro­péenne. © Patricia Cerinsek

« La situa­tion en France s’améliore, mais ce n’est pas assez », confirme Enrico Brivio, porte-parole Environnement à la Commission européenne.

« On est en train d’évaluer si les amé­lio­ra­tions sont suf­fi­santes ou si, comme je le crains, la pro­cé­dure va conti­nuer. On en est à l’avis motivé. C’est la der­nière étape avant la sai­sine de la Cour euro­péenne de justice. »

La France n’est pas la seule à ne pas être dans les clous. Seize États membres sur vingt-huit ne res­pectent pas les valeurs limites euro­péennes en vigueur depuis 2005 pour les par­ti­cules fines. Douze pour le dioxyde d’azote. A chaque fois, l’Europe gronde. Mais la France s’en est, jusque-là, tou­jours sor­tie et n’a de fait jamais été condam­née à mettre la main à la poche.

Jusqu’à 200 mil­lions d’euros d’a­mende par an

Un cer­tain laxisme et une cer­taine inca­pa­cité à maî­tri­ser dans de nom­breuses agglo­mé­ra­tions les émis­sions de dioxyde d’azote et de par­ti­cules fines qui pour­rait bien faire sor­tir Bruxelles de ses gonds. A la clé ? Des peines d’amende qui pour­raient atteindre 200 mil­lions d’euros par an, d’après les esti­ma­tions du secré­ta­riat géné­ral des affaires européennes.

Enrico Brivio, porte-parole Environnement à la Commission européenne : Bruxelles lance une procédure d'infraction contre la France pour dépassements des seuils réglementaires NO2.

Enrico Brivio. © Patricia Cerinsek

« Le but de la Commission euro­péenne n’est pas d’aller jusqu’à la Cour euro­péenne de jus­tice et mettre des amendes mais de pous­ser les États membres à se mettre en règle et prendre des mesures plus effi­caces », sou­ligne Enrico Brivio à Bruxelles. A croire que le mes­sage n’a pas été com­plè­te­ment entendu… D’autant qu’en la matière, Bruxelles laisse les cou­dées franches.

Pas de mesures type, encore moins de recette miracle. Pas d’échéance non plus. « Ce n’est pas à nous de dire ce qui marche et ce qui ne marche pas », conti­nue le porte-parole de la Commission Junker. « C’est aux auto­ri­tés fran­çaises et locales de choi­sir les mesures à mettre en place. Ce n’est pas à nous de les dic­ter, même si l’on sait que l’on doit agir sur le tra­fic, la pol­lu­tion indus­trielle et le chauffage. »

Avec le risque que les États, tout occu­pés à échap­per aux foudres pécu­niaires, mettent en place des mesures peu voire pas opé­rantes, juste his­toire de satis­faire Bruxelles ? Grenoble et Paris sont, à ce jour, les seules villes en France à avoir mis en place la cir­cu­la­tion dif­fé­ren­ciée au moyen des vignettes auto Crit’air. Lyon cumule cir­cu­la­tion dif­fé­ren­ciée et cir­cu­la­tion alter­née. A Marseille, rien, comme à Toulon, pour­tant parmi les dix zones poin­tées par Bruxelles…

« Le but n’est pas appli­quer pour appli­quer cette légis­la­tion car ces par­ti­cules fines pro­voquent des mala­dies très sérieuses. Elles sont la cause de mala­dies car­dio-vas­cu­laires et res­pi­ra­toires, la pre­mière cause de mort envi­ron­ne­men­tale, plus que les acci­dents de la route. C’est pour cela que la Commission euro­péenne veut avoir des résul­tats et qu’il y a une ten­dance à la baisse de la pol­lu­tion. Après, c’est aux États membres de prendre des mesures… Mais je crois, et j’espère, que les auto­ri­tés locales vont choi­sir des mesures effi­caces. Ce sont elles les mieux pla­cées pour faire cette éva­lua­tion. » Elles vont peut-être devoir sérieu­se­ment allon­ger le pas…

Patricia Cerinsek

UNE PLAINTE DÉPOSÉE DEVANT LA COMMISSION EUROPÉENNE

Le 1er novembre 2016, le groupe d’analyse métro­po­li­tain avait porté plainte contre la France, la Métropole et la ville de Grenoble devant la Commission euro­péenne. En ques­tion ? Le non-res­pect de direc­tives euro­péennes rela­tives aux seuils d’émissions des par­ti­cules fines et aux dioxydes et oxydes d’azote.

Derrière, le Gam dénon­çait le sau­cis­son­nage d’études de reports de cir­cu­la­tion dans le cadre du pro­jet Cœurs de ville, cœurs de métro­pole qui se tra­dui­rait par le report de plus de 15 000 véhi­cules sur des axes déjà pol­lués « qui sont à la source de la pro­cé­dure en infrac­tion inten­tée par la Commission contre la France ». Également poin­tées du doigt, les mesures de lutte contre la pol­lu­tion à Grenoble jugées « insuf­fi­santes », un dis­po­si­tif ne s’enclenchant qu’au bout de cinq jours, régulé au moyen d’une vignette non obli­ga­toire.

« La plainte est en cours de trai­te­ment, répondent les ser­vices de la Commission euro­péenne, mais la ques­tion en tant que telle – la pol­lu­tion atmo­sphé­rique à Grenoble – est trai­tée dans le cadre d’une pro­cé­dure d’in­frac­tion en cours contre la France pour dépas­se­ments de limites de NO2. »

Quant au pro­jet de pié­ton­ni­sa­tion du centre-ville (CVCM), l’Europe ren­voie la balle dans le camp de la France. Pour résu­mer, si plainte il y a, elle doit d’a­bord être exa­mi­née par les auto­ri­tés judi­ciaires fran­çaises. Chose que n’a pas man­qué de faire le chef de file de l’op­po­si­tion métro­po­li­taine Métropole d’a­ve­nir après le vote du pro­jet par le Conseil de la Métro. Quatre recours ont été dépo­sés le 7 février devant le tri­bu­nal admi­nis­tra­tif de Grenoble. Dont deux réfé­rés-sus­pen­sion qui devraient être exa­mi­nés par le juge gre­no­blois le 1er mars.

Patricia Cerinsek

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