FOCUS – Alors qu’une nouvelle fois, la qualité de l’air se dégrade dans l’agglomération grenobloise, la France a‑t-elle mis en place des mesures suffisantes pour lutter contre ses principaux polluants atmosphériques ? La Commission européenne pourrait rapidement taper du point sur la table. Après maints avis motivés et autres mises en demeure, Bruxelles devrait très prochainement saisir la Cour de justice de l’Union européenne.
La Commission européenne gronde. Alors que, conditions météorologiques aidant, Grenoble s’apprête à entrer dans un nouvel épisode de pollution de l’air aux particules fines, Bruxelles pourrait bien lever le ton et saisir la Cour de justice de l’Union européenne. Car si la qualité de l’air s’améliore doucement dans l’Hexagone, ce n’est manifestement pas assez.
A Grenoble comme dans neuf autres zones en France dans le collimateur de Bruxelles, les mesures mises en place ne sont, jusque-là, visiblement pas suffisantes. Bref, il y a trop de particules fines dans l’air, ces poussières qui dans les vallées alpines sont majoritairement issues du chauffage individuel au bois considéré comme « peu performant ».
Des polluants que Bruxelles surveille de près. Mais rien à faire. La Commission européenne a beau avoir adressé une lettre de mise en demeure à la France (en 2009), un avis motivé (en 2010), une décision de saisine de la Cour de justice de l’Union européenne non suivie d’effets (en 2011), une mise en demeure complémentaire (en 2013) suivie d’un nouvel avis motivé (en 2015), les valeurs limites sont toujours régulièrement dépassées.
La situation ne s’améliore « pas assez »
Même topo pour le dioxyde d’azote, le NO2, essentiellement issu du trafic routier. Ses niveaux sont régulièrement dépassés dans quinze zones. A Grenoble aussi. La France a, là, également eu droit à une mise en demeure (en 2015). A ce rythme, et au vu du peu d’améliorations observables, Bruxelles a semble-t-il épuisé tous les recours.
« La situation en France s’améliore, mais ce n’est pas assez », confirme Enrico Brivio, porte-parole Environnement à la Commission européenne.
« On est en train d’évaluer si les améliorations sont suffisantes ou si, comme je le crains, la procédure va continuer. On en est à l’avis motivé. C’est la dernière étape avant la saisine de la Cour européenne de justice. »
La France n’est pas la seule à ne pas être dans les clous. Seize États membres sur vingt-huit ne respectent pas les valeurs limites européennes en vigueur depuis 2005 pour les particules fines. Douze pour le dioxyde d’azote. A chaque fois, l’Europe gronde. Mais la France s’en est, jusque-là, toujours sortie et n’a de fait jamais été condamnée à mettre la main à la poche.
Jusqu’à 200 millions d’euros d’amende par an
Un certain laxisme et une certaine incapacité à maîtriser dans de nombreuses agglomérations les émissions de dioxyde d’azote et de particules fines qui pourrait bien faire sortir Bruxelles de ses gonds. A la clé ? Des peines d’amende qui pourraient atteindre 200 millions d’euros par an, d’après les estimations du secrétariat général des affaires européennes.
« Le but de la Commission européenne n’est pas d’aller jusqu’à la Cour européenne de justice et mettre des amendes mais de pousser les États membres à se mettre en règle et prendre des mesures plus efficaces », souligne Enrico Brivio à Bruxelles. A croire que le message n’a pas été complètement entendu… D’autant qu’en la matière, Bruxelles laisse les coudées franches.
Pas de mesures type, encore moins de recette miracle. Pas d’échéance non plus. « Ce n’est pas à nous de dire ce qui marche et ce qui ne marche pas », continue le porte-parole de la Commission Junker. « C’est aux autorités françaises et locales de choisir les mesures à mettre en place. Ce n’est pas à nous de les dicter, même si l’on sait que l’on doit agir sur le trafic, la pollution industrielle et le chauffage. »
Avec le risque que les États, tout occupés à échapper aux foudres pécuniaires, mettent en place des mesures peu voire pas opérantes, juste histoire de satisfaire Bruxelles ? Grenoble et Paris sont, à ce jour, les seules villes en France à avoir mis en place la circulation différenciée au moyen des vignettes auto Crit’air. Lyon cumule circulation différenciée et circulation alternée. A Marseille, rien, comme à Toulon, pourtant parmi les dix zones pointées par Bruxelles…
« Le but n’est pas appliquer pour appliquer cette législation car ces particules fines provoquent des maladies très sérieuses. Elles sont la cause de maladies cardio-vasculaires et respiratoires, la première cause de mort environnementale, plus que les accidents de la route. C’est pour cela que la Commission européenne veut avoir des résultats et qu’il y a une tendance à la baisse de la pollution. Après, c’est aux États membres de prendre des mesures… Mais je crois, et j’espère, que les autorités locales vont choisir des mesures efficaces. Ce sont elles les mieux placées pour faire cette évaluation. » Elles vont peut-être devoir sérieusement allonger le pas…
Patricia Cerinsek
UNE PLAINTE DÉPOSÉE DEVANT LA COMMISSION EUROPÉENNE
Le 1er novembre 2016, le groupe d’analyse métropolitain avait porté plainte contre la France, la Métropole et la ville de Grenoble devant la Commission européenne. En question ? Le non-respect de directives européennes relatives aux seuils d’émissions des particules fines et aux dioxydes et oxydes d’azote.
Derrière, le Gam dénonçait le saucissonnage d’études de reports de circulation dans le cadre du projet Cœurs de ville, cœurs de métropole qui se traduirait par le report de plus de 15 000 véhicules sur des axes déjà pollués « qui sont à la source de la procédure en infraction intentée par la Commission contre la France ». Également pointées du doigt, les mesures de lutte contre la pollution à Grenoble jugées « insuffisantes », un dispositif ne s’enclenchant qu’au bout de cinq jours, régulé au moyen d’une vignette non obligatoire.
« La plainte est en cours de traitement, répondent les services de la Commission européenne, mais la question en tant que telle – la pollution atmosphérique à Grenoble – est traitée dans le cadre d’une procédure d’infraction en cours contre la France pour dépassements de limites de NO2. »
Quant au projet de piétonnisation du centre-ville (CVCM), l’Europe renvoie la balle dans le camp de la France. Pour résumer, si plainte il y a, elle doit d’abord être examinée par les autorités judiciaires françaises. Chose que n’a pas manqué de faire le chef de file de l’opposition métropolitaine Métropole d’avenir après le vote du projet par le Conseil de la Métro. Quatre recours ont été déposés le 7 février devant le tribunal administratif de Grenoble. Dont deux référés-suspension qui devraient être examinés par le juge grenoblois le 1er mars.