Joe D’Amato, réa­li­sa­teur fan­tôme entre gore et porno

Joe D’Amato, réa­li­sa­teur fan­tôme entre gore et porno

BLOG GEEK – Ouvrage publié par Artus Films, mai­son spé­cia­li­sée dans la résur­rec­tion de films de genre en DVD, Joe D’Amato le réa­li­sa­teur fan­tôme de Sébastien Gayraud revient sur la car­rière et la fil­mo­gra­phie de ce réa­li­sa­teur pro­li­fique. Du gore extrême au porno hard­core en pas­sant par le wes­tern, la comé­die ou le poli­cier, ce der­nier s’est forgé une (mau­vaise) répu­ta­tion unique dans l’his­toire du cinéma ita­lien comme mondial.

Les photographies de Joe D'Amato ne sont pas légion. Ici, son portrait sur Wikipedia.

Les pho­to­gra­phies de Joe D’Amato ne sont pas légion. Ici, son por­trait sur Wikipedia.

Au pan­théon des légendes du cinéma, figurent plu­sieurs caté­go­ries de réa­li­sa­teurs. Celle des réa­li­sa­teurs cultes, parmi les­quels des Fritz Lang, des Stanley Kubrick, des Alfred Hitchcok. Celle des réa­li­sa­teurs mau­dits, où pour­raient figu­rer des Tod Browning, des Pier Paolo Pasolini, pour­quoi pas un Lucio Fulci. Et même celle des réa­li­sa­teurs « ratés », auteurs de nanars ou de navets pas­sés à la pos­té­rité, tels des Edward Wood Jr. ou, dans une moindre mesure, des Roger Corman.

Joe D’Amato n’ap­par­tient à aucune de ces trois caté­go­ries. Il n’ap­par­tient pro­ba­ble­ment à aucune autre. Première par­ti­cu­la­rité qui lui vaut d’ores et déjà cette appel­la­tion de réa­li­sa­teur « fan­tôme » que lui attri­bue Sébastien Gayraud dans son ouvrage Joe D’Amato le réa­li­sa­teur fan­tôme.

« Il reste à la place qui a tou­jours été la sienne, celle d’un modeste arti­san, et per­sonne ne verra jamais en lui un auteur vision­naire. Il n’y a aucun « culte » autour de lui, tout juste une vague curio­sité », écrit-il encore.

Pourquoi, dans ce cas, lui consa­crer un ouvrage de plus de 300 pages ? La ques­tion ne se pose pro­ba­ble­ment pas en ces termes. La vraie ques­tion serait même : com­ment se fait-il que cet ouvrage soit le pre­mier, pas seule­ment en langue fran­çaise mais dans le monde entier, à consa­crer une étude au cinéma de Joe D’Amato ?

Débauches et abondances

Réalisateur de tous les excès, de toutes les audaces – par­fois les plus cra­pu­leuses – et de tous les vices, D’Amato offre au cinéma une fil­mo­gra­phie consé­quente et écla­tée, caché der­rière un si grand nombre de pseu­do­nymes que Sébastien Gayraud recon­naît lui-même qu’il est bien dif­fi­cile d’é­ta­blir une liste exhaus­tive de cha­cune de ses réalisations.

Relativement fiable, le site IMDB dénombre ainsi 197 films, mais com­ment ne pas le sus­pec­ter d’en oublier quelques-uns ? Oscillant entre cinéma de basse exploi­ta­tion, réa­li­sa­tions éro­tiques plus ou moins sty­lées, films d’hor­reur déviants ou grand-gui­gno­lesques et, natu­rel­le­ment, films por­no­gra­phiques pro­duits à la chaîne, le monde de Joe D’Amato semble échap­per par nature à tout recen­se­ment. Échappe-t-il en revanche à toute logique ? Ou même à toute virtuosité ?

Sans doute convient-il de com­men­cer par le com­men­ce­ment. Et, comme bien sou­vent, la meilleure manière de com­men­cer par le com­men­ce­ment est de com­men­cer… par la fin.

Joe D'Amato a parcouru tous les genres. Ici, La Mort a souri à l'assassin, <em data-lazy-src=

Joe D’Amato a quitté ce monde le 23 jan­vier 1999, à l’âge de 62 ans. Sa mort ne passa pas tota­le­ment inaper­çue auprès du grand public : quelques médias géné­ra­listes men­tion­nèrent la dis­pa­ri­tion d’un réa­li­sa­teur avant tout iden­ti­fié comme por­no­graphe che­vronné, et four­nis­seur d’un grand nombre de films éro­tiques dif­fu­sés alors sur M6 les dimanches soir.

Le poids de sa fil­mo­gra­phie autant que son ren­de­ment – par­fois huit films en une année – en fai­sait néces­sai­re­ment un sujet inso­lite, mais à trai­ter avec une iro­nie non dissimulée.
Vingt ans après, se sou­vient-on de Joe D’Amato ? La réponse est oui. L’obscur por­no­graphe n’est pas tombé dans l’ou­bli que cer­tains sans doute lui prédisaient.

Et ce ne sont pas ses films clas­sés X qui lui valent cette pos­té­rité. L’industrie por­no­gra­phique se dis­tingue par son besoin de renou­vel­le­ment constant : de nou­veaux films, et de nou­velles actrices. On pourra lire à ce pro­pos l’es­sai de Mathieu Trachman, Le Travail por­no­gra­phique (La Découverte).

Ainsi, rien ne vieillit plus mal, rien ne s’ou­blie plus vite qu’un film por­no­gra­phique. À l’ex­cep­tion de quelques clas­siques, géné­ra­le­ment fon­da­teurs du genre, qui sus­citent aujourd’­hui l’in­té­rêt pour des motifs bien plus ciné­ma­to­gra­phiques que sensuels.

Mais Joe D’Amato n’a pas signé de Devil In Miss Jones ou de Derrière la porte verte. Ses films X, ainsi que l’é­crit Sébastien Gayraud, ont pour seul objec­tif, par­fai­te­ment assumé, de rap­por­ter de l’argent.
Ce sont bien ses films d’hor­reur qui, eux, demeurent dans les mémoires des ama­teurs du genre, quand ses Nuits d’a­mour d’Antoine et de Cléopâtre ou ses Selen, l’af­faire de la jungle ne touchent plus guère que quelques nos­tal­giques – par ailleurs émi­nem­ment res­pec­tables – des pre­miers same­dis du mois dans les années 90.

S.O.S. Fantasmes

Des films d’hor­reur qui, pour cer­tains, n’ont pas man­qué de se mélan­ger au cinéma pour adultes, offrant ainsi des œuvres val­sant entre porno à l’an­cienne et film gore arti­sa­nal. Le plus connu d’entre ceux-là ? Porno Holocaust, natu­rel­le­ment. Bien moins d’ailleurs pour ses qua­li­tés nar­ra­tives ou esthé­tiques que pour son titre.

Mais l’on se doit de citer La Nuit fan­tas­tique des morts-vivants, ou Le notti ero­tiche dei morti viventi dans son titre ori­gi­nal. Remplacer « éro­tique » par « fan­tas­tique » est un choix de tra­duc­tion pour le moins auda­cieux, qui laisse craindre le pire pour la Chevauchée fan­tas­tique de John Ford ou la Symphonie Fantastique de Berlioz. Que cette fausse pudeur ne nous trompe pas : nous sommes en pré­sence d’un film d’hor­reur lar­ge­ment mâtiné de pornographie.

Même au sein de pro­duc­tions éro­tiques plus conven­tion­nelles, Joe D’Amato a bien du mal à ne pas lais­ser ses ins­tincts gores s’ex­pri­mer. Si le réa­li­sa­teur a fait abon­dam­ment vivre le per­son­nage emblé­ma­tique de Black Emanuelle, inter­pré­tée par la belle Laura Gemser (qui n’é­tait d’ailleurs pas du tout noire mais indo­né­sienne), il inclut au sein de ces œuvres des scènes pour le moins inat­ten­dues, et par­ti­cu­liè­re­ment violentes.

Porno Holocaust, aussi culte que médiocre.

Porno Holocaust, aussi culte que médiocre. DR

Sébastien Gayraud rap­pelle ainsi com­ment Emanuelle et Françoise (1975) est l’oc­ca­sion de scènes d’anthropophagie mon­daine fan­tas­mées par un per­son­nage main­tenu pri­son­nier et sujet à de vio­lents délires oniriques.

Plus mar­quant encore, Emanuelle et les der­niers can­ni­bales s’ins­crit tota­le­ment dans le cou­rant de la Cannibal Exploitation du cinéma bis, terme dési­gnant les séries B ou Z ita­liennes. Tortures rituelles, évis­cé­ra­tions, dévo­ra­tions d’a­bats humains et autres moments de convi­via­lité seront de la partie…

Joe D’Amato cultive le sor­dide et le macabre comme d’autres les tulipes. Sa pro­duc­tion se dis­tingue par un goût de l’ex­trême, une volonté d’al­ler tou­jours plus loin, qui fait le bon­heur des vidéos-clubs où les cas­settes VHS du réa­li­sa­teur s’af­fichent avec des slo­gans tapa­geurs. L’idée est tou­jours la même : ose­rez-vous regar­der ce film ?

Oserez-vous regar­der Anthropophagous, sa scène du fœtus (que nous ne décri­rons pas) ou d’au­to­pha­gie finale (que nous ne décri­rons pas non plus) ? Oserez-vous regar­der son Caligula 2, ver­sion encore plus osée du pre­mier opus attri­bué (contre son gré) à Tinto Brass, et qui ne man­quait déjà pas de vio­lence comme de sexe ?

Oserez-vous regar­der Blue Holocaust, sou­vent consi­déré comme le chef‑d’œuvre du réa­li­sa­teur, his­toire d’a­mour mor­bide d’un taxi­der­miste qui exhume le corps de sa bien-aimée pour l’embaumer, avant de se trans­for­mer en assas­sin dément ? – En ce qui me concerne, j’a­voue m’être contenté de sur­vo­ler le film, sans avoir le cou­rage de me plon­ger dans une atmo­sphère qui ferait pas­ser Les 120 Journées de Sodome pour un Walt Disney.

Voyage au bout du cinéma

Cependant, et même s’il ne goûte pas les outrances ou les vul­ga­ri­tés d’un Joe D’Amato voyeur et féti­chiste sans rete­nue, tout ciné­phile trou­vera néces­sai­re­ment plai­sir à lire l’ou­vrage de Sébastien Gayraud, à décou­vrir cette somme de tra­vail consé­quente qui for­cera autant l’ad­mi­ra­tion qu’elle enri­chira et pas­sion­nera son lecteur.

Les amoureux du nanar trouveront également leur bonheur dans la filmographie de Joe D'Amato.

Les amou­reux du nanar trou­ve­ront éga­le­ment leur bon­heur dans la fil­mo­gra­phie de Joe D’Amato. DR

Parce que Sébastien Gayraud cherche à dépas­ser la logique même de son sujet d’étude.

Et der­rière Joe D’Amato, ou la mul­ti­tude d’autres pseu­do­nymes dont le réa­li­sa­teur a usé et abusé au fil de sa car­rière, il déniche Aristide Massaccesi, homme de cinéma accom­pli, arti­san doué et pas­sionné par l’i­mage autant que par la pellicule.

Anonyme, oppor­tu­niste, sem­blant échap­per à toute théo­rie d’au­teur, Joe D’Amato a néan­moins déve­loppé dans ses films des thé­ma­tiques, des récur­rences nar­ra­tives ou esthé­tiques, des fan­tasmes obses­sion­nels. En somme un uni­vers qui lui est propre et dans lequel l’au­teur nous invite à voyager.

Redonnant vie avec cou­rage et pas­sion à un réa­li­sa­teur fan­tôme que l’on aurait pu croire condamné à errer dans les limbes d’un cinéma dis­paru, l’ou­vrage offre encore l’oc­ca­sion de par­ler du Giallo, du Mondo, de la Cannibal Exploitation, des comé­dies fri­ponnes trans­al­pines, de l’é­ro­tisme des années 70 ou de l’ap­pa­ri­tion de la por­no­gra­phie comme genre à part entière…

Bref, de tout un pan de l’in­dus­trie du cinéma ita­lien et de ses acteurs et réa­li­sa­teurs poly­morphes, four­nis­sant à la chaîne des films peu coû­teux sans se sou­cier de pla­gier, de copier, sinon de piller les images des autres.

On peut repro­cher à l’au­teur quelques fautes d’or­tho­graphe qui par­fois viennent pol­luer la lec­ture – cette manie de confondre « censé » et « sensé » irrite à force. Et l’on trou­vera peut-être dom­mage, du moins est-ce mon cas, que la per­son­na­lité voire la vie de famille de Joe D’Amato, qui inter­rogent for­cé­ment face à la teneur de son ima­gi­naire, n’aient pas été creu­sées plus avant.

Une affiche magnifique pour un film dont les excès auront marqué son époque.

Une affiche magni­fique pour un film dont les excès auront mar­qué son époque. DR

Malgré ces (légères) réserves, on ne peut qu’in­vi­ter les amou­reux de cinéma à se lais­ser aller à la curio­sité et à se plon­ger dans un ouvrage qui peut se révé­ler aussi drôle que per­ti­nent, désa­mor­çant par l’hu­mour les résu­més de films les plus sca­breux, et sachant prendre de la dis­tance avec son sujet sans jamais tom­ber dans la raille­rie facile.

Joe D’Amato en a trop fait pour être ignoré. Parmi les ano­nymes, parmi les fan­tômes d’une indus­trie bou­li­mique aujourd’­hui dis­pa­rue, il méri­tait plus que tout autre qu’on lui consacre une étude de vrai ciné­phile, cer­tai­ne­ment pas exhaus­tive – à l’im­pos­sible nul n’est tenu – mais remar­quable par sa den­sité et son exigence.

Florent Mathieu

couverture

Joe D’Amato, le réa­li­sa­teur fantôme
de Sébastien Gayraud

Artus Films
350 pages, 39 euros

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