Jean-Paul Bonnetain, ancien préfet de police des Bouches-du-Rhône, et nouveau préfet de l'Isère, en remplacement de Richard Samuel. © INHESJ

Charvieu-Chavagneux : des juristes citoyens sai­sissent le préfet !

Charvieu-Chavagneux : des juristes citoyens sai­sissent le préfet !

BLOG JURIDIQUE – Après l’adoption de la déli­bé­ra­tion de Charvieu-Chavagneux actant la volonté de la com­mune de n’accueillir que des réfu­giés chré­tiens, des juristes enga­gés, appren­tis ou confir­més, demandent offi­ciel­le­ment à la pré­fec­ture de mettre en œuvre une pro­cé­dure de déféré préfectoral.

Les drapeaux sur le fronton de la mairie de Charvieu-Chavagneux dans le Nord-Isère.

Les dra­peaux sur le fron­ton de la mai­rie de Charvieu-Chavagneux dans le Nord-Isère.

Chers lec­teurs,

Dans un pré­cé­dent billet, j’in­di­quais à quel point la déci­sion de la com­mune de Charvieu-Chavagneux sem­blait contraire à la légalité…

Samedi 19 sep­tembre, une demande ten­dant à la mise en œuvre d’un déféré pré­fec­to­ral, c’est-à-dire ten­dant à ce que le pré­fet sai­sisse le tri­bu­nal admi­nis­tra­tif de Grenoble aux fins d’ob­te­nir la sus­pen­sion puis l’an­nu­la­tion de cette déli­bé­ra­tion, a été envoyée à la sous-pré­fec­ture de Vienne et à la pré­fec­ture de l’Isère.

Elle a été rédi­gée et signée par Clara Durand, Alicia Goncalves, Leïla Ismailil, Prisca Keo, Océane Locqué, Marie Mazenot, Emilie Naton, Romain Rambaud, Reyman Remtola et Marine Roche.

La demande de déféré pré­fec­to­ral en question :

Monsieur le pré­fet, Madame le sous-préfet,

Le 8 sep­tembre 2015, le conseil muni­ci­pal de la com­mune de Charvieu-Chavagneux a adopté une déli­bé­ra­tion, à l’unanimité, concer­nant l’accueil de familles de réfu­giés, déli­bé­ra­tion qui laisse appa­raître un doute sérieux quant à sa léga­lité. Les médias s’en sont d’ailleurs fait l’écho. Cette déli­bé­ra­tion, qui doit vous être trans­mise afin d’être exé­cu­toire, devrait être nor­ma­le­ment reçue en pré­fec­ture dans les jours qui viennent, si ce n’est pas déjà le cas. À défaut, nous vous prions de bien vou­loir deman­der aux ser­vices de la com­mune de vous la trans­mettre immé­dia­te­ment (article L. 2131 – 1 CGCT).

téléchargement (2)

Il convien­dra, en vertu de l’article 72 de la Constitution et de la loi n° 82 – 213 du 2 mars 1982 rela­tive aux droits et liber­tés des com­munes, des dépar­te­ments et des régions, d’exercer votre mis­sion en appré­ciant la léga­lité de cet acte, puis d’utiliser la pro­cé­dure de déféré afin que ce der­nier soit sus­pendu par le tri­bu­nal administratif.

Nous vous deman­dons de faire appli­ca­tion en urgence de l’article L. 2131 – 6 CGCT, en vertu duquel « Le repré­sen­tant de l’État dans le dépar­te­ment défère au tri­bu­nal admi­nis­tra­tif les actes men­tion­nés à l’ar­ticle L. 2131 – 2 qu’il estime contraires à la léga­lité dans les deux mois sui­vant leur trans­mis­sion […] Le repré­sen­tant de l’État peut assor­tir son recours d’une demande de sus­pen­sion. Il est fait droit à cette demande si l’un des moyens invo­qués paraît, en l’é­tat de l’ins­truc­tion, propre à créer un doute sérieux quant à la léga­lité de l’acte atta­qué. Il est sta­tué dans un délai d’un mois ».

Nous sou­hai­tons plus pré­ci­sé­ment encore nous pré­va­loir de l’alinéa de cet article en vertu duquel « Lorsque l’acte atta­qué est de nature à com­pro­mettre l’exer­cice d’une liberté publique ou indi­vi­duelle, le pré­sident du tri­bu­nal admi­nis­tra­tif ou le magis­trat délé­gué à cet effet en pro­nonce la sus­pen­sion dans les qua­rante-huit heures ».

En effet, il se trouve que cette déli­bé­ra­tion du conseil muni­ci­pal de la com­mune de Charvieu-Chavagneux est illé­gale en de nom­breux points :

1. La déli­bé­ra­tion en cause viole le prin­cipe d’égalité

téléchargement (1)Tout d’abord, l’article 1er de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 dis­pose que « Les Hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les dis­tinc­tions sociales ne peuvent être fon­dées que sur l’u­ti­lité com­mune ». L’article 10 de cette même décla­ra­tion affirme que « nul ne doit être inquiété pour ses opi­nions, même reli­gieuses, pourvu que leur mani­fes­ta­tion ne trouble pas l’ordre public éta­bli par la Loi ».

Cette décla­ra­tion fait par­tie inté­grante du bloc de consti­tu­tion­na­lité (Conseil consti­tu­tion­nel, Liberté d’association, 1971 ; Conseil consti­tu­tion­nel, Taxation d’office, 1973). En outre, l’article 1er de la Constitution dis­pose « la France est une République indi­vi­sible, laïque, démo­cra­tique et sociale ».

S’agissant de Grenoble en par­ti­cu­lier et d’une cir­cu­laire dis­cri­mi­na­toire visant les Roms, le juge admi­nis­tra­tif a déjà jugé que « si le ministre sou­tient qu’elle a été édic­tée dans le but d’assurer le res­pect du droit de pro­priété et de pré­ve­nir les atteintes à la salu­brité, la sécu­rité et la tran­quillité publiques, cette cir­cons­tance ne l’autorisait pas à mettre en œuvre, en mécon­nais­sance du prin­cipe d’égalité devant la loi, une poli­tique d’évacuation des cam­pe­ments illi­cites dési­gnant spé­cia­le­ment cer­tains de leurs occu­pants en rai­son de leur l’origine eth­nique » (Conseil d’État, SOS Racisme, 7 avril 2011, n° 343387).

De plus, la Convention euro­péenne de sau­ve­garde des droits de l’Homme, rati­fiée par la France, contient trois articles prin­ci­paux concer­nant la dis­cri­mi­na­tion. En pre­mier lieu, l’article 14 dis­pose que « La jouis­sance des droits et liber­tés recon­nus dans la pré­sente Convention doit être assu­rée, sans dis­tinc­tion aucune, fon­dée notam­ment sur le sexe, la race, la cou­leur, la langue, la reli­gion… », l’article 26 repre­nant les mêmes termes. Enfin, l’article 9 affirme que « Toute per­sonne a droit à la liberté de pen­sée, de conscience et de reli­gion ».

En l’espèce, la com­mune de Charvieu-Chavagneux entend accueillir une famille de réfu­giés, « à la condi­tion expresse » que ce soit une famille de culture et de reli­gion chré­tienne (voir corps du texte et article 2 du dis­po­si­tif de la déli­bé­ra­tion, selon lequel « Ledit accueil est réservé à une famille de culture et de reli­gion chré­tienne »).

De ce fait, les familles ayant une confes­sion dif­fé­rente ne pour­ront pas pré­tendre à un accueil de cette com­mune. Par ailleurs, le conseil muni­ci­pal explique sa volonté d’accueillir une famille chré­tienne en vertu d’un rai­son­ne­ment qui repose sur un amal­game entre les musul­mans et le ter­ro­risme, alors que les familles chré­tiennes sont sup­po­sées dif­fé­rentes : « Considérant, en pre­mier lieu, que les chré­tiens ne mettent pas en dan­ger la sécu­rité d’au­trui ; qu’ils n’at­taquent pas les trains armés de kalach­ni­kov, qu’ils n’a­battent pas des jour­na­listes réunis au sein de leur rédac­tion et qu’ils ne pro­cèdent pas à la déca­pi­ta­tion de leur patron comme nous l’a­vons vu à quelques kilo­mètres de notre com­mune ». Une telle dif­fé­rence de trai­te­ment est tota­le­ment illégale.

2. La déli­bé­ra­tion viole le prin­cipe de laïcité

Les articles pré­ci­tés de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen et l’article 1er de la Constitution posent éga­le­ment le prin­cipe de laï­cité. Le conseil consti­tu­tion­nel en a dégagé les notions de « neu­tra­lité de l’État », de « res­pect de toutes les croyances » et d’« éga­lité de tous les citoyens devant la loi sans dis­tinc­tion de reli­gion » (Conseil consti­tu­tion­nel, asso­cia­tion pour la pro­mo­tion et l’expansion de la laï­cité, n° 2012-297 QPC, 21 février 2013).

Republique_laiqueOr, la déli­bé­ra­tion en cause mécon­naît fron­ta­le­ment ce prin­cipe. En pre­mier lieu, en se fon­dant sur l’appel du Pape puisqu’elle s’ouvre sur le consi­dé­rant sui­vant : « Considérant que le dimanche 6 sep­tembre, le Pape François a invité les paroisses catho­liques d’Europe à accueillir cha­cune une famille de réfu­giés, en réponse à la situa­tion huma­ni­taire insou­te­nable des pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient ».

En deuxième lieu, en s’appuyant sur une ordon­nance de Saint-Louis du 24 mai 1250 selon laquelle « Pour nous et nos suc­ces­seurs sur le trône de France, nous pro­met­tons de vous don­ner à vous et à tout votre peuple notre pro­tec­tion spé­ciale comme nous la don­nons aux Français eux-mêmes », inter­pré­tée par la com­mune de Charvieu-Chavagneux de la manière sui­vante : « cette pro­messe a tra­versé les siècles, fai­sant de la France une fidèle pro­tec­trice des chré­tiens d’Orient, et ce jus­qu’à l’in­dé­pen­dance du Liban en pas­sant par les « Capitulations » de François Ier ou encore la pro­tec­tion accor­dée par Napoléon III aux chré­tiens maro­nites ; qu’il en résulte que la France se doit d’a­gir, aujourd’­hui et spé­cia­le­ment dans ce contexte de crise huma­ni­taire, en faveur des chré­tiens d’Orient ».

Cette pro­messe est évi­dem­ment deve­nue obso­lète, la France étant désor­mais un État laïc. En troi­sième lieu, cette déli­bé­ra­tion mécon­naît le prin­cipe de laï­cité en tant qu’elle intro­duit une dis­cri­mi­na­tion fon­dée sur la reli­gion (voir ci-dessus).

3. La déli­bé­ra­tion en cause est frap­pée d’incompétence

Enfin, la déli­bé­ra­tion est frap­pée d’incompétence pour deux raisons.

D’une part, celle-ci inter­vient dans le domaine de la police admi­nis­tra­tive défi­nie à l’article L. 2212 – 2 CGCT. La police admi­nis­tra­tive relève uni­que­ment de la com­pé­tence du maire et le conseil muni­ci­pal n’est pas com­pé­tent pour adop­ter une mesure de police.

images (1)L’arrêt Abbé Couvenhes du 16 juillet 1915 a jugé que le conseil muni­ci­pal avait empiété sur les pou­voirs du maire en déli­bé­rant sur un sujet rele­vant du domaine de la police admi­nis­tra­tive, la déli­bé­ra­tion ayant alors été consi­dé­rée comme nulle. Par ailleurs, l’arrêté du pré­fet de Charentes du 30 jan­vier 1913, par lequel il refu­sait de décla­rer la nul­lité de la déli­bé­ra­tion en cause, avait été annulé éga­le­ment. La même solu­tion a été ren­due dans un arrêt Sieur Souillac de 1934.

Or, la pré­sente déli­bé­ra­tion viole ce prin­cipe en esti­mant « qu’eu égard à ces consi­dé­ra­tions, il y a lieu de faire appli­ca­tion du prin­cipe de pré­cau­tion en matière de sécu­rité, mis­sion essen­tielle du maire en tant que garant de l’ordre public ».

D’autre part, aucun article du code géné­ral des col­lec­ti­vi­tés ter­ri­to­riales ne confie au conseil muni­ci­pal la com­pé­tence pour déter­mi­ner quelle doit être l’organisation de la répar­ti­tion des réfu­giés sur le ter­ri­toire fran­çais, qui ne relève pas des affaires locales mais bien des affaires natio­nales, d’après le code de l’en­trée et du séjour des étran­gers et du droit d’a­sile (Ceseda).

Or, en l’espèce, nous pou­vons obser­ver que le conseil muni­ci­pal de Charvieu-Chavagneux mani­feste la volonté d’empiéter sur les com­pé­tences de l’État en affir­mant « qu’il convien­drait, à notre tour et à la mesure de notre com­mune, de pal­lier la poli­tique étran­gère irres­pon­sable de l’État en accueillant une famille de réfu­giés ».

4. L’inaction de la pré­fec­ture pour­rait enga­ger sa responsabilité

Enfin, nous nous per­met­tons de vous rap­pe­ler que vous enga­gez votre res­pon­sa­bi­lité pour faute lourde si vous pre­nez la déci­sion de ne pas défé­rer un acte dont l’illégalité res­sort avec évi­dence (CE, 6 oct. 2000, ministre de l’Intérieur contre com­mune de Saint-Florent et autres n° 205959).

Nous vous deman­dons donc de défé­rer cette déci­sion au tri­bu­nal admi­nis­tra­tif afin qu’elle soit sus­pen­due puis annu­lée dans les plus brefs délais.

Romain Rambaud

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