DÉCRYPTAGE – Nouveau rebondissement concernant le campement Esmonin, bidonville aux portes de Grenoble. Après l’annonce de son démantèlement, puis le recours devant le tribunal administratif pour ordonner son évacuation, Eric Piolle demande désormais à François Hollande, dans un courrier daté du 7 juillet 2015, de prendre ses responsabilités et de ne pas « abandonner ces familles ». Une lettre cosignée par un certain nombre d’acteurs locaux, notamment religieux, ce qui n’a pas manqué de faire réagir… Le maire s’explique.
« Il est essentiel que l’État demeure le garant de la justice sociale et de la dignité humaine. » Ainsi se conclut la lettre qu’Éric Piolle a publiquement adressée à François Hollande, le 7 juillet dernier, pour interpeller les services de l’État sur la question du relogement des Roms “résidant” actuellement au sein du campement d’Esmonin. L’épineux dossier prend donc une nouvelle dimension, après les rebondissements de ces dernières semaines.
À la surprise générale, le maire de Grenoble avait en effet annoncé, en mai dernier, le démantèlement de ce camp que plus personne n’hésite à qualifier de bidonville. Estimant que les conditions de vie de ses habitants se dégradaient et que des réseaux mafieux commençaient à s’y infiltrer, Éric Piolle s’était tourné vers le tribunal administratif pour que celui-ci en ordonnât l’évacuation, avec le recours aux forces de l’ordre.
Fin de non-recevoir
Une demande rejetée le 8 juillet par la justice, qui fait remarquer que le maire a toute compétence pour procéder à ce démantèlement et doit d’abord prendre un arrêté d’expulsion avant de réclamer l’aide de l’État.
L’opposition n’a d’ailleurs pas manqué de « saluer » les conclusions du tribunal avec une certaine acrimonie. « Soit l’amateurisme guide la conduite juridique du maire, soit cette procédure avortée est la base d’une manipulation politique destinée à tromper les Grenoblois sur la volonté politique de mettre fin à cette occupation », écrit ainsi le Modem dans un communiqué. Tandis qu’au Front national, Mireille d’Ornano fustige des lois votées par la droite comme la gauche, accusées de créer les conditions « pour que nous soyons envahis de personnes qui n’ont aucun avenir sur notre territoire autre que l’assistance sociale ».
La Ville de Grenoble, de son côté, ne s’émeut pas outre-mesure de ces conclusions. Estimant que la justice lui a donné raison « sur le fond », elle annonce attendre les conclusions du tribunal de grande instance, également saisi de la question.
La jeunesse, cause nationale
C’est dans ce contexte pour le moins houleux, où certains – parmi lesquels les anciens maires Alain Carignon et Michel Destot – reprochent à Éric Piolle de se défausser de ses responsabilités, que la lettre adressée à François Hollande a donc été rendue publique.
Une missive dans laquelle il est demandé à l’État de trouver des solutions d’hébergement aux quatre cents personnes occupant le campement d’Esmonin.
La lettre prend cependant le parti de dépasser le simple champ administratif pour évoquer une vision sociale d’ensemble, rappelant à François Hollande son annonce sur la jeunesse, « grande priorité » de son quinquennat, pour mieux le prendre au mot : « Aujourd’hui (…), la population du bidonville dit « camp d’Esmonin », dont la moitié sont des enfants, se tourne vers vous ».
« À quelques semaines de l’évacuation du campement, ensemble, nous tirons la sonnette d’alarme : une fois encore, aucun dispositif d’État n’est prévu pour mettre dignement à l’abri les personnes qui souhaitent s’intégrer. De fait, toutes les conditions sont réunies pour qu’à nouveau des drames humains éclatent. Les deux cents enfants seront les premières victimes. »
Pourquoi insister autant sur la jeunesse ? « C’est lié au regard que l’on porte sur le futur, nous répond Éric Piolle. L’espoir d’avoir une société en transition et en progrès. Si l’on suit les pentes de la violence, de destruction des solidarités, on ne sait pas où cela nous entraîne mais on sait que l’abîme est profond, sans fond. C’est cela qui nous mobilise, qui porte un message à la fois pour le présent et pour demain. »
L’union sacrée
Rien de surprenant dès lors que, dans son courrier, la Ville de Grenoble évoque sa vision d’un avenir fait de migrations auxquelles l’Europe devra faire face, d’une manière ou d’une autre. Le propos se veut autant pragmatique qu’historique ou philosophique, raison pour laquelle – selon Éric Piolle – il est cosigné par plusieurs dignitaires religieux. En l’occurrence, l’évêque de Grenoble Guy de Kerimel, le rabbin de Grenoble Nissim Sultan, le secrétaire général du diaconat protestant Jean-Marc Lefebvre ou encore Riad Azouni du Conseil des imams de l’Isère.
« Nous échangeons sur ces questions depuis plusieurs mois et je crois que le message sur le progrès humain leur tient à cœur, estime Eric Piolle. Ils souhaitent contribuer à ce que les discours sur les plus faibles soient des discours bienveillants, et disent quelque chose sur la façon dont on se traite soi-même. » Si la lettre est également signée par des représentants du monde associatif – Francis Silvente de la Fnars et Guy Brachet du Secours catholique –, ce sont bien les autorités religieuses qui apparaissent au premier plan. Et qui ont accepté, nous dit-on à la mairie, de signer avec enthousiasme.
Une implication des trois grandes religions monothéistes qui suscite quelques émois. Pour le Parti socialiste, à travers la voix du Groupe des élus de gauche et du progrès, le maire de Grenoble « instrumentalise la signature des autorités religieuses pour bénéficier de leur moralité et de leur respectabilité. (…) Il fait ainsi fi des principes les plus élémentaires de distinction entre le religieux et le politique qui est la base de la laïcité ».
Jo Briant, porte-parole de la Coordination iséroise de solidarité avec les étrangers migrants (Cisem) juge, pour sa part, « bizarre » la présence de ces cosignataires religieux. « Je ne vois pas très bien ce que viennent faire les religions dans ce genre d’interpellation. C’est une sorte de caution morale qui me paraît un peu étonnante. Je pense qu’il ne faut pas tout mélanger ! », nous confie-t-il, tout en se défendant d’être un « laïcard ».
« Non à la destruction sans garantie de relogement »
C’est bien pour d’autres raisons que Jo Briant n’a pas souhaité signer cette lettre, ce qu’on lui a pourtant proposé. Grande faiblesse du texte à ses yeux : il ne remet pas assez en cause la politique gouvernementale.
Et l’acteur associatif de se désoler du manque de coopération entre les institutions :
« Il est clair, depuis un bon moment, qu’il n’y a aucune volonté collective de la part de l’État, du Conseil départemental, de la Métro et des communes de l’agglomération d’affronter le problème et de faire en sorte que ceux qui seront expulsés soient relogés. Le droit à l’hébergement est un droit fondamental. Nous disons non à la destruction du camp sans garantie de relogement pour tous ! »
Si la lettre n’a pas obtenu de réponse officielle de la part de la présidence de la République, elle a au moins permis des « contacts », nous dit le maire. Avant de confirmer que le démantèlement « dans quelques semaines » du campement d’Esmonin demeure une réalité.
« Mais nous voulons éviter impérativement – et c’est pour cela qu’on se démène – ce qui a été vécu jusqu’à présent, quand La Tronche a été évacuée, puis Saint-Martin-le-Vinoux, etc. Au moment où les conditions sanitaires, les conditions de risques et les conditions de prédation des mafias deviennent ingérables, on déplace le problème. Il faut arrêter cela ! »
Florent Mathieu
A lire aussi sur Place Gre’net :
Bidonville à Grenoble : un démantèlement sous le feu des critiques
Camps roms : sortir de la situation par le haut ?
École : le difficile cursus des enfants roms dans l’agglo