REPORTAGE – Tous les dimanches, des bénévoles de l’association la Tente des glaneurs montent une grande tente devant le collège Fantin-Latour. Placés stratégiquement entre le marché Saint-Bruno et celui de l’Estacade, ils récupèrent les invendus des commerçants pour les distribuer à des personnes en situation de précarité mais pas seulement.
Ce dimanche midi de mai, ils sont cinq à s’activer devant la grille du collège Fantin-Latour et à installer l’abri pliable de la Tente des glaneurs. Cette franchise de l’association mère lilloise ne recherche pas spécialement la publicité, c’est le moins que l’on puisse dire. Car si des reportages télévisés lui ont fait gagner en visibilité, ils ont aussi généré des difficultés sur le terrain.
« Des gens arrivent avec leur kit », explique Mama, membre de l’association. Malintentionnés, certains ont essayé d’exploiter la structure politiquement ou religieusement. Et il y a une réelle difficulté, selon elle, à « occuper un espace public de façon totalement laïque ». D’autres ont même proposé d’en faire un business rentable. La médiatisation du glanage semble ainsi nuire à sa pratique, par définition « totalement gratuite ».
Le glanage, phénomène de mode
13 heures. Jérôme, l’un des membres de l’association, part vers le marché de l’Estacade pour “glaner” du côté producteurs locaux. Il vient environ une fois par mois depuis Saint-Hilaire du Touvet (à 27 km de Grenoble) pour donner un coup de main à la Tente des glaneurs et ce depuis six mois.
A en croire Jérôme, le glanage est devenu “un truc à la mode” pour une partie de la population. Certaines personnes viennent ainsi glaner, alors qu’elles ont les moyens d’acheter sur les marchés, contrairement à d’autres qui sont vraiment dans le besoin, ce qui pose parfois problème.
Jérôme, bénévole au sein de l’association, explique la démarche de La tente des glaneurs tout en faisant le tour du marché.
Pendant la collecte des bénévoles auprès des distributeurs et des producteurs, quelques dames âgées attendent assises sur des chaises. Visiblement trop fatiguées pour pratiquer le glanage. C’est d’ailleurs suite à la demande de personnes qui ne pouvaient plus physiquement glaner que la Tente des glaneurs a vu le jour à Grenoble, en mars 2013.
Une fois le glanage réalisé, les produits récupérés sont triés par poids et par catégories pour éviter les écrasements dans les sacs.
Il est 13 h 40. Les marchés Saint-Bruno et de l’Estacade sont terminés. Viendra bientôt l’heure de la redistribution.
Sara, étudiante, arrive en avance. C’est la première fois qu’elle vient. Deux camarades de fac lui ont donné rendez-vous. Au terme de glanage, elle préfère celui de “récup”. « La plupart des étudiants font de la récup », explique-t-elle.
Très au courant des pratiques dans l’agglomération, elle précise que les étudiants vont sur les marchés, ceux-ci n’étant « pas trop investis par les Roms », contrairement aux poubelles de supermarchés où « il y a plus de bagarres ». Souvent, les Roms attendent ainsi à dix ou quinze devant les magasins sur le point de fermer avant de se jeter littéralement sur les poubelles et d’en extraire les denrées récupérables. C’est notamment le cas cours Jean-Jaurès.
Tout comme Jérôme, elle juge qu’il y a une part d’effet de mode dans le glanage depuis deux ans, en lien avec les premières couvertures médiatiques de la lutte contre le gaspillage. En juin 2013, déjà, Guillaume Garot présentait en effet Le pacte national contre le gaspillage, en tant que ministre délégué à l’agroalimentaire. Et en octobre de la même année, une charte était signée contre le gaspillage alimentaire par les institutions et acteurs isérois.
Lutter contre le gaspillage alimentaire… et la pauvreté
Alexia et Solène rejoignent Sara. Leurs motivations ? L’excès de gaspillage, mais aussi le prix excessif de certains légumes. Pour elles, grâce à l’association, « ça passe mieux auprès des producteurs » et cela peut permettre à « ceux qui n’osent pas » d’en profiter aussi.
Si toutes trois ne sont « pas obligées de le faire financièrement » – Solène précisant même que ses parents peuvent l’aider – elles reconnaissent que l’association a ce « côté social ».
Parmi les autres bénéficiaires, ce jour-là, deux quadragénaires, surtout intéressés par l’aspect économique, mais aussi par la lutte contre le gaspillage alimentaire. Deux aspects qui se chevauchent à la Tente des glaneurs. Mais c’est ce combat contre la misère sociale mené par l’association que Jérôme qualifie de “geste lourd”. Une mission qu’il juge parfois fatigante.
« Une personne, une tomate ! »
En tout, 70 personnes environ attendent ce dimanche-là devant la Tente des glaneurs. Essentiellement des étudiants ou de jeunes actifs et des personnes âgées. Leur nombre varie en général entre 40 et 130, d’après Mama. Alignés en file comme à la caisse d’un magasin, ils présentent leur sac, tour à tour. Les bénévoles leur proposent la récolte du jour : artichauts, aubergines, concombres… Il faut choisir et partager. « Puis-je avoir plus de tomates ? », demande une dame. La règle est rappelée : « Une personne, une tomate ! ».
L’ensemble de la collecte est réparti le plus équitablement possible dans l’ordre et le calme. Parfois, les bénéficiaires précisent le nombre de personnes prévues pour le repas et récupèrent un peu plus, en fonction.
Une fois tout le monde servi, il reste quelques légumes. Ils iront à l’association Cuisine sans frontières, place Saint-Bruno, où des plats seront cuisinés.
Chaque bénévole essaie de garder le sourire, quelles que soient les situations, mais la tâche n’est pas toujours aisée. Les quatre heures du rituel dominical restent physiques. Et une fois le don terminé, il faut encore laver les tables, les remettre dans les caddies pour les ramener au local, et plier la tente pour le dimanche suivant…
Ludovic Chataing
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