ENQUÊTE – Dix-huit ans que les déchets s’accumulent en toute illégalité sur un terrain privé d’Heyrieux, menaçant l’écosystème environnant. Face à l’inertie administrative, élus et associations de défense de l’environnement portent l’affaire au pénal. En Isère, il existerait encore une centaine de décharges sauvages.
A Heyrieux, dans le Nord Isère, des déchets s’accumulent dans la plus totale illégalité depuis dix-huit ans. Démarches amiables, procédures administratives… rien n’y fait.
« Cela fait bientôt vingt ans que tout le monde constate que cette décharge est illégale », tempête Francis Meneu, président de la Fédération Rhône-Alpes de la Protection de la Nature (Frapna) Isère. « Tout le monde se renvoie la balle !»
A quelques centaines de mètres de l’étang de Césarge, les déchets s’entassent sur un terrain privé. Sur place, les associations de défense de l’environnement – Association portes de l’Isère environnement (Apie) et Sauvegarde nature environnement Heyrieux (SNEH) en tête – ne peuvent que constater. Gravats de béton, tôles, plastiques et autres ferrailles amassés là pendant des années, sont peu à peu recouverts de terre végétale.
Mise en demeure en 1995, puis en 2000
« Cette décharge, on en parle depuis 1987 ! », pointe-t-on à la mairie d’Heyrieux. C’est la SNEH qui, la première, a donné l’alerte en 1994. Depuis, c’est un peu le jeu du chat et de la souris. Car le ballet des camions et leur noria de détritus continuent, en dépit des arrêtés de mise en demeure du préfet en 1995, puis en 2000. Ces derniers imposaient au propriétaire de ne plus accepter de déchets sur le site mais aussi de faire évaluer l’impact de la décharge sur l’environnement, notamment en retirant les déchets autres qu’inertes. Un arrêt momentané des apports de déchets n’a, là non plus, rien changé.
Pas de quoi affoler la Drire (direction régionale de l’industrie, de la recherche et de l’environnement, devenue depuis Dreal), pour qui ces déchets sont considérés comme non dangereux.
En 2008, la commune porte plainte auprès du procureur de la République. Sans trouver le moindre écho… Face à l’inertie de l’administration, l’Apie se constitue partie civile en 2011. La Frapna lui emboîte le pas début 2013. Initialement au civil, l’affaire a été portée au pénal et est aujourd’hui instruite par le tribunal de grande instance de Vienne. L’ultime espoir pour les associations et la mairie d’Heyrieux de voir bouger les choses…
Des déchets non dangereux ?
Au fil du temps, petit dépôt est devenu grand. Et, pour les associations, la pollution n’est pas que visuelle. Car la décharge surplombe un petit ruisseau, le Césarge, lequel traverse une zone humide avant de rejoindre l’étang du même nom. Un écosystème fragile, menacé par les lixiviats, ces jus issus de la fermentation des déchets charriés par les eaux de pluie.
« Les lixiviats sont entraînés jusqu’au torrent de Césarge plus bas », précise Nicolas Gourdin, juriste à la Frapna. « La pollution a commencé. » Alors ? « Déchets non dangereux » ?, comme continue de l’affirmer la Dreal par la voix de Jean-Pierre Foray, responsable de l’unité territoriale de l’Isère.
« Aujourd’hui, c’est clair, il y a très majoritairement des déchets inertes ; pour moi, ils ne sont pas dangereux », insiste Jean-Pierre Foray. « Qui plus est, ainsi classifiés, ces déchets ne relèveraient pas de la Dreal mais d’une autre administration, la DDT, la direction départementale des territoires. » Une partie de ping-pong qui fait bondir élus et associations. « Qui fait quoi ? Comment ? Qui coordonne ? », interpelle Francis Meneu. « On a des moyens pour agir mais on se borne à constater !»
L’ombre de la gravière de Domène
Une situation qui n’est pas sans rappeler le dossier de la décharge de Domène, une ancienne gravière alimentée par la nappe phréatique, comblée par des tonnes de déchets ‚dont certains très toxiques. Là, après douze années d’instructions qui ont vu passer six juges, l’affaire a trouvé un épilogue, en tout cas judiciaire.
Le 23 janvier 2012, le tribunal de grande instance de Grenoble a condamné l’Etat pour inaction fautive pointant les dysfonctionnements administratifs. L’ancien gérant a été reconnu seul coupable et condamné à une amende de 15 000 euros, dont la moitié avec sursis.
Aujourd’hui, les associations de protection de l’environnement estiment entre 600 000 et un million de mètres cube le volume de déchets entreposés le long de l’Isère et à 14 millions d’euros le coût de la dépollution. Qui va payer ? Le dossier est loin d’être clos…
Heureusement, la grande majorité des décharges sauvages trouve une issue plus rapide. Cette année, sur le département de l’Isère, la Frapna a recensé une centaine de décharges illégales et déposé cinq plaintes. Dépôt de déchets inertes à Chanas, remblais de déchets de maçonnerie à Apprieu, restes automobiles à Cessieu, vidange d’huile à Moirans, incinération de déchets d’emballages à Barraux… La liste est encore longue. Négligences et incivilités prouvent que gérer ses déchets n’est pas encore complètement passée dans les mœurs.
« Ce sont des dossiers sur lesquels on s’use », admet Jean-Pierre Foray. « Les associations font un travail admirable. » Ce sont surtout les seules à véritablement mettre leur nez dans ces dépôts sauvages qui continuent de fleurir dans les campagnes. Et elles vont devoir encore se retrousser les manches. Un inventaire, conduit en 2008 – 2010 sur les territoires du Trièves et de la Matheysine par le réseau de veille écologique de la Frapna Isère (ReVE), a comptabilisé pas moins de 48 décharges non autorisées sur une soixantaine de communes concernées…
Patricia Cerinsek
© Patricia Cerinsek
© Frapna
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Amoncellement de plastique sur la décharge d’Heyrieux en 2000.
© Frapna
Décharges : un livret pour expliquer, un réseau pour recenserAfin de débroussailler la réglementation en matière de déchets et d’apporter des éléments de réponse, la Frapna Isère a conçu un livret consultable et téléchargeable sur le site de l’association. Car en France, la législation est pour le moins technique et complexe. « Pour chaque déchet, il y a un mode de valorisation et de traitement différent », rappelle Nicolas Gourdin, juriste à la Frapna. « On est sur plusieurs blocs de loi avec plusieurs infractions possibles. » C’est notamment pour soulager les élus, souvent en première ligne, que l’association a décortiqué les textes. Car si le détenteur ou producteur des déchets est le premier responsable de ce qu’il a entreposé, le maire a, selon le législateur, sa part de responsabilité en tant que détenteur des pouvoirs de police sur sa commune. Face à une décharge sauvage, le premier magistrat possède des pouvoirs spéciaux. Il peut ainsi consigner une somme d’argent, faire procéder d’office à l’exécution des mesures, suspendre le fonctionnement des installations, voire ordonner le versement d’une astreinte journalière ou d’une amende.