ENTRETIEN – Dans un contexte de forte recomposition du centre grenoblois entre un Modem éclaté, une UDI conquérante et la formation naissante du Rassemblement citoyen, Stéphane Gemmani, élu municipal en charge de l’accessibilité et de la préconisation sociale, présente cette coopérative politique dont il est désormais le vice-président. Il nous livre également les idées qu’il souhaite défendre dans ses nouvelles fonctions à Cap21 et dans la prochaine majorité municipale.
remis en question en Isère, quel est votre diagnostic pour l’agglomération grenobloise ?
Les situations que nos équipes de bénévoles vivent actuellement sont sans précédent. Je suis plus que jamais pessimiste sur nos capacités à maintenir le niveau d’aide que nous essayons de maintenir depuis plus de 23 ans. Une inconscience, associée à une inaction et au déni de responsabilité partagée des décideurs politiques, a fait la peau petit à petit à l’engagement des bénévoles dans ce soutien au quotidien de ces publics les plus précaires. Je préconise, depuis plus de 20 ans, de l’hébergement diffus et réparti sur les communes, afin de répondre à toutes les formes de sans-abrisme. C’était déjà vrai à l’époque, alors que n’avions pas encore des flux aussi importants de demandeurs d’asiles. Nous ne pourrons continuer nos missions si ce réveil ne se fait pas. Les bénévoles, faute d’outils et de considération de leurs expertises, déserteront à jamais nos structures qui ne fonctionnent que par cet engagement citoyen.
Vous proposez donc de partager l’hébergement entre communes, plutôt que de concentrer les places dans les grandes villes. Comment s’organiserait ce dispositif ?
Maintenant, plus que jamais, un bon sens citoyen et civique doit se développer dans les communes, et cela même dans les plus petites. L’amorce qui est tentée depuis peu par la Métro est tardive. Si elle n’est pas suivie massivement et rapidement, nous allons vers un enchaînement de drames humanitaires. Il faut que cet hébergement soit harmonieux, c’est à dire de deux places pour les plus petites communes à dix places pour les plus grandes, afin de favoriser les qualités d’accueil, d’optimiser les encadrements et, grâce à cette répartition diffuse, de développer la quantité d’accueils d’urgence sans créer de lieux ingérables. Outre la réponse à l’hébergement, la création de ces structures est indispensable pour l’apaisement des consciences. Ces flux migratoires de forme familiale, composés à moitié d’enfants, concentrent l’attention et les aides de nos structures, en négligeant parfois nos publics traditionnels qui ne manquent alors pas de l’exprimer très vertement…
Passons aux questions politiques. Vous avez été nommé, début juin, au bureau politique de Cap21. Avez-vous enfin trouvé le parti qui vous convient ?
Mon entrée à Cap21 s’inscrit dans la suite logique d’une rencontre constructive dès 1997 avec Corinne Lepage. Elle a quitté le Modem, déçue par l’hégémonie de François Bayrou dans ce parti n’ayant qu’une ambition présidentielle. Philippe de Longevialle, qui est un animal politique froid, me reproche de ne plus être centriste, mais le Modem n’a pas le monopole du centre à Grenoble, ni ailleurs. Je ne souhaite pas reproduire à Cap21 les erreurs du Modem consistant en un « entre deux », sans positionnement et sans consigne de vote. C’est un poids politique de soutien exigeant qui doit être utilisé. Le centrisme, c’est la décision. En complément, je participe avec Corinne Lepage au projet du Rassemblement citoyen, une coopérative politique qui rassemble plusieurs partis, tout en conservant leurs identités et leurs engagements propres. Les décisions se font aux deux tiers des votes pour faire évoluer la pratique démocratique.
En quoi Cap21 se démarque-t-il des autres partis centristes existants ?
Cap21 et le Rassemblement citoyen incitent la société civile à s’engager sur les questions environnementales, dans les domaines de l’éducation et de l’entrepreneuriat et sur les enjeux de solidarité. Nous souhaitons permettre à des personnalités disposant d’une expertise acquise dans un engagement citoyen, de la mettre à profit à travers un engagement politique, plutôt que d’être récupérées par les partis classiques comme simples consultants ou caution morale.
Que souhaitez-vous porter ou impulser à travers vos nouvelles fonctions nationales à Cap21 ?
Mes positions restent les mêmes, mais j’apporte le regard d’un élu local. Le refus du cumul des mandats simultanés et leur limitation dans le temps, ainsi que l’évolution de la démocratie participative à l’échelle municipale, sont des projets qui me tiennent à cœur. Ce n’est pourtant pas inscrit dans notre tradition politique, contrairement à la Suisse par exemple. En France, ni les instances politiques, ni les grands partis, ni les citoyens eux-mêmes ne sont prêts à développer la démocratie participative, mais nous devons insuffler cette évolution. Cela passe par des mesures simples et efficaces. Par exemple, nous pourrions intégrer dans l’équipe municipale des membres de l’opposition ayant une démarche constructive. Cela renforcerait la légitimité de l’exécutif. Nous pourrions également modifier le règlement intérieur du conseil municipal pour donner une place aux avis des représentants des conseils consultatifs de secteur ou des parlementaires.
Ces mesures prennent un écho particulier au regard de la situation grenobloise. Remettent-elles en question votre participation à la majorité municipale, critiquée par rapport à l’absence de démocratie participative et menée par Michel Destot qui cumule les mandats ?
Michel Destot et Jérôme Safar connaissent mes positions qui pèseront, je l’espère, sur le choix et les engagements du candidat de la majorité sortante pour l’élection municipale de l’année prochaine. Nous n’avons pas atteint, dans le groupe des sociaux démocrates, un point de rupture qui compromettrait notre appartenance à la majorité. Cependant, nous ne repartirons pas en 2014 dans les mêmes conditions de cumul des mandats et de fonctionnement resserré de l’exécutif. Par ailleurs, d’autres formations comme Europe-Ecologie les Verts (EELV) ou le Réseau citoyen ont également souhaité nous rencontrer, Morad Bachir-Chérif et moi-même, en perspective de cette échéance.
Est-ce là les prémices d’une alliance avec les opposants écologistes, le Réseau citoyen et le Front de gauche comme le souhaiterait EELV ?
J’ai conscience des désaccords historiques qui ont provoqué la rupture entre les écologistes et les socialistes à Grenoble, mais je crois encore en un large rassemblement possible, incluant la majorité sortante. Jérôme Safar a la volonté de faire évoluer la situation en pondérant l’hégémonie socialiste dans les unions. Chacun doit calmer le jeu des désaccords passés pour éviter l’éparpillement des voix et offrir un projet à Grenoble. Sinon, les citoyens continueront de percevoir la classe politique comme carriériste et désintéressée du progrès commun.
Propos recueillis par Victor Guilbert
L’entretien a été réalisé à Grenoble le vendredi 14 juin sur le parvis de l’Hôtel de ville, puis complété le 29 juin, en fonction des dernières actualités. Il n’a pas été soumis à relecture.
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Président fondateur du Samu social grenoblois en 1990 et chef d’entreprise, Stéphane Gemmani s’est d’abord engagé dans la société civile. « Politique plutôt que politicien », il intègre la frange séguiniste du RPR « pour l’émotion que le gaullisme suscitait » dans les yeux de son grand-père, émigré italien en Isère et résistant. Il quitte un parti « en pleine droitisation », lors d’un retour revanchard en politique d’Alain Carignon « qui n’avait tiré aucune leçon de sa condamnation ».
Co-fondateur du Mouvement démocrate (Modem) en Isère, il devient en 2008 conseiller municipal de Grenoble, en charge du handicap et de l’accessibilité. Son travail est récompensé par plusieurs prix européens et celui de l’Association des paralysés de France, qui a classé en avril dernier Grenoble comme la ville la plus accessible de France. Il est exclu du Modem en 2012, « devenu le parti d’un seul homme », pour avoir soutenu François Hollande au premier tour de l’élection présidentielle. Il vient, par ailleurs, tout juste d’être élu vice-président et porte parole du Rassemblement citoyen.
Alors que le dispositif d’hébergement d’urgence a récemment été