ENTRETIEN – Le programme d’aménagement de l’Esplanade de Grenoble fait l’objet de la réprobation de plus de 10 000 Grenoblois. Ils se sont réunis derrière une pétition ouvrant droit à un nouvel examen de ce projet en conseil municipal, ce lundi. Juste avant ce rendez-vous crucial, l’adjoint à l’urbanisme Philippe de Longevialle a répondu aux questions de Place Gre’net sur l’évolution envisageable du projet. Il présente sa vision de l’aménagement urbain, mais analyse également la recomposition du centre, dont il est l’un des représentants grenoblois.
Philippe de Longevialle a débuté le militantisme politique au RPR, à 18 ans, en raison de son « attachement au gaullisme ». Chargé de mission auprès du secrétaire général de la mairie lors du mandat d’Alain Carignon, et à ce titre rattaché à son cabinet, il abandonne finalement cette famille politique. Il rejoint sa rivale de l’UDF, dont il prend la tête en Isère en 2000, puis du Modem38 en 2007. C’est à Meylan qu’il connaît son premier succès électoral, comme conseiller municipal dans une majorité de centre droit. À 52 ans, cet informaticien de formation et expert en immobilier a poursuivi son glissement vers la gauche en s’alliant à Michel Destot au deuxième tour de l’élection municipale de 2008. Il est aujourd’hui adjoint à l’urbanisme et à l’aménagement.
Quelle est la marge de manœuvre dans le projet d’aménagement de l’Esplanade examiné lundi soir en conseil municipal ?
C’est un dossier qui s’est politisé avec le temps. Nous avons eu l’occasion d’en débattre à plusieurs reprises. D’abord dès 2008, avec les habitants et les commerçants dans un climat serein, puis en conseil municipal en janvier 2012. Entre temps, certains habitants du quartier s’en sont saisis pour demander le maintien de leur qualité de vie actuelle. La pétition est devenue aujourd’hui un enjeu électoral qui regroupe des signataires s’opposant à toute forme d’aménagement du lieu. Pourtant, le quartier n’a pas changé depuis un demi-siècle. Le bâti est dégradé et les espaces publics ont vieilli. L’Esplanade est devenue un gigantesque parking gratuit sans charme, encouragé par l’autoroute qui draine, chaque jour, plusieurs milliers de véhicules en centre-ville. Nous devons bousculer cette organisation de la mobilité. Le projet d’aménagement de l’Esplanade vise à rénover ce quartier en créant du logement neuf et en protégeant le patrimoine autour de la nouvelle ligne de Tram E qui voit le jour. Il faut redonner du lustre et de la couleur à ce quartier qui est la porte d’entrée et la vitrine de Grenoble.
Tout cela ne dit pas quelles concessions pourront être faites aux opposants du projet qui se sont montrés nombreux ?
La pétition remet le projet en débat, mais pas en question. Nous n’acceptons pas de couper en morceaux le programme d’aménagement qui s’ancre dans un projet global sur la ville. Des évolutions sont possibles sur les hauteurs, les espaces et les formes urbaines, mais ce débat doit être raisonné. Nous sommes dans une ville marquée par la verticalité du fait de son environnement naturel et de ses constructions historiques. L’Esplanade est un quartier de centre-ville, pas une banlieue périurbaine. Nous ne pouvons nous limiter à des immeubles de cinq étages, alors que la ville accueille les tours d’habitation les plus hautes de France que sont les trois tours de l’Ile Verte de cent mètres chacune. Une certaine densité s’impose, comprenant des commerces en rez-de-chaussée, où se rendront les habitants du quartier. Viendront s’ajouter des équipements de transports en commun et un parc de 6 à 7 hectares en bordure de l’Isère. Ce sera le seul de la ville. Cet espace, dont la situation entre montagnes et cours d’eau est exceptionnelle, n’est pas mis en valeur aujourd’hui.
La hauteur de la tour est donc la seule variable d’ajustement majeure ?
Une tour a une utilité symbolique. Celle d’un point de repère urbain pour les personnes qui ne connaissent pas Grenoble, comme le crayon de la Part-Dieu à Lyon. Cependant, les conditions économiques pour construire un bâtiment de ce type ne sont actuellement pas réunies. À titre de comparaison concernant la hauteur, les habitants des tours de l’Île verte sont très heureux de vivre dans ce qui est devenu un symbole de Grenoble. Il faut être vigilant à ne pas donner une image biaisée aux tours qui sont aujourd’hui, dans l’inconscient collectif, des foyers de délinquants et des secteurs sous influence du trafic de drogues. Le projet n’est pas celui des années 70, où les logements sociaux étaient concentrés dans de grandes barres d’immeubles. L’Esplanade accueillera des bâtiments modernes et performants, avec un programme de mixité sociale comprenant 30% de logements sociaux et 10% d’accession sociale.
Avec l’aménagement de ce site, ce sont plusieurs centaines de places de parking gratuites appréciées des Grenoblois qui disparaîtront. N’est-ce pas risqué alors que Grenoble est déjà congestionnée ?
Ce parking ne correspond plus à l’usage de la voiture que l’on souhaite encourager à Grenoble. Ce sont essentiellement des habitants de Saint-Egrève, de Voreppe et du Fontanil-Cornillon qui y parquent leurs véhicules pour aller travailler. La mise sur rails du tram E remet ainsi cette utilité en cause. Les parkings-relais ont une utilité en périphérie, mais certainement pas en centre-ville.
Quid de la foire des rameaux à laquelle aucun nouvel emplacement n’a été clairement proposé jusqu’à maintenant ?
Nous sommes déterminés à conserver cet événement populaire dans le bassin grenoblois. Or la foire n’a pas toujours été installée à l’Esplanade. L’emplacement ne lui est pas réservé, pour seulement trois semaines par an… Nous n’avons pas de solution verrouillée pour le moment, mais il nous reste du temps. Plusieurs pistes sont étudiées et nous sollicitons actuellement les différentes communes de l’agglomération, puisque le public n’est pas seulement grenoblois. Aucune n’a donné suite pour le moment. Nous avons saisi la Métro pour qu’une concertation puisse être lancée à son échelle, afin de trouver un grand espace pérenne, accessible par les transports en commun et sécurisé. Par ailleurs, la mairie reçoit chaque année des courriers d’habitants de l’Esplanade qui se plaignent de la présence de la foire, en raison du bruit et de la foule qui investit le quartier. J’estime que l’argument des signataires qui réclament le maintien de la foire est assez contradictoire avec le ressenti réel des habitants.
Estimez-vous que ce mouvement d’opposition à l’aménagement de l’Esplanade est récupéré politiquement ?
L’urbanisme cristallise des problématiques sociales. À l’origine, le collectif organisant la pétition regroupait seulement des habitants du quartier. Depuis, d’autres se sont greffés au mouvement pour dénoncer ce qu’ils appellent « la bétonisation » de la ville. Cet argument déjà entendu au sujet de la Presqu’île et des quartiers Flaubert et de Bonne ne tient pas.
La ville a besoin d’évoluer pour le logement et l’emploi et pour faire émerger un réseau de transports en commun et de parcs publics. Nous avons pris le parti de lutter contre l’étalement urbain à la mairie, mais aussi dans le schéma de cohérence territoriale (SCOT) dessiné par la Métro. Les villes doivent avoir une fin pour préserver les espaces agricoles, les parcs régionaux et les espaces périurbains. Il faut optimiser les espaces libres en ville, en restant dans des densités acceptables.
La densité finale prévue à l’Esplanade sera équivalente à celle de la ZAC de Bonne. Alors que nous construisons 700 logements par an à Grenoble, le chiffre atteint 3000 à Bordeaux et 3700 à Lyon. Nous construisons donc de façon raisonnable pour pouvoir maîtriser les prix. C’est une réussite puisque Grenoble est l’une des seules villes de France où le prix de l’immobilier a baissé de 3400 à 3150 euros / m², tout en augmentant dans le périurbain. La densification est une politique globale qui ne peut être regardée seulement à travers le prisme d’un seul immeuble.
Sur Place Gre’net, le président de la fédération iséroise de l’UMP Jean-Claude Peyrin établissait récemment un lien direct entre densification et délinquance. Qu’en pensez-vous ?
Jean-Claude Peyrin a une vision rétrograde. Tout le monde n’a pas la chance d’avoir une villa à Meylan. Il y a des personnes dans des situations plus complexes, auxquelles nous devons également répondre par de l’accession et du logement social. Le lien entre densification et délinquance est dangereux et faux. Il n’y a pas de délinquance dans les tours de l’Ile verte, alors qu’il y en avait dans les petits immeubles du quartier Châtelet. Les projets urbains menés à Grenoble sont contraires à la bétonisation, car nous créons des espaces verts là où il n’y avait que des toits et du goudron. Mais c’est un argument facile puisque la bétonisation fait peur aux habitants. La délinquance ne se résume à aucun quartier, ni à aucune situation sociale. Il y a du trafic de drogues jusque dans le lycée du Grésivaudan de Meylan ! Jean-Claude Peyrin est favorable à une forme de ségrégation sociale qui place les riches d’un côté et les pauvres de l’autre, mais ce modèle ne fait qu’aggraver la délinquance.
Parlons politique justement. Quel regard portez-vous sur la recomposition du centre à Grenoble ?
Être centriste, c’est se priver de toute carrière politique. Sinon, il faut opter pour les deux partis bipolaires et progresser doucement dans l’organisation. Le choix du centre est celui de la concertation, laissant la possibilité de construire des alliances politiques de circonstances sans aucune allégeance ni vassalisation. C’est le contraire de ce qui est mené à l’UDI qui a clairement annoncé qu’il s’unirait toujours à l’UMP. Ce n’est pas un parti habité par l’idéal centriste.
Nous faisions davantage référence à l’éclatement du groupe centriste au conseil municipal. La situation est-elle claire désormais ?
Il y a eu une séparation au moment des régionales de 2010, quand Stéphane Gemmani et Morad Bachir-Cherif ont quitté le groupe centriste. Ils ne sont d’ailleurs plus du centre puisqu’à l’élection présidentielle dernière, alors que tous les courants étaient représentés, c’est François Hollande qu’ils ont soutenu plutôt que François Bayrou. Ils ont marqué la rupture avec la famille centriste. Dont acte. Ils ne sont plus au Modem qui continuera d’exister sans eux à Grenoble.
Mais François Bayrou ne représente pas le centre à lui tout seul. Vous-même aviez déclaré que le Modem était « mort » à l’occasion de votre exclusion en 2010.
Il y a des disputes dans toutes les familles politiques. François Bayrou a une forte personnalité politique et incarne le rassemblement derrière un leader. Cependant, il n’est pas un homme de parti et a du mal à gérer une collégialité en raison d’un tempérament solitaire. Cela fait effectivement de l’ombre à des personnalités qui pourraient éclore autour de lui.
Y aura-t-il une candidature centriste à Grenoble pour l’élection municipale de 2014 ou envisagez-vous une alliance dès le premier tour ?
Nous sommes en mesure d’avoir des alliances avec des personnalités politiques modérées à l’échelle locale, comme avec Alain Juppé à Bordeaux, François Rebsamen à Dijon ou Gérard Collomb à Lyon. Concernant Grenoble, une alliance politique s’est formée en 2008 quand la majorité s’est séparée du courant écologiste qui était en rupture. Je suis satisfait de cette collaboration. Il sera néanmoins important que la sensibilité centriste puisse s’exprimer aux municipales. Nous envisageons donc de présenter une liste.
Vous avez eu l’occasion de travailler à Grenoble avec une majorité de droite, puis dans une majorité de gauche. Quelle était la situation la plus confortable ?
Leurs divergences sont idéologiques mais le fonctionnement est le même. J’ai davantage d’affinités avec les orientations politiques proposées par la majorité actuelle. Et le constat du retour d’Alain Carignon à droite ne fait que confirmer mon choix. Mais quand le pouvoir se prolonge, les habitudes s’installent et deviennent problématiques. Il faut aussi savoir s’ouvrir à d’autres horizons pour partager le pouvoir dans le cadre d’alliances locales.
Votre horizon peut-il s’étirer jusqu’aux écologistes, bien qu’ils vous reprochent votre passé dans l’équipe d’Alain Carignon ?
Avec l’écologie oui. Avec les écologistes grenoblois non. Leurs positions sont trop tranchées et utilisent de basses méthodes. Ils n’ont pas digéré d’avoir été écartés de la majorité en 2008, au profit du centre, et se vengent avec des attaques formulées par l’ADES sur ma vie privée, rejoint depuis par l’UMP38. Cela traduit l’impossibilité d’un débat politique serein avec ces formations. Même si j’ai des désaccords avec eux, je ne m’abaisse pas à attaquer leurs dirigeants comme eux le font, alors même que la ministre du Logement, Cécile Duflot, défend la densification. Par ailleurs, le plan local d’urbanisme que l’on applique aujourd’hui a, pour rappel, été conçu en 2005 par les écologistes Pierre Kermen et Maryvonne Boileau.
Propos recueillis par Victor Guilbert
N. B. 1 : L’entretien a été réalisé à Grenoble le mardi 11 juin dans le bureau de Philippe de Longevialle à l’Hôtel de ville. Il n’a pas été soumis à relecture.
N. B. 2 : La présentation de Philippe de Longevialle mentionnant sa fonction de directeur de Cabinet d’Alain Carignon a été modifiée le 18 juin 2013, suite à une remarque de ce dernier, indiquant qu’il n’avait eu « aucune fonction de direction auprès de lui ». Et celui-ci de préciser : « J’ai certes été chargé de mission auprès du secrétaire général de la mairie de l’époque, et à ce titre rattaché au cabinet mais je n’ai assisté à aucune réunion de cabinet ni encore moins participé à l’activité du cabinet. Chacun sait d’ailleurs que mes relations avec Alain Carignon n’ont jamais été au beau fixe. J’ai d’ailleurs quitté le RPR en 1993. »
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