REPORTAGE VIDÉO - Des centaines de manifestants se sont rassemblés place de Verdun à Grenoble sur le coup de 14 heures, en attendant la décision de la Première ministre Élisabeth Borne concernant le recours à l'article 49-3 sur la réforme des retraites, le jeudi 16 mars 2023. Ce dans l'objectif de bloquer tous les accès à la place voire d'y camper jusqu'au retrait de son texte par le gouvernement. Mais le rassemblement s'est ensuite transformé en une manifestation spontanée qui s'est élancée vers 18 heures en direction du centre-ville pour se terminer à 22 heures dans des nuages de gaz lacrymogènes.
Dans la continuité des actions menées contre la réforme des retraites, plusieurs centaines de manifestants se sont rassemblés le 16 mars à 14 heures, place de Verdun à Grenoble, devant la préfecture. Une cinquantaine de syndicalistes et sympathisants Force ouvrière mais aussi de représentants d'autres organisations syndicales – sauf la CGT – ont alors procédé à un premier blocage de la place.
Non sans un certain flottement. En effet, beaucoup s'attendaient à ce que tous les participants au rassemblement bloquent massivement les accès à la place, comme l'appelait de ses vœux l'union départementale FO de l'Isère. Ce qui n'était pas le cas.

Plusieurs centaines de personnes étaient rassemblées place de Verdun. © Joël Kermabon - Place Gre'net
Un schisme au sein de l'intersyndicale ? « Visiblement une partie de l'intersyndicale préfère effectivement rester sur la pelouse pour discuter d'autres actions voire même d'organiser des manifestations spontanées », a reconnu Philippe Beaufort, secrétaire général de FO Isère.
Pour autant, « je ne vois pas la différence qu'il y a à bloquer là tout de suite, a ensuite commenté le syndicaliste. En tout cas, il faut que l'on continue. Nous restons dans l'intersyndicale et nous allons demain avec elle discuter des suites du mouvement après le 49-3. En effet, je ne crois pas que l'on doive continuer à manifester comme ça, sans décider d'un blocage du pays. Quoi qu'il en soit, il va bien falloir que nous continuions à nous faire entendre pour pouvoir faire fléchir le gouvernement. »
"Quitte à ne pas dormir à la maison, autant dormir dans son usine, son service public, mais pas sur la place de Verdun..."
« Nous n'avons pas du tout opté pour le même mode d'action », a confirmé pour sa part Élisa Balestrieri, de l'union départementale CGT Isère, après une assemblée générale organisée in situ. « Quitte à ne pas dormir à la maison1Pour rappel, FO avait envisagé de camper sur place jusqu'au retrait de la réforme par le gouvernement., autant dormir dans son usine, son service public, mais pas sur la place de Verdun. Ça ne touche pas au portefeuille et nous restons, pour notre part, sur des actions de grèves reconductibles », a souligné la militante.

Élisa Balestrieri, de l'union départementale CGT Isère, lors d'une prise de parole place de Verdun. © Joël Kermabon - Place Gre'net
Élisa Balestrieri rejette, elle aussi, l'idée d'une division profonde avec FO. « Nous avons toujours dit, et ce dès le début de l'intersyndicale, que si sur des actions ou des initiatives l'un des syndicats n'était pas signataire, ça ne remettait rien en cause », a-t-elle assuré.
Le passage en force du gouvernement avec le 49-3 a mis le feu aux poudres
C'est alors que le passage en force du gouvernement via le 49-3, ressenti comme une provocation, a mis le feu aux poudres. « Si en France la démocratie allait bien, il y a bien longtemps que le projet de réforme aurait pu se voir retiré ! », s'est indignée Herminia Moreno, professeur d'anglais au collège Condorcet de Tullins.
Après l’annonce du recours à l'article 49-3, les manifestants ont bloqué, près de deux heures durant, l'accès à la place depuis la rue Lesdiguières, empêchant ainsi la circulation du tramway de la ligne A et des voitures.
« Dans ces conditions, comment peut-on parler de démocratie à l'école ? Après avoir eu ça comme exemple, je crois qu'Emmanuel Macron et tout son gouvernement devraient se méfier parce que tout ça, ça va laisser des traces ! En tout cas, ce n'est pas fini. Nous le lâcherons rien du tout ! », a affirmé sévèrement l'enseignante par ailleurs militante de Force ouvrière (FO).
Comme dans beaucoup d'autres lieux en France, une manifestation spontanée s'est alors élancée vers 18 heures de la place de Verdun en direction du centre-ville. Dans le cortège, qui grossissait au fil de sa progression, les mêmes mots revenaient souvent pour qualifier le recours au 49.3 d’Élisabeth Borne : « déni de démocratie » ou « putsch » pour certains, des expressions plus triviales pour d’autres.
Parmi les manifestants, le maire de Grenoble Eric Piolle a dénoncé un "passage en force, les mensonges sur les 1200 euros et l'injustice de cette réforme".
À l’arrivée devant le cinéma Pathé Chavant, peu après 20 h 30, l’ambiance s’est subitement tendue. Les quelques milliers de personnes alors présentes ont en effet tenté de rejoindre la préfecture, via la rue du Manège. Mais elles se sont heurtées au cordon de policiers leur barrant la route, au niveau de la place Paul-Vallier. Les forces de l’ordre ont aussitôt noyé la rue sous les gaz lacrymogènes, provoquant une première dispersion des manifestants.
Au fil de la progression du cortège, la présence policière s'est renforcée
Alors qu’une petite partie de ces manifestants s’éclipsaient, le gros des troupes s’est replié, vers 21 heures, en direction de la place Pasteur, où plusieurs poubelles ont été incendiées. Les yeux rougis par les lacrymos, les manifestants, en majorité très jeunes - avec une forte proportion d’étudiants -, se sont ensuite dirigés, particulièrement remontés, vers les grands boulevards.
Au croisement du boulevard Maréchal-Joffre et de l’avenue Albert 1er de Belgique, de nouvelles poubelles ont brûlé, l’odeur âcre des feux surprenant des passants et d'infortunés automobilistes égarés au milieu du chaos, tout au long du parcours.
Les manifestants ont poursuivi leur équipée, empruntant le boulevard Foch, avant de traverser le cours de la Libération pour arriver sur le boulevard Joseph-Vallier, suivis tout du long par un imposant dispositif policier (CRS et Bac notamment).

Sur le parcours des manifestants protestant contre l'utilisation de l'article 49-3, de nombreuses poubelles ont été renversées et incendiées. © Joël Kermabon - Place Gre'net
La présence policière s'est encore progressivement renforcée, tandis que la tension dans l’air devenait de plus en plus palpable. Illustration de cette ambiance électrique : les slogans, au sein d’un cortège rajeuni, se sont faits plus radicaux au fil de la soirée.
Le traditionnel, mais déjà obsolète, « La retraite à 60 ans, on s’est battus pour la gagner, on se battra pour la garder » a ainsi laissé place à d’autres hymnes typiques de toute manifestation sauvage : « Tout le monde déteste la police » ou « Grenoble, Grenoble, soulève-toi ! ». Sans oublier « Louis XVI, on l’a décapité, Macron, on va recommencer », scandé devant le siège du Medef Isère.
La manifestation finalement dispersée un peu avant 22 heures
Remontant le boulevard Joseph-Vallier en direction du pont de Catane, les manifestants ont fait une pause à l’angle du boulevard et des rues Abbé-Grégoire et des Eaux-Claires, hésitant visiblement sur la marche à suivre. Dans le même temps, les policiers se sont rapprochés, avant de prendre position sur toute la largeur de la chaussée, au niveau de la station-service BP.

Pour disperser la manifestation de protestation contre l'usage du 49-3, les forces de l'ordre ont fait usage de gaz lacrymogène à plusieurs reprises. © Manuel Pavard - Place Gre'net
Après les brèves sommations d’usage, les forces de l’ordre ont de nouveau tiré une salve de grenades lacrymogènes, provoquant une dispersion cette fois définitive des manifestants dans les rues alentour. Impossible pour ces derniers de reformer un nouveau cortège, la police quadrillant le terrain avec des barrages filtrants installés sur le boulevard Joseph-Vallier et dans la plupart des rues environnantes.
La manifestation spontanée a ainsi duré près de quatre heures pour se terminer vers 22 heures. Avec un goût un peu amer pour beaucoup, mais également une rage et une détermination intactes.
Deux interpellations suite à des incendies de poubelles
Deux manifestants ont par ailleurs été interpellés pour des incendies de poubelles. Une jeune femme arrêtée par la Brigade anticriminalité (Bac), place Gustave Rivet, pour avoir « mis le feu à un torchon, jeté dans une poubelle », rapporte la police.
Le second, un homme de 30 ans, a quant à lui été repéré par les caméras de vidéosurveillance pour le même type de faits, puis interpellé par un équipage de policiers, quelques instants plus tard, alors qu’il se trouvait dans un tramway à l’arrêt, avenue Marcelin-Berthelot.