REPORTAGE – Entre 7 500 et 19 000 personnes ont participé à la manifestation du 15 mars 2023 qui marquait à Grenoble la huitième journée de grève et de mobilisation contre la réforme des retraites. Ce, le jour même où sénateurs et députés se sont accordés sur le report de l’âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans en commission mixte paritaire. De quoi braquer encore plus les syndicats, qui appellent à amplifier le mouvement en misant sur les grèves reconductibles pour faire tâche d’huile dans tout le pays.
Pour la huitième fois depuis le mois de janvier, un cortège de manifestants s’est élancé ce mercredi 15 mars sur le coup de 11 heures depuis la gare de Grenoble jusqu’à la place de Verdun. Pour cette nouvelle journée de mobilisation contre le projet de réforme des retraites, entre 7 5001Chiffre des forces de l’ordre. et 19 0002Comptage de l’intersyndicale. personnes ont à nouveau scandé dans les rues de Grenoble des slogans demandant le retrait inconditionnel du texte par le gouvernement.
Fait remarquable, la présence d’un impressionnant convoi de camions d’électriciens d’Enedis et de gaziers de GRDF en grève. Ceux-ci ont animé le cortège tout au long de son parcours, au son de klaxons et de sonos tonitruantes. Effet galvanisant garanti !
Les électriciens d’EDF et Enefis et les gaziers de GRDF ont afflué dès 10 heures du matin sur le cours Jean-Jaurès. © Joël Kermabon – Place Gre’net
Reste que, si la mobilisation est supérieure à celle du samedi 11 mars qui a réuni de 4 000 à 11 000 manifestants, elle s’est révélée bien moindre que celle du mardi 7 mars. La manifestation avait en effet alors rassemblé entre 20 500 et 53 000 personnes. En l’occurrence, les plus gros chiffres enregistrés à Grenoble depuis le début de la mobilisation contre la réforme.
Le jour même, le texte se voyait examiné en commission mixte paritaire (CMP), après sa validation par le Sénat la semaine précédente. Laquelle a donc adopté ce 15 mars l’article 7 de la réforme des retraites, qui reporte l’âge légal de départ de 62 à 64 ans. De quoi apporter de l’eau au moulin des syndicats qui ferraillent depuis près de trois mois pour faire plier le gouvernement.
Reforme des retraites : « Le mouvement fait tâche d’huile dans tout le pays »
Dans le cortège, malgré les colères rentrées et la déception devant l’inflexibilité du gouvernement, l’ambiance était résolument positive. « Grève générale jusqu’au retrait total ! », pouvait-on notamment entendre parmi les slogans scandés à tue-tête. Dans la foule, la plupart des manifestants restaient persuadés que le gouvernement jouait sa dernière carte et qu’il ne s’en sortirait pas sans y laisser des plumes.
« Nous sommes déterminés et en colère, explique un délégué syndical d’Enedis. Cela fait deux semaines que nous avons lancé un mouvement de grève reconductible en prenant en main les outils de travail et de production comme les centrales hydrauliques et nucléaires. Mais aussi dans les agences, avec des blocages de sites. Le mouvement s’élargit de jour en jour », confie-t-il. « De toute façon, cette réforme on n’en veut pas et le mouvement fait tâche d’huile dans tout le pays. »
Pancarte dans la manifestation contre la réforme des retraites à Grenoble, le 15 mars 2023. © Joël Kermabon – Place Gre’net
Alexis, ingénieur en informatique, venu en solidarité avec les manifestants trouve pour sa part cette réforme injuste. « Dans ma boîte, les collègues suivent le mouvement, bien que dans notre métier nous soyons beaucoup de cadres », assure le jeune homme. Quant à Clémence, professeure des écoles, elle aussi reste très motivée et confiante, malgré le vote du Sénat.
« Même si au final ça passe, il y aura de grosses mobilisations et l’on pourra toujours faire une loi pour annuler celle-là », estime-t-elle. La situation dans son école ? « La grève y est très suivie et, quand il y a des mobilisations, l’école qui compte treize classes est fermée, rapporte-t-elle. Mais, là, nous sommes mercredi et c’était compliqué pour la plupart de venir, à cause des enfants », tempère la jeune femme.
« On n’attend plus rien des politiques, ils sont complètement hors-sol ! »
Du côté des syndicats, la pression monte. « Ce gouvernement utilise tous les subterfuges constitutionnels pour faire passer sa loi, explique Benjamin Moisset, co-secrétaire de Solidaires Isère. S’il passe en force avec le 49.3, nous nous allons bloquer encore plus fort la rue et l’économie avec des grèves reconductibles. » D’ailleurs, rappelle le syndicaliste, « le secteur de l’éducation s’y met, celui des ports commence demain et j’espère que tous les autres qui n’ont pas encore commencé vont suivre cet appel d’air. »
« La CMP va nous pondre un texte encore pire, considère pour sa part Nicolas Benoît, secrétaire général de la CGT Isère. De notre côté, nous cherchons à peser sur les députés et sénateurs pour qu’ils votent contre cette loi et, s’il faut, nous serons encore là demain et encore après-demain pour faire échouer le gouvernement. »
La CGT, très présente dans la manifestation contre la réforme des retraites à Grenoble, le 15 mars 2023. © Joël Kermabon – Place Gre’net
« J’espère que tout ça va s’amplifier, commente de son côté Mathieu, enseignant-chercheur. Nous avons vraiment un problème démocratique sur cette réforme. Le symptôme de non-distribution des richesses devient critique et socialement destructeur. Ce qu’il faut éviter à tout prix, c’est un scénario où l’extrême droite parviendrait au pouvoir car il y a trop d’inégalités et aussi de perte de confiance dans la classe politique », considère le chercheur.
Des propos confirmés un peu plus tard par Lilian, technicien lui aussi dans la recherche. « On n’attend plus rien des politiques, ils sont complètement hors-sol, critique-t-il. Ils ne seront jamais légitimes à utiliser le 49.3 »
Force ouvrière prévoit le blocage de tous les accès à la place de Verdun jeudi 16 mars
À nos côté, Nicolas Gex, technicien en bureau d’études, voyant notre micro, manifeste son envie de parler. Lui aussi a son avis sur la classe politique et sur une solution qui permettrait aux citoyens de reprendre la main. À savoir le Référendum d’initiative citoyenne (Ric), cher aux Gilets jaunes.
Chemin faisant, une manifestante nous interpelle au sujet d’un groupe de lycéens qui manifestent tout en s’amusant et en scandant des slogans contre la réforme des retraites. « Sur Grenoble, les manifestations sont bien encadrées. Tout se passe bien, il n’y a aucune violence, se réjouit cette jeune femme, qui compare l’ambiance à celle de la capitale. Quand je pars manifester à Paris, je suis très inquiète car j’estime prendre des risques, surtout avec certains groupes qui ne s’expriment qu’à travers la violence. »
De fait, le cortège est parvenu au terme de son parcours place de Verdun, une nouvelle fois sans le moindre incident. Électriciens et gaziers n’ont alors pas résisté au plaisir de faire un tour d’honneur avec leur véhicules sous les applaudissements nourris des manifestants.
La suite ? L’union départementale Force ouvrière de l’Isère appelle au blocage de toutes les voies d’accès à la place de Verdun et donc à la préfecture, dès jeudi 16 mars à 14 heures. Ce peut-être avec campement nuit et jour « jusqu’au retrait du projet de réforme du gouvernement », envisage le syndicat.