TRIBUNE LIBRE – Suite aux premiers résultats de l’enquête mobilités de l’agglomération grenobloise, Grenoble à Cœur signe une tribune. Le collectif, qui regroupe des riverains et des commerçants de l’agglomération, soutient « un projet de changement progressif et concerté des modes de vie en cœur de ville » avec le souci de la vitalité de ses commerces. Il dresse ici un constat sévère des résultats de la politique cyclable mise en place.
Les résultats de l’enquête mobilités de l’agglomération grenobloise ont été publiés à la mi-novembre. Ils donnent l’état des déplacements en 2020, et permettent de comparer à 2010 (année de la précédente enquête) ainsi qu’aux engagements pris par les élus en exercice dans cette période à Grenoble. Analyse :
I.1 – LES PROMESSES : tripler le vélo d’ici 2020
La « délibération cadre relative à la politique cyclable de Grenoble Alpes Métropole » (rapporteur Yann Mongaburu, 19.12.2014) promettait de « tripler la part modale du vélo d’ici 2020 », avec pour mesure phare d’« aménager des autoroutes à vélos ».
L’exemple de Copenhague aurait pu et même dû servir d’exemple. La description précise qu’en fait le journal Le Monde le dit explicitement : « le concept d’autoroute à vélos existe bien au Danemark, mais pas au centre-ville ».
Mikael Colville-Andersen, l’urbaniste mondialement reconnu pour son expertise sur le cyclisme urbain, regrette que Christophe Najdovski (Paris) et Yann Mongaburu « mettent en avant les autoroutes à vélos (Paris) ou Chronovélo (bd Sembat à Grenoble). Il s’agit pour eux d’implanter des pistes bidirectionnelles sur des avenues comportant de nombreuses intersections. Or ces infrastructures sont bannies à Copenhague depuis plus de vingt ans. »
Le modèle de Copenhague n’a donc pas été suivi et il est vite devenu évident que la « politique cyclable » à la grenobloise avait avant tout pour but d’interdire les voitures.
I.2 – LES PROMESSES : transformer 20 800 voitures en vélos
La figure ci-dessous est l’annonce insensée faite en 2016 aux Grenoblois : en empêchant les automobilistes d’accéder au centre-ville, « Cœur de Ville Cœur de Métropole » (CVCM) allait transformer 20 800 voitures en 20 200 vélos !
Il n’était prévu aucun progrès des transports en commun. Pour les piétons, la projection était même négative (- 2000), un comble pour un projet soit disant de … « piétonnisation ».
État actuel : 2016, avant CVCM-Chronovélo. État projeté : après. © La Métro : CVCM, « Dossier de concertation 26 septembre – 7 novembre 2016 »
Ces belles promesses avaient valeur d’engagements. Quels sont les résultats de CVCM et des autoroutes à vélos à la grenobloise ?
II.1 – RÉSULTATS DE L’ENQUÊTE MOBILITÉS : les vélos à Grenoble ville et métropole ?
L’utilisation du vélo a augmenté de 50% entre 2010 et 2020, un chiffre qualifié de « sans appel » dans Le Dauphiné Libéré [J.B. Vigny, 16.11.2021].
Mais cette progression est simplement… la même qu’avant (43% de 2002 à 2010). Rappelons qu’à Grenoble l’infrastructure cyclable est l’une des premières de France depuis longtemps et que le premier Plan de déplacement d’entreprise date de 2000. En 2010, Grenoble en était déjà à son septième challenge inter-entreprises pour aller au travail à vélo.
En 2020, la part du vélo a atteint 12% pour la ville de Grenoble. Elle n’a pas triplé comme il avait été promis pour justifier les fermetures du boulevard Agutte-Sembat et d’un sens du cours Berriat. Elle était en effet de l’ordre de 6% en 2014 (puisque de 5% en 2010). Elle a péniblement gagné 1% dans la métropole autour de Grenoble (5% au lieu de 4% en 2010).
Pourquoi cet échec de la « politique cyclable » à la grenobloise, malgré le coût énorme de CVCM-Chronovélo et le bouleversement structurel du cœur de Grenoble ? Parce que la promesse était une posture politicienne. Parce que la place des autoroutes à vélos n’est pas en centre-ville. Aussi n’ont-elles pas pu produire l’effet de large périmètre qui est normalement leur but. Il aurait fallu écouter le danois Mikael Colville-Andersen.
Il aurait fallu voir ce que les voies partagées d’Amsterdam montrent aussi. Là-bas, la mobilité des uns n’exclut pas celle des autres. Mais, de nos jours à Grenoble, on ne partage pas, on interdit.
II.2 – RÉSULTATS : les vélos au centre-ville ?
Hourrah sur certains réseaux sociaux : le compteur à vélos des cours Lafontaine-Berriat a affiché un million de passages le 24 novembre 2020.
La moyenne était de 3058 vélos par jour. C’est moins que les 3900 passages de véhicules qui ont été supprimés par la mise en sens unique du cours Berriat1Page 51 du rapport Transitec. Cela malgré la nouvelle armada de travailleurs précaires, les livreurs à vélo2Deliveroo (septembre 2016) et Uber Eats (janvier 2019) ont démarré après la mise en place de CVCM, qui passent et repassent sans cesse devant la borne.
Ce sont essentiellement ces mêmes vélos que dénombre le compteur Lyautey : avec 2854 passages, la fréquentation du boulevard Agutte-Sembat est très loin d’avoir atteint le niveau d’avant CVCM-Chronovélo, qui était de 10 200 véhicules de trafic local3Pages 9 et 10 du rapport Transitec : il passait 13 600 véhicules par jour sur le Bd Agutte-Sembat, dont 25% de trafic de transit (mesuré au niveau du cours Lafontaine). Le trafic local était donc de 10 200 véhicules par jour et 450 vélos4Page 15 de l’annexe à la « demande au cas par cas ». Un million de passages sur cet axe vital pour le cœur de Grenoble, c’était alors en début d’année, pas à la fin !
Où sont les +20 200 vélos qui devaient remplacer les ‑20 800 voitures ?
II.3 – RÉSULTATS : les voitures ?
L’enquête montre clairement où sont les voitures. Certes plus au centre autour des halles Sainte-Claire, mais en périphérie dans les complexes commerciaux tels Grand” Place et bientôt Neyrpic.
En effet, dans la métropole, la voiture est à 47% de part modale autour de Grenoble, quasiment au même niveau qu’avant. Premier moyen de déplacements, elle atteint même 65% pour le reste de la « grande région grenobloise », qui fait (ou plutôt faisait) partie de la zone de chalandise des commerces et établissements du « cœur de ville, cœur de métropole ».
II.4 – RÉSULTATS : les transports en commun ?
Ils stagnent, et régressent même légèrement au niveau de la métropole. Cela malgré l’énorme apport supplémentaire de la ligne E du tramway, inaugurée juste après l’élection d’Éric Piolle à la mairie et la nomination de Yann Mongaburu à la présidence du SMTC ! Un raté de plus.
II.5 – RÉSULTATS : les piétons ?
Ils restent très largement en tête de tous les modes de déplacement à Grenoble ville : 43% de part modale pour la plus naturelle des mobilités douces.
Sont-ils heureux du tout vélo ? Les effets négatifs de l’extrême concentration des deux-roues au centre-ville n’étaient pas seulement prévisibles, ils avaient été prédits. Mais pas entendus. Ils sont désormais avérés, et même documentés : Grenoble est notée D et classée 112e sur 200 au baromètre des villes marchables. Cela bien que deux cyclistes pour trois piétons aient pris part à cette enquête…
III – TOUT LE MONDE À VÉLO ?
On en est loin ! Selon l’enquête mobilité : « Dans les déplacements quotidiens, les usagers du vélo sont en premier lieu des hommes, actifs, qui se rendent au travail, sur des distances n’excédant généralement pas 5 km. La pratique du vélo est plus limitée chez les femmes et les jeunes. »
Qui a pu croire qu’à tous âges celles et ceux qui ont 30 km à faire allaient sauter sur des pédales ? Sans même parler des jours de pluie, de grand froid, de forte chaleur, de pollution… Comment le « Cœur de Ville, Cœur de Métropole » pourrait-il survivre économiquement quand les déplacements sont limités à une si courte distance, et à un type de personnes aussi restrictif voire ciblé ? Tout le monde connaît la réponse, mais pas la mairie, tant elle est obsédée par son idée unique : interdire.
Interdire le boulevard Agutte Sembat. Interdire à Sainte-Claire. Interdire la rue Bayard. Interdire le cours Berriat. Interdire 24h/24 et 365j/365 s’il y a une école (censuré au tribunal). Et même jusqu’à interdire un pont (censuré aussi).
IV.1 – ON S’ADAPTE ?
Vais-je continuer à me laisser endormir dans l’eau qui chauffe de plus en plus, comme font les grenouilles en croyant qu’elles s’adaptent ? C’est la question qui se pose à chaque Grenoblois de la ville et de la métropole. Alors, on se réveille à temps ?
IV.2 – ALORS, ON EN TIRE LES ENSEIGNEMENTS ?
Comment construire l’avenir de la ville et de la métropole de Grenoble en ignorant ou en minorant ce qui a mené à cette collection d’échecs ? Pour quand de vraies consultations pour de vraies décisions collectives ? Alors, on en tire les enseignements ?
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À suivre :
➡ « Grenoble capitale verte : Alors, on pourra en tirer des enseignements ? »
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