REPORTAGE – Près d’un millier de personnes ont défilé contre la loi de « sécurité globale », mais également contre la précarité, ce samedi 5 décembre dans les rues de Grenoble. Plus de 80 manifestations étaient organisées au même moment partout en France. Mais en dépit d’un mot d’ordre élargi par rapport à la mobilisation de la semaine dernière, les manifestants étaient moins nombreux dans la capitale des Alpes.
« Je suis de plus en plus inquiète des décisions de notre gouvernement, lâche Anna. Ils prennent ces décisions sans consultation et depuis la crise sanitaire c’est encore pire ». La professeur des écoles à Grenoble a décidé de descendre dans la rue pour protester contre la loi « sécurité globale » votée par le gouvernement.
Les manifestants souhaitent le retrait de la loi « sécurité globale ». © Tim Buisson – Place Gre’net
Comme elle, ils sont près d’un millier à se retrouver dans la rue pour la deuxième fois en moins d’une semaine. En tout, 52 350 personnes ont manifesté en France selon le ministère de l’Intérieur.
Les mobilisations se multiplient ces dernières jours : contre la loi « sécurité globale » donc, mais aussi contre la loi de Programmation de la Recherche, contre les oubliés du Ségur de la santé ou encore dans le monde de la culture.
Un lieu symbolique
Devant la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) les drapeaux rouges, verts, roses ou encore violets tranchent avec le blanc de la neige qui habille depuis la veille les toits de la ville.
« Le gouvernement continue d’abreuver le patronat de centaines de milliards d’aides publiques et exonérations sociales sans conditions de sauvegarde de l’emploi, clame un militant au microphone. C’est pour ça que l’on est aujourd’hui symboliquement devant la CCI de Grenoble. »
En tout, 470 milliards d’euros doivent être mobilisés dans le cadre du plan de soutien à l’économie.
De son côté, l’intersyndicale1Dal38, Solidaires Isère, Union des étudiants grenoblois (UEG), Unef et CGT Isère. milite pour l’arrêt de l’évasion fiscale, des cadeaux fiscaux aux entreprises et le rétablissement de l’Impôt sur la fortune (ISF). Mais elle plaide également pour une baisse de la TVA sur les produits de première nécessité.
Sur la place André Malraux, des affiches sont accrochées à l’aide de pinces à linge sur des fils tendus. Toutes répertorient le nombre de licenciements annoncés dans plusieurs entreprises. Une longue litanie : Famar – 125, Kidiliz – 900, André – 188 …
Le poids de la précarité
Autant de licenciements qui laissent craindre une hausse de la précarité pour les prochains mois. « On est extrêmement inquiets parce qu’énormément de travailleuses et de travailleurs vont peut-être basculer dans le chômage et qu’ensuite beaucoup de chômeurs, avec la contre-réforme de l’assurance chômage, risquent de devenir bénéficiaires du RSA », s’inquiète Caroline, membre de l’union locale CGT de Grenoble.
Caroline, militante à CGT Grenoble, s’inquiète de l’augmentation de la précarité. © Tim Buisson – Place Gre’net
Elle ajuste l’une des affiches sur laquelle on voit une infirmière en blouse blanche. « Nous voulons des moyens dans le service public pour répondre aux besoins des populations que ce soit dans l’éducation nationale, dans la santé et toutes les collectivités territoriales. »
Les organisations syndicales militent, en outre, pour un Smic à 1800 euros. « Nous nous sommes bien rendus compte que c’était des domaines essentiels à nos vies, à notre survie, et que nous avions besoin de services publics », ajoute la militante de la CGT.
La précarité n’épargne pas les jeunes, privés de fac et de travail alimentaire, constate Caroline. « Ils perdent leurs emplois et ça crée une détresse sociale phénoménale. » De fait, les files d’attente des distributions alimentaires pour les étudiants ne cessent de s’allonger.
Rendre les luttes visibles contre la loi « sécurité globale » et la précarité
A côté des affiches, Yann brandit un drapeau rose de Solidaires. Il est venu de Mens, dans le Trièves, avec sa femme. « Il faut qu’on réagisse face aux directions néo-libérales de ce gouvernement », argue-t-il avec son accent anglais mais dans un français parfait. La réforme de l’assurance chômage qui doit être instaurée au 1er avril 2021 l’inquiète. « On espère qu’il y aura une prise de conscience de la population », ajoute Magalie, sa compagne.
Une réforme dont l’intersyndicale souhaite le retrait, comme pour la loi « sécurité globale ». Plus particulièrement, les articles 21 et 22 sur les caméras de la police et les caméras aéroportées qui ne passent pas pour les opposants.
Les manifestants ont remonté la rue Lesdiguères avant de terminer le rassemblement Place de Verdun. © Tim Buisson – Place Gre’net
Dans la foule, Jean-François tient dans ses mains des exemplaires de « Gauche alternative », le journal du parti politique Ensemble ! Il espère que la mobilisation permettra d’influer sur les décisions gouvernementales. « On a vu, par exemple pour la loi sur la sécurité globale, comment les grosses manifestations qui ont eu lieu ont fait mettre le pied sur la pédale au gouvernement, insiste le militant. Je ne crois pas qu’ils soient indifférent au nombre de gens qui manifestent ». Sauf que cette fois-ci la mobilisation est plus faible.
L’article 24 de la loi « sécurité globale » toujours dans le viseur des manifestants
« Ça fait bouger qu’ils osent voter ce genre de loi », lâche Person dans le cortège. Il manifeste pour la première fois. Dans son viseur, la loi de « sécurité globale » qui cristallise les tensions depuis plusieurs semaines. Et surtout l’article 24.
Des rapporteurs de l’Onu jugent la loi sécurité globale « incompatible avec le droit international des droits de l’homme ». © Tim Buisson – Place Gre’net
Sur la pancarte du technicien informatique on voit une cocarde bleu, blanc, rouge. Et un message clair : « retrait de la loi sécurité globale ». Retrait, pas réécriture.
Le gouvernement a pourtant annoncé la réécriture de l’article 24 par la commission des Lois de l’Assemblée mercredi 2 décembre. Une annonce qui est loin de satisfaire Jean-François Michel de la CGT Éduc’action.
« On est sur un système répressif », commente-t-il. Il marche en tête du cortège qui s’est élancé sur la rue Hoche avant de bifurquer à droite sur le Boulevard Gambetta. Avant de tourner de nouveau à droite sur la rue Lesdiguères pour arriver Place de Verdun.
Et les annonces du gouvernement ne rassure pas le syndicaliste. « Ce que dit le gouvernement on va pas le prendre comme argent comptant. On sait comment ça se passe », tance-t-il. Le gouvernement plaide pourtant la bonne foi et estime que cet article, tout comme l’article 25 du projet de loi « contre le séparatisme », visent à défendre les forces de l’ordre et leur image. Or, c’est déjà ce que prévoit la loi de 1881 sur la liberté de la presse argue ses opposants.
Sur la place de Verdun, la neige recouvre l’herbe verte. Nul rayon de soleil pour réchauffer les militants. Seulement quelques cafés et du vin chaud pour les plus téméraires. De quoi reprendre des forces… avant la prochaine manifestation ?
Tim Buisson
1 Dal38, Solidaires Isère, Union des étudiants grenoblois (UEG), Unef et CGT Isère.