ENTRETIEN – Qualifié au second tour des municipales de Grenoble avec près de 20 % des voix, Alain Carignon a enchaîné chaque soir des e‑débats depuis les cafés grenoblois. L’ancien ministre s’est prêté à l’exercice de l’entretien, avec la volonté de donner l’image d’un homme mûr et raisonnable, forgé par ses années de mandats politiques et la prison. Haussant le ton lorsqu’il aborde le « climat d’insécurité ambiant à Grenoble », Alain Carignon veut croire en ses chances, via une politique sécuritaire, écologique et plus sociale.
Que ferait-il s’il redevenait maire ? C’est la question à laquelle Alain Carignon a tenté de répondre au cours d’un long entretien. À 71 ans, le candidat a déjà une longue carrière derrière lui : maire de Grenoble pendant douze ans, deux fois ministres sous Mitterrand, député et président du Département de l’Isère…
Mais aussi le boulet d’une condamnation en 1996 pour corruption, abus de biens sociaux, et subornation de témoins, qu’il assume. Et qui, pour lui, appartient au passé. Il estime d’ailleurs n’avoir à recevoir de leçons de moralité de quiconque. « Je n’ai été condamné à rembourser aucun argent à la Ville. Je n’ai pas volé Grenoble », affirme le candidat.
Interpellé sur les résultats du premier tour à Grenoble, Alain Carignon reconnaît l’avance plutôt confortable d’Éric Piolle, qui caracole en tête avec plus de 46 % des suffrages. Même s’il n’oublie pas de souligner l’abstention record de près de 58 %.
« Cela permet à Éric Piolle de ne pas faire campagne et de se consacrer entièrement à la présidentielle de 2022″, croit savoir le candidat. Pas question pour autant de se projeter dans un scénario de défaite. « Ce serait avoir une attitude de perdant », se justifie-t-il.
Grenoble « dans un état désastreux » selon Alain Carignon
Alain Carignon juge Grenoble clairement en perte de vitesse. Il déplore par exemple le peu de lignes TGV qui la relient aux grandes villes. Et surtout, il peste contre le nouveau plan de circulation mis en place par l’actuelle municipalité. Un constat d’échec qui « crée un univers hostile au développement de l’attractivité grenobloise », estime le candidat.
Il cite aussi l’étude des notaires de France, selon laquelle Grenoble a affiché la plus forte baisse de valeurs des biens immobiliers entre 2017 et 2018.
Pour être attractive, la ville doit, selon lui, s’armer de « grands équipements » dans la recherche et l’intelligence artificielle. Face à la concurrence des États-Unis et de la Chine, la capitale des Alpes doit être en capacité d’accueillir ces projets « avec un foncier adapté », juge le candidat.
Quid de l’impact économique du confinement ? Pour anticiper « la crise sociale qui viendra à l’automne, Alain Carignon veut aussi favoriser les emplois de proximité. Il propose ainsi « un plan Marshall » qui devrait sécuriser 5 000 emplois de proximité ».
Plus d’espaces verts en ville et des transports doux innovants
Pour redorer l’image de la ville, il propose de multiplier les parcs et jardins en centre-ville. À l’image du parc Tarze qui serait créé dans le quartier Jean-Macé. Le candidat entend aussi poursuivre le développement du parc prévu dans le projet Portes du Vercors. Il souhaite par ailleurs en faire construire un deuxième à proximité. Enfin, il promet un moratoire sur la bétonisation, censé stopper les grandes constructions en cours, au profit d’espaces verts. Et dénonce l’opération Flaubert.
S’il est élu maire, Alain Carignon l’annonce sans ambages : il suspendra le projet de l’Esplanade pour y construire à la place un parking souterrain, ainsi qu’un parking silo végétalisé d’environ 1 000 places.
Il s’oppose par ailleurs au projet du téléphérique entre Saint-Martin-le-Vinoux et Fontaine, jugé « trop cher et inutile ». Mais Alain Carignon souhaite créer un monorail à énergie solaire et électrique qui relierait Grenoble à Crolles en seulement vingt minutes. De même, il souhaiterait faire construire un téléphérique entre Fontaine et Saint-Nizier, puis un second entre Alpexpo et Chamrousse. « On pourra venir de Paris à la station de Chamrousse sans utiliser sa voiture », se prend à rêver le candidat.
La « fausse générosité » d’Éric Piolle en matière de politique migratoire
Le candidat critique une nouvelle fois le bilan migratoire de la municipalité en place. « Nous allons revenir sur l’accueil incantatoire d’Éric Piolle, qui a appelé les migrants à venir chez nous sans en avoir les moyens », tacle-t-il.
Alain Carignon entend remplacer cette « fausse générosité qui ruine les classes moyennes et met des pauvres familles dans la rue » par une politique « responsable et rigoureuse ».
Quid des conditions d’attribution des subventions aux associations ? « [Elles] ne devront pas négliger l’accompagnement en matière d’intégration », répond-il sans plus de précisions.
« La ghettoïsation des quartiers s’est aggravée sous la mandature Piolle »
Pour Alain Carignon, la ghettoïsation des quartiers s’est aggravée sous la mandature Piolle. Un maire, par ailleurs président du bailleur social Actis, qui aurait une « très mauvaise gestion dans ses choix d’attribution. »
Le candidat de droite prévoit en outre de réduire le nombre de constructions HLM à 20 %, alors qu’Éric Piolle souhaite atteindre les 30 % d’ici à 2030. Et pour cause, Alain Carignon entend créer « une mixité d’usage » dans les quartiers. Cela passerait par des logements en accession, et surtout des aménagement mêlant services publics et bureaux privés.
Concernant le projet de réhabilitation de la cité de l’Abbaye, il propose par exemple un espace de “coworking” mêlant employés municipaux et salariés du privé. Ce projet redonnerait, selon lui, de la vie au quartier, avec des travailleurs qui se rendraient dans les commerces le midi. Un modèle qu’il envisage de dupliquer sur la place des Géants à la Villeneuve.
Alain Carignon pour plus de caméras et l’armement de la police municipale
Pour illustrer la paupérisation des quartiers, Alain Carignon prend l’exemple de la place André-Malraux. Située dans le quartier Hoche à Grenoble, cette place est devenue depuis plusieurs années le théâtre de rodéos quasi quotidiens, au grand désespoir des habitants. Sur sa liste, figure par ailleurs un ancien restaurateur de la place.
Aux dires d’Alain Carignon, des jeunes du quartier auraient exigé de l’ancien gérant du restaurant Indochina le paiement d’un « loyer ». Face à son refus, « on lui a cassé ses vitrines et crevé ses pneus de voiture. Il devait dormir dans son restaurant ! », s’emporte-t-il. « Avec moi, la police municipale leur mettrait des amendes et leurs véhicules seraient confisqués », promet l’ancien maire.
Le candidat regrette également le climat d’insécurité ambiant dans la ville. Il fait remarquer que Grenoble est la première ville en matière d’agressions violentes pour 1 000 habitants. « Vous vous rendez compte ? Un Grenoblois se fait plus agresser qu’un Marseillais1Comparé à huit villes de taille similaire, les atteintes volontaires à l’intégrité physique (AVIP) seraient, à Grenoble, 53 % plus nombreuses, selon l’ancien procureur de la République de Grenoble. ! », s’agace à nouveau l’ancien maire.
Pour lutter contre l’insécurité, Alain Carignon propose l’installation de caméras, reliées à un poste de commandement opérationnel 24 heures sur 24. Il envisage aussi de collaborer avec les communes de l’agglomération grenobloise. Enfin, il propose d’armer la police municipale.
Les élèves décrocheurs « abandonnés »
Le candidat annonce vouloir aider les familles de décrocheurs scolaires, « totalement abandonnées par Éric Piolle », à qui il reproche de n’avoir pas pu accueillir tous les élèves à l’école. « Les classes n’étaient pas assez nettoyées car les moyens n’étaient pas mis », dénonce-t-il.
Le protocole exigeait en effet un nettoyage avec désinfection toutes les deux heures au début du déconfinement. La Ville a donc décidé de ne pas en rouvrir une partie face au manque d’agents d’entretien. Pour aider les élèves en difficulté, Alain Carignon propose en outre de mettre en place un accompagnement scolaire durant l’été.
Concernant les rythmes scolaires, alors que la municipalité Piolle a fait le choix de ne pas repasser à la semaine de quatre jours, Alain Carignon promet de consulter les Grenoblois.
Les budgets participatifs « profitent à des faux citoyens d’extrême gauche »
L’ancien maire n’a pas une meilleure opinion de la politique culturelle de la municipalité en place. « Il pleut dans l’ancien musée du patrimoine à Verdun ! », s’exclame-t-il. Alain Carignon reproche, entres autres, à Éric Piolle d’avoir « étouffé la culture » en supprimant par exemple des subventions aux Musiciens du Louvre. Quant à la fête des Tuiles, le candidat ambitionne de « recréer des événements à la dimension de Grenoble, et non d’une kermesse ». Interrogé sur son intention ou non de la supprimer, il évite la question. « On va réétudier tout cela », répond-il simplement.
Sur le devenir des budgets participatifs, Alain Carignon juge les Grenoblois trompés par Éric Piolle. « On fait croire aux Grenoblois qu’ils décident mais, vu la faible participation, on a fait financer par la ville des projets mandatés par des faux citoyens d’extrême gauche », attaque le candidat.
Il n’entend pas pour autant les supprimer, mais plutôt les maintenir « dans une autre forme ». Autrement dit, Alain Carignon organisera des réunions publiques pour faire connaître aux habitants l’état des infrastructures de leur ville.
« Les citoyens décideront en connaissance de cause de leur projet, mais ils auront aussi la liste des besoins existants », explique le candidat.
Julien Morceli