TRIBUNE - « Les mots ont un sens » et les employer à la légère entraînerait « de graves conséquences ». C’est ce qu’affirment les militants du Jour d’après, offusqués par les panneaux « ZONE DE TRI » un temps affichés devant la Clinique mutualiste de Grenoble. Ils s’indignent face à ce qu’ils perçoivent comme une forme de violence symbolique à l’égard du genre humain, par le biais d’une « déshumanisation du langage ».
ZONE DE TRI… TRI, THÉRAPIE ?
ZONE DE TRI
Les mots ont un sens et les employer à la légère, de graves conséquences.
ZONE DE TRI
C’est ce que nous annoncent les panneaux un temps placardés sur les vitres des urgences de la Clinique mutualiste*.
ZONE DE TRI en rouge, sur une flèche rouge, et ce de manière répétitive jusqu’au pupitre posé devant la porte d’entrée où l’on pouvait lire ZONE DE TRI et en-dessous PLAN BLANC EN COURS.
ZONE DE TRI
De quoi s’agit-il ? D’une déchetterie ? Que trie-t-on dans une clinique ? Dans les poubelles d’une clinique ? Des pansements usagés, des médicaments périmés, aujourd’hui des masques infectés, usagés, des sur-blouses, des gants ? Les mensonges de l’État gobés par nombre de sommités médicales, ou derrières lesquelles le pouvoir se réfugie pour prendre ses décisions essentielles ? Fermeture des écoles pour les rouvrir lors du premier tour des municipales, re-fermeture puis réouverture, confinement, déconfinement…
ZONE DE TRI
« Allons-donc », direz-vous, « cette expression ZONE DE TRI est utilisée sans réfléchir, ce doit être une erreur, il ne faut pas voir le mal partout… » « C’est encore plus grave alors, c’est ignorer le sens profond du mot HÔPITAL, qui a la même racine que le mot HOSPICE et qui signifie LIEU D’ACCUEIL, et pas forcément médical ; c’est là que les pauvres trouvaient à manger, un lieu pour dormir et un peu d’humanité. »
Même les dictionnaires n’évoquent que très périphériquement ou ne l’évoquent pas du tout (par exemple celui de l’Académie française) l’application de ce vocable aux hommes.
« On trie des lentilles, des paires de chaussettes »
ZONE DE TRI
Dans la langue française, on trie des lentilles, des paires de chaussettes, des affaires, des ordures, des photos de famille, des souvenirs, des pièces jaunes, on trie des poissons par espèces, des animaux pour les amener à l’abattoir (et il y aurait à dire aussi), mais pas des gens.
Quant au mot ZONE, par son contenu de froideur et d’abstraction, il ne peut avoir été choisi que pour renforcer l’idée de TRI. On parle de zone interdite, de zone militaire, de zones érogènes, de zone verte, de zone de stationnement… au CHU de Saint-Étienne, on a utilisé le terme de zone d’attente.
C’est pour être soignés, rassurés, dépistés, que les gens arrivent aux urgences ; parce qu’ils sont malades, blessés, parce qu’ils souffrent, parce qu’ils ont été infectés ; ils ne s’y rendent pas par choix mais par nécessité. Et là, en ce moment, victimes de la pandémie, du Covid-19, ils s’y rendent bien obligés !
Et là, ils se retrouvent dans une ZONE DE TRI.
Et c’est comme ça que la direction de cette clinique mutualiste, la directrice de cet établissement public, les a accueillis pendant plus de deux mois ? La directrice de cette clinique, qui pourtant sollicitée poliment, dès la mi-avril, s’est entêtée et a refusé de changer les termes de son accueil ? Et il faudrait penser que c’est une erreur… une maladresse ! Et si c’est le cas, pourquoi s’enferrer dans le silence ?
ZONE DE TRI
C’est un individu qui rentre à l’hôpital, à la clinique, qui a pourtant déjà un numéro, un numéro de carte vitale. Et là, il est censé attendre patiemment dans une ZONE DE TRI, accueilli comme une chose et non comme un être humain.
Bien sûr, lorsque qu’il va quitter cette ZONE DE TRI, lorsqu’il va rentrer dans l’Hôpital, la Clinique, il sera accueilli par un personnel soignant et pas seulement par des blouses blanches, qui vont tout faire pour prendre en charge, sa douleur, sa maladie, son infection. Et qui seront le plus souvent extraordinaires d’humanité !
Le contraste est grand, vous en conviendrez, entre cette ZONE DE TRI et l’espace de soins !
Face à cette pandémie, on aurait pu attendre des mots accueillants, emprunts de bienveillance (un terme qu’ils emploient pourtant tout le temps !), pour prendre en charge les maux, ceux des usagers, ceux des patients. Et là, cela n’a pas été fait !
La dernière fois qu’on a trié des gens en France c’était à Drancy
ZONE DE TRI
Jusqu’où allons-nous aller ? Cette façon de parler va-t-elle devenir monnaie courante, banale ? Leur utilisation ne pourra que participer de la déshumanisation du langage !
Pourtant, les quelques journalistes qui ont utilisé ce terme l’ont pris avec des pincettes ; ils l’ont écrit avec des guillemets tellement ils étaient gênés. Et d’autres, les soignants, se sont insurgés d’être contraints par la déroute criminelle du pouvoir à choisir de soigner l’un plutôt que l’autre. On en a parlé comme d’un drame en parlant de la différence de traitement entre les gens à l’hôpital et dans les Ephad, entre les jeunes, les adultes et les vieux !
ZONE DE TRI
Jusqu’où allons-nous aller ?
Voilà que du fond de notre mémoire collective, pourtant atrophiée, surgit immédiatement un autre moment qui a secoué la conscience du vingtième siècle : la dernière fois qu’on a trié des gens en France c’était à Drancy, où l’on triait les gens (regroupés là gentiment par le pouvoir de Vichy) pour les remettre aux Allemands, et c’était pas pour les soigner ! Les Juifs, les Roms, les malades mentaux, les homosexuels, les anarchistes, les communistes, les résistants…
Quant on pense à la dernière fois qu’on a trié des gens en France, il nous vient spontanément à l’esprit cette expression : Les sombres heures de notre histoire… Et ça nous vient spontanément aux lèvres parce que nous sommes des humains, des êtres humains et non des choses !
Et, justement, à l’époque de ces heures sombres… on parlait de Zone libre, de Zone occupée, ce qu’à peu de choses près on a retrouvé, avec l’état d’urgence sanitaire, dans la cartographie du déconfinement.
Hier, on regroupait des malades, aujourd’hui on les trie.
Hier, on traçait un produit alimentaire ; aujourd’hui on trace un être humain.
Jusqu’où allons-nous aller ?
Il est encore temps de ne pas accepter la barbarie ordinaire.
En dénonçant cet accueil des patients par une succession de panneaux ZONE DE TRI, fait unique à notre connaissance, en France** et alors même, que le 28 mai dernier, ils ont été arrachés [par des militants, ndlr] et non enlevés par la direction de cette clinique, nous voulons :
RENDRE LA HONTE PLUS HONTEUSE EN LA LIVRANT À LA PUBLICITÉ
F. Navailh et M. Jégout du Mouvement du Jour d’après
* Groupe hospitalier mutualiste de Grenoble :
Eaux-Claires : 8 ‑12 rue du Dr Calmette – Grenoble
Alembert : 124 rue d’Alembert – Grenoble
Institut Daniel Hollard : 21 rue du Docteur Hermitte – Grenoble
** Quelques traces de l’utilisation du terme, ZONE DE TRI, mais sans avoir de preuves visuelles d’un quelconque fléchage :
« Le centre de santé MGEN Paris 178 rue de Vaugirard accueille du lundi au vendredi de 8 h à 16 h les patients présentant les symptômes du Covid-19 avec un circuit dédié avec médecins généralistes et infirmières diplômées d’État. Le parcours comprend des professionnels de santé avec des mesures de santé barrières, un accueil par zone de tri et orientation vers une salle d’attente adaptée. Les zones sont adaptées en fonction des patients qui seront des cas possibles et des patients qui ne présentent pas de signe Covid-19. »
« Initiative zone de tri et de consultations Covid-19 à l’hôpital Moulay Youssef Casablanca
Initiative citoyenne d’un collectif de jeunes professionnels de l’événementiel et de la production artistique pour l’aménagement et l’équipement d’une zone de 800 m2 pour l’accueil des patients Covid-19 à l’hôpital Moulay Youssef à Casablanca. »
« Covid-19 au Burkina Faso : Zoom sur la contribution de l’armée sur la ligne de front (…) Sans tambour ni trompette, les Forces armée nationales du Burkina participent au combat contre la propagation de la Covid-19. Au Centre hospitalier universitaire Yalgado Ouédraogo (CHU-YO), première étape de notre visite, c’est une tente médicale flambant neuve que l’armée a mise à la disposition de l’hôpital. Et depuis, c’est cette tente qui sert de zone d’accueil et de tri des patients suspects de Covid-19 pour le CHU-YO. »
« Zone de tri à l’entrée de la clinique Kuindo-Magnin à Nouville (Nouvelle Calédonie) »
Et pour finir l’une des rares citations qui parle de trier des gens, car elle a du sens :
« Trier des livres rares, des perles, des semences ; trier des soldats parmi les meilleures troupes ; trier l’information pour un journal. Antoine (…) n’attachait guère de prix à ce faste extérieur. » « Mais », expliqua-t-il, « ça permet de trier la clientèle, tu comprends ? de la réduire, et de gagner du temps pour le travail » (Roger Martin du Gard., Les Thibault Été 14, 1936)
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