Tribune libre: "un observatoire de l’eau ne peut être au service d’une vision politique, encore moins d’une industrie"

Tribune libre : « un obser­va­toire de l’eau ne peut être au ser­vice d’une vision poli­tique, encore moins d’une industrie »

Tribune libre : « un obser­va­toire de l’eau ne peut être au ser­vice d’une vision poli­tique, encore moins d’une industrie »

TRIBUNE LIBRE – À l’oc­ca­sion de la Journée mon­diale de l’eau, ven­dredi 22 mars 2024, la branche gre­no­bloise du col­lec­tif Scientifiques en rébel­lion signe une tri­bune pour « pré­ve­nir le risque d’un acca­pa­re­ment, par des inté­rêts poli­tiques et indus­triels, d’un sujet essen­tiel et d’un bien com­mun : l’eau », autour de l’an­nonce de la créa­tion d’un obser­va­toire de l’eau par le Grésivaudan. « En guise de contre­feu, le col­lec­tif lance un appel à la com­mu­nauté scien­ti­fique gre­no­bloise pour qu’elle se sai­sisse du sujet ».

En avril 2023, la com­mu­nauté de com­munes du Grésivaudan (CCLG) annon­çait la créa­tion d’un obser­va­toire de l’eau. Celle-ci accom­pa­gnait les pro­pos tenus par M. Baile, pré­sident de la CCLG, qui s’agaçait des « sachants qui ne savent rien mais qui causent », gui­dés selon lui « par une démarche idéo­lo­gique et déma­go­gique ». Il sou­hai­tait ainsi « réta­blir un dis­cours de vérité ins­truit par une approche scien­ti­fique ».1Dauphiné Libéré, 3 avril 2023.

Henri Baile, président du Grésivaudan, souhaite la création d'un observatoire de l'eau. © Sébastien Buret - Hans Lucas

Henri Baile, pré­sident du Grésivaudan, sou­haite la créa­tion d’un obser­va­toire de l’eau. © Sébastien Buret – Hans Lucas

Nous sou­hai­tons prendre M. Baile au mot et faire en sorte que le sujet de l’eau soit traité de manière scien­ti­fique et apar­ti­sane. Pour ce faire, il nous semble en pre­mier lieu néces­saire de bien com­prendre le contexte social, éco­no­mique et poli­tique dans lequel s’inscrit ce pro­jet d’observatoire. L’UGA (Université Grenoble Alpes) réflé­chit d’ailleurs à la mise en place d’un « pro­gramme eau » avec une approche trans­dis­ci­pli­naire sur la ques­tion de la res­source en eau dans les Alpes.

L’utilité d’un obser­va­toire de l’eau

Depuis avril 2023, cette idée d’observatoire semble avoir fait son che­min du côté de la CCLG. L’idée de fond est cer­tai­ne­ment louable : mettre en com­mun, à l’échelle du ter­ri­toire, des don­nées sur la res­source en eau : res­sources, pré­lè­ve­ments, rejets, etc. Ces don­nées, regrou­pées sur une plate-forme web, seraient mises en accès libre.

Ce fai­sant, elles peuvent ainsi deve­nir un outil pour la recherche. Par exemple, cela pour­rait per­mettre de mieux connaître la dis­po­ni­bi­lité de la res­source en eau, compte tenu du réchauf­fe­ment cli­ma­tique, indis­pen­sable pour bâtir une stra­té­gie de ges­tion rési­liente et per­ti­nente en fonc­tion des usages.

Le collectif Scientifiques en rébellion appelle à la création d'un observatoire de l'eau en Isère. DR

Le col­lec­tif Scientifiques en rébel­lion appelle à la créa­tion d’un obser­va­toire de l’eau en Isère. DR

Mais d’autres axes moins quan­ti­ta­tifs, tels que l’attachement à un cours d’eau comme le pro­pose France nature envi­ron­ne­ment à tra­vers son pro­jet de par­le­ment de l’Isère, les ser­vices éco­sys­té­miques appor­tés par l’Isère ou l’aménagement du ter­ri­toire pour des futurs dési­rables pour­raient éga­le­ment être investigués.

Le pro­blème que sou­lève la mise en place, sous sa forme actuelle, d’un obser­va­toire de l’eau n’est donc pas tant sa rai­son d’être mais plu­tôt le contexte dans lequel il se monte et ses objec­tifs, qui orientent à la fois sa gou­ver­nance et son uti­lité. Il y a mal­heu­reu­se­ment fort à craindre que l’observatoire, voulu par les acteurs éco­no­miques et poli­tiques du Grésivaudan ciblés par des cri­tiques fortes quant à l’usage de l’eau par les indus­tries de la micro-élec­tro­nique, dont les fina­li­tés sont elles-mêmes ques­tion­nées, soit avant tout une façon d’améliorer l’acceptabilité sociale de déci­sions poli­tiques très impac­tantes pour le territoire.

Un obser­va­toire qui serait cha­peauté par l’Université Grenoble-Alpes

Nous esti­mons que mettre cet outil sous le contrôle direct ou indi­rect d’élu.es, quel que soit leur bord, conduira iné­luc­ta­ble­ment à un usage par­ti­san de l’outil. L’argument avancé par M. Baile d’un usage « idéo­lo­gique et déma­go­gique » s’applique ainsi à lui-même : l’observatoire de l’eau ne peut être un outil au ser­vice d’une vision poli­tique d’un ter­ri­toire, encore moins au ser­vice d’une industrie.

Dans l’idée de « réta­blir un dis­cours de vérité ins­truit par une approche scien­ti­fique », il va de soi que l’institution la plus appro­priée est l’Université. Cette der­nière offre en effet le lieu d’un dia­logue inter­dis­ci­pli­naire, mais aussi entre la science et la société, pro­pice à une défi­ni­tion des ques­tions et des don­nées à obser­ver, tout en regrou­pant les com­pé­tences pour la pro­duc­tion de savoirs.

Le 22 mars marque la date de la Journée mondiale de l'eau. DR

Le 22 mars marque la date de la Journée mon­diale de l’eau. DR

L’Université pour­rait ainsi défi­nir et com­pi­ler, en pre­nant en consi­dé­ra­tion les demandes des acteur.ices du domaine (col­lec­ti­vi­tés, asso­cia­tions, indus­tries, bureaux d’étude, agriculteur.ices, pro­fes­sion­nels du tou­risme, etc.), les don­nées per­ti­nentes et le péri­mètre d’étude, en veillant à ne pas dupli­quer inuti­le­ment des ser­vices exis­tants (voir par exemple https://​www​.isere​.fr/​o​b​s​e​r​v​a​t​o​i​r​e​-​e​a​u​/​P​a​g​e​s​/​d​e​f​a​u​l​t​.​a​spx).

L’Université recen­se­rait les ques­tions, tant scien­ti­fiques qu’opérationnelles, autour de ces enjeux de la res­source en eau. Parmi celles-ci, devront figu­rer les ques­tions légi­times sou­le­vées par les citoyen.nes aux­quelles il convient de répondre objec­ti­ve­ment et non pas sous l’angle unique de l’acceptabilité sociale des déci­sions politiques.

Des condi­tions sine qua non de la confiance de nos concitoyens

Un comité de pilo­tage, trans­pa­rent et démo­cra­tique, com­posé de l’ensemble des par­ties pre­nantes, y com­pris de citoyen.nes, per­met­trait de pro­po­ser des axes d’étude per­ti­nents répon­dant à ces questionnements.

Un conseil scien­ti­fique aide­rait au mon­tage des pro­jets en veillant à la bonne adé­qua­tion de ces der­niers avec les axes de recherche défi­nis par le comité de pilo­tage. Un rôle de « tiers veilleurs » exté­rieur à l’observatoire, pour­rait aussi être mis en place pour le res­pect des objec­tifs tant scien­ti­fiques qu’éthiques.

Un observatoire de l'eau à Grenoble? DR

Un obser­va­toire de l’eau à Grenoble ? DR

L’Université aurait éga­le­ment pour mis­sion d’organiser le trans­fert des résul­tats aux acteur.ices de l’eau sur le ter­ri­toire, dans le but d’éclairer les déci­sions poli­tiques et d’aider à la mise en place d’une ges­tion sou­te­nable de la res­source en eau.

Tout acteur​.ice (col­lec­ti­vi­tés, syn­di­cats, asso­cia­tions, indus­triels, orga­nismes d’état, etc) est légi­time pour appor­ter un sou­tien finan­cier. Pour se pré­mu­nir de l’influence que cela pour­rait exer­cer sur l’observatoire, ces finan­ce­ments néces­sitent d’être non flé­chés, sans contre­par­tie exi­gée ni droit de regard sur l’usage.

Nous pen­sons que ces élé­ments sont une condi­tion sine qua non de la confiance de nos concitoyen.nes envers la pro­duc­tion scien­ti­fique. Ils sont les seuls à même de per­mettre des prises de déci­sion poli­tiques éclai­rées pour une ges­tion démo­cra­tique de ce bien com­mun qu’est la res­source en eau.

Rappel : Les tri­bunes publiées sur Place Gre’net ont pour voca­tion de nour­rir le débat et de contri­buer à un échange construc­tif entre citoyens d’opinions diverses. Les pro­pos tenus dans ce cadre ne reflètent en aucune mesure les opi­nions des jour­na­listes ou de la rédac­tion et n’engagent que leur auteur. 

Vous sou­hai­tez nous sou­mettre une tri­bune ? Merci de prendre au préa­lable connais­sance de la charte les régis­sant.

Place Gre'net

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4 réflexions sur « Tribune libre : « un obser­va­toire de l’eau ne peut être au ser­vice d’une vision poli­tique, encore moins d’une industrie » »

  1. sep article
    • Nous lisons avec inté­rêt les com­men­taires : est-ce que l’es­prit du texte est bien com­pris (com­pré­hen­sible ?) ?
      Cette tri­bune ne pré­sente aucune opi­nion sur l’u­sage de la res­source en eau.
      Elle sou­ligne que le sujet est impor­tant et ne doit pas être ins­tru­men­ta­lisé à des fins politiques.
      Petite cla­ri­fi­ca­tion pour @desintox, il ne faut pas confondre consom­ma­tion d’eau et « empreinte en eau ». Mais, là encore, ce n’est pas le sujet de cette tribune.

      sep article
  2. Ok et ils pro­posent quoi comme solu­tion ? Délocaliser ST et donc dépla­cer cette consom­ma­tion d’eau ailleurs ? 

    C’est la même his­toire des voi­tures élec­triques construites ailleurs qu’en France à grand coup de pol­lu­tions supé­rieures aux voi­tures ther­miques, his­toire de se don­ner bonne conscience ??

    sep article
  3. « acteur.ices » : c’est l’or­to­graf en rébellion ?

    sep article

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