TRIBUNE LIBRE – À l’occasion de la Journée mondiale de l’eau, vendredi 22 mars 2024, la branche grenobloise du collectif Scientifiques en rébellion signe une tribune pour « prévenir le risque d’un accaparement, par des intérêts politiques et industriels, d’un sujet essentiel et d’un bien commun : l’eau », autour de l’annonce de la création d’un observatoire de l’eau par le Grésivaudan. « En guise de contrefeu, le collectif lance un appel à la communauté scientifique grenobloise pour qu’elle se saisisse du sujet ».
En avril 2023, la communauté de communes du Grésivaudan (CCLG) annonçait la création d’un observatoire de l’eau. Celle-ci accompagnait les propos tenus par M. Baile, président de la CCLG, qui s’agaçait des « sachants qui ne savent rien mais qui causent », guidés selon lui « par une démarche idéologique et démagogique ». Il souhaitait ainsi « rétablir un discours de vérité instruit par une approche scientifique ».1Dauphiné Libéré, 3 avril 2023.
Nous souhaitons prendre M. Baile au mot et faire en sorte que le sujet de l’eau soit traité de manière scientifique et apartisane. Pour ce faire, il nous semble en premier lieu nécessaire de bien comprendre le contexte social, économique et politique dans lequel s’inscrit ce projet d’observatoire. L’UGA (Université Grenoble Alpes) réfléchit d’ailleurs à la mise en place d’un « programme eau » avec une approche transdisciplinaire sur la question de la ressource en eau dans les Alpes.
L’utilité d’un observatoire de l’eau
Depuis avril 2023, cette idée d’observatoire semble avoir fait son chemin du côté de la CCLG. L’idée de fond est certainement louable : mettre en commun, à l’échelle du territoire, des données sur la ressource en eau : ressources, prélèvements, rejets, etc. Ces données, regroupées sur une plate-forme web, seraient mises en accès libre.
Ce faisant, elles peuvent ainsi devenir un outil pour la recherche. Par exemple, cela pourrait permettre de mieux connaître la disponibilité de la ressource en eau, compte tenu du réchauffement climatique, indispensable pour bâtir une stratégie de gestion résiliente et pertinente en fonction des usages.
Mais d’autres axes moins quantitatifs, tels que l’attachement à un cours d’eau comme le propose France nature environnement à travers son projet de parlement de l’Isère, les services écosystémiques apportés par l’Isère ou l’aménagement du territoire pour des futurs désirables pourraient également être investigués.
Le problème que soulève la mise en place, sous sa forme actuelle, d’un observatoire de l’eau n’est donc pas tant sa raison d’être mais plutôt le contexte dans lequel il se monte et ses objectifs, qui orientent à la fois sa gouvernance et son utilité. Il y a malheureusement fort à craindre que l’observatoire, voulu par les acteurs économiques et politiques du Grésivaudan ciblés par des critiques fortes quant à l’usage de l’eau par les industries de la micro-électronique, dont les finalités sont elles-mêmes questionnées, soit avant tout une façon d’améliorer l’acceptabilité sociale de décisions politiques très impactantes pour le territoire.
Un observatoire qui serait chapeauté par l’Université Grenoble-Alpes
Nous estimons que mettre cet outil sous le contrôle direct ou indirect d’élu.es, quel que soit leur bord, conduira inéluctablement à un usage partisan de l’outil. L’argument avancé par M. Baile d’un usage « idéologique et démagogique » s’applique ainsi à lui-même : l’observatoire de l’eau ne peut être un outil au service d’une vision politique d’un territoire, encore moins au service d’une industrie.
Dans l’idée de « rétablir un discours de vérité instruit par une approche scientifique », il va de soi que l’institution la plus appropriée est l’Université. Cette dernière offre en effet le lieu d’un dialogue interdisciplinaire, mais aussi entre la science et la société, propice à une définition des questions et des données à observer, tout en regroupant les compétences pour la production de savoirs.
L’Université pourrait ainsi définir et compiler, en prenant en considération les demandes des acteur.ices du domaine (collectivités, associations, industries, bureaux d’étude, agriculteur.ices, professionnels du tourisme, etc.), les données pertinentes et le périmètre d’étude, en veillant à ne pas dupliquer inutilement des services existants (voir par exemple https://www.isere.fr/observatoire-eau/Pages/default.aspx).
L’Université recenserait les questions, tant scientifiques qu’opérationnelles, autour de ces enjeux de la ressource en eau. Parmi celles-ci, devront figurer les questions légitimes soulevées par les citoyen.nes auxquelles il convient de répondre objectivement et non pas sous l’angle unique de l’acceptabilité sociale des décisions politiques.
Des conditions sine qua non de la confiance de nos concitoyens
Un comité de pilotage, transparent et démocratique, composé de l’ensemble des parties prenantes, y compris de citoyen.nes, permettrait de proposer des axes d’étude pertinents répondant à ces questionnements.
Un conseil scientifique aiderait au montage des projets en veillant à la bonne adéquation de ces derniers avec les axes de recherche définis par le comité de pilotage. Un rôle de « tiers veilleurs » extérieur à l’observatoire, pourrait aussi être mis en place pour le respect des objectifs tant scientifiques qu’éthiques.
L’Université aurait également pour mission d’organiser le transfert des résultats aux acteur.ices de l’eau sur le territoire, dans le but d’éclairer les décisions politiques et d’aider à la mise en place d’une gestion soutenable de la ressource en eau.
Tout acteur.ice (collectivités, syndicats, associations, industriels, organismes d’état, etc) est légitime pour apporter un soutien financier. Pour se prémunir de l’influence que cela pourrait exercer sur l’observatoire, ces financements nécessitent d’être non fléchés, sans contrepartie exigée ni droit de regard sur l’usage.
Nous pensons que ces éléments sont une condition sine qua non de la confiance de nos concitoyen.nes envers la production scientifique. Ils sont les seuls à même de permettre des prises de décision politiques éclairées pour une gestion démocratique de ce bien commun qu’est la ressource en eau.
Rappel : Les tribunes publiées sur Place Gre’net ont pour vocation de nourrir le débat et de contribuer à un échange constructif entre citoyens d’opinions diverses. Les propos tenus dans ce cadre ne reflètent en aucune mesure les opinions des journalistes ou de la rédaction et n’engagent que leur auteur.
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4 réflexions sur « Tribune libre : « un observatoire de l’eau ne peut être au service d’une vision politique, encore moins d’une industrie » »
Faut il aussi arrêter de manger du pain ? Il faut 415 litres d’eau pour produire une baguette.
https://reporterre.net/132-litres-d-eau-pour-une-tasse-de-cafe-Nos-besoins-sont-excessifs
Nous lisons avec intérêt les commentaires : est-ce que l’esprit du texte est bien compris (compréhensible ?) ?
Cette tribune ne présente aucune opinion sur l’usage de la ressource en eau.
Elle souligne que le sujet est important et ne doit pas être instrumentalisé à des fins politiques.
Petite clarification pour @desintox, il ne faut pas confondre consommation d’eau et « empreinte en eau ». Mais, là encore, ce n’est pas le sujet de cette tribune.
Ok et ils proposent quoi comme solution ? Délocaliser ST et donc déplacer cette consommation d’eau ailleurs ?
C’est la même histoire des voitures électriques construites ailleurs qu’en France à grand coup de pollutions supérieures aux voitures thermiques, histoire de se donner bonne conscience ??
« acteur.ices » : c’est l’ortograf en rébellion ?