DÉCRYPTAGE – Annonce choc et surprise de Laurent Wauquiez. Le président de la Région Auvergne-Rhône-Alpes promet un masque réutilisable à chaque habitant du territoire d’ici la fin du mois de mai. Le tout en s’appuyant sur des filières locales. Une annonce qui survient quelques heures après que le maire de Grenoble ait interpellé l’État en lui enjoignant d’adopter une stratégie nationale sur la question des matériels de protection.
Annonce choc et surprise de Laurent Wauquiez : dans une conférence de presse exceptionnellement retransmise en direct, le président de la Région Auvergne-Rhône-Alpes vient d’annoncer que la collectivité fournirait à chacun de ses habitants un masque réutilisable d’ici la fin du mois de mai. Des masques vérifiés et produits localement en s’appuyant sur les initiatives des entreprises avec, à la clé, une garantie d’autonomie vis-à-vis de la production chinoise.
Une manière de supplanter l’État dans ses prérogatives de santé publique ? « On n’a jamais voulu être dans un conflit avec l’État », conteste Laurent Wauquiez. Qui n’a pourtant pas manqué, au cours de son intervention, de qualifier le « pilotage national » de la crise « défaillant ». « L’initiative locale a été capable de trouver des réponses là où, si on avait tout attendu du national, ça aurait été très compliqué », déclare ainsi le président de la Région.
En matière de distribution, Laurent Wauquiez entend s’appuyer sur le réseau des maires du territoire régional. « On livre les maires, les maires assurent la distribution et on avance », résume l’élu. Pour qui la priorité doit être de faire en sorte que chaque habitant dispose d’un équipement durant la période de déconfinement progressif. Quitte à créer des effets doublons ? « Je redoute plus la pénurie que le fait qu’il y ait suffisamment de protection », affirme-t-il.
La Ville commande 7 500 masques réutilisables Ocov
La Région avait déjà commandé des masques par le passé, en passant par la filière chinoise dont Laurent Wauquiez veut s’émanciper aujourd’hui. Une commande à laquelle la Ville de Grenoble avait participé, avec à l’arrivée peu d’exemplaires à sa disposition. « Priorité a été donnée aux maisons de retraite, ce que l’on comprend », explique Éric Piolle. Et la commande est soumise aux mêmes aléas que les autres, avec des livraisons arrivant au compte-gouttes.
La Ville s’est dès lors, elle aussi, tournée vers le local, avec une commande de 7 500 masques conçus par le collectif Voc-Cov. Soit l’équivalent de 750 000 masques FFP2, le masque Ocov étant réutilisable 100 fois grâce à son système de filtre lavable.
Leur destination ? Les agents de la Ville de Grenoble et le CCAS. Mais Éric Piolle a indiqué que des masques seraient mis à la disposition des communes de la métropole qui le souhaitent. La livraison est attendue la semaine prochaine.
Enfin, les masques en tissu demeurent une alternative pour les habitants. L’édile n’oublie pas de saluer « les petites fées du territoire ». Des couturières du Théâtre municipal et des « couturiers et couturières bénévoles » qui s’attellent à la production de ces masques (voir encadré).
Au risque de tomber en panne de matière première ? L’élu entend demander au préfet de l’Isère d’autoriser la réouverture des merceries et commerces de tissu pour leur permettre de s’approvisionner.
Le maire de Grenoble appelle à une stratégie nationale
Avant l’annonce surprise de Laurent Wauquiez, le maire de Grenoble n’en rejoignait pas moins l’interpellation de l’association France urbaine. Dans un communiqué, le collectif d’élus appellent à clarifier « la répartition des rôles entre l’État et les collectivités locales, en matière de commande, approvisionnement, stockage, circuits de distribution de masques ». « Si on veut l’unité nationale, il faut une stratégie nationale », juge ainsi Éric Piolle.
En toile de fond : l’annonce par Emmanuel Macron d’un début de déconfinement à compter du lundi 11 mai. « Nous attendons que le gouvernement définisse, dès à présent, en étroite coordination avec les grandes villes, agglomérations et métropoles, une stratégie nationale de généralisation du port de “masques grand public” pour l’ensemble de la population », écrit l’association. Qui souligne « l’urgence à anticiper les problématiques opérationnelles et logistiques ».
Une pénurie de masques qui engendre la spéculation
Première problématique ? La pénurie de masques, qui s’observe dans le monde entier. Éric Piolle a rappelé d’étranges épisodes, lorsque des commandes de masques ont été détournées par des États directement sur les tarmacs, voire sur les routes d’Europe. « La pénurie engendre une spéculation, une sorte de marché noir », déplore l’édile grenoblois. Non sans craindre une situation de concurrence… entre régions du territoire français.
« C’est un coup de gueule d’autant plus frustrant que c’est mon métier de base de faire de la gestion de flux, de la logistique et du pilotage. Je vis d’autant plus mal cette absence de coordination », s’agace Éric Piolle. Son credo : que l’État organise une stratégie à l’échelle nationale en matière de gestion des masques, portée ensuite au niveau territorial par les communes et les métropoles.
Pas question en effet pour le maire de parler de défection. « Nous sommes en première ligne pour lutter contre l’isolement, pour apporter l’aide alimentaire, l’aide de première urgence, pour faciliter les solidarités, pour assurer les services publics vitaux. Nous avons fait tout cela », rappelle-t-il. Avant de prévenir : « Mais nous avons besoin d’une stratégie pour nous coordonner, parce que, sinon, cela va être un sauve-qui-peut et rien ne serait pire que de donner cette image ».
Quels critères pour attribuer les masques ?
La stratégie nationale est d’autant plus souhaitable aux yeux du maire que les communes ne sont pas égales entre elles. « On mesure bien que les maires de communes de 500, de 1 000, de 3 000 ou de 20 000 habitants n’ont pas le même accès aux fournisseurs que des maires de communes de 100 000 habitants ! », souligne Éric Piolle. À ses yeux, la solidarité doit ainsi également s’organiser entre territoires.
La pénurie pose aussi la question des critères : si tout le monde ne peut porter de masques, qui devra en recevoir en priorité ? « Il faut un pilote qui définit les critères », insiste l’édile. Les masques à destination du grand public doivent-ils être dirigés vers les personnes de plus de 60 ans, qui représentent à elles seules 15 % de la population grenobloise ? Ainsi que vers les personnes présentant des maladies chroniques ?
Le maire de Grenoble s’interroge enfin sur l’utilisation de masques chirurgicaux dans des entreprises ou sur des chantiers. Si l’élu dit ne vouloir pointer personne du doigt, il rappelle que les soignants sont actuellement les premiers à avoir besoin de ce type de masques. Et risquent d’en avoir de nouveau besoin à l’avenir, en cas de deuxième pic de l’épidémie que certains redoutent avec la reprise des activités.
Florent Mathieu
LA CHARTREUSE PROMET UN MASQUE EN TISSU GRATUIT À CHAQUE HABITANT
Le projet du réseau de couturières bénévoles de la communauté de communes Cœur de Chartreuse prend de l’ampleur. L’objectif initial était de réaliser entre 4 000 et 5 000 masques en tissu d’ici la fin de la crise sanitaire. Une ambition revue à la hausse, puisque la Chartreuse table dorénavant sur… la fabrication de 90 000 masques barrières en l’espace d’un mois. Soit d’ici le milieu du mois de mai.
« Ce projet, ambitieux, repose sur l’action volontariste d’élus, d’entrepreneurs, de couturiers et couturières engagés bénévolement et convaincus que la santé de tous est une priorité ! », écrit la communauté de communes.
Celle-ci n’est pas seule dans l’aventure, puisque la Chartreuse a été rejointe par les élus de la Valdaine et des Vals du Dauphiné. Des élus qui espèrent pouvoir mobiliser entre 90 et 120 bénévoles.
Pourquoi 90 000 masques ? Pour pouvoir distribuer un masque textile gratuit à chaque habitant des communes concernées. Soit une soixantaine de localités, depuis Aoste à Montferrat, en passant par Cessieu, La-Tour-du-Pin, Les-Abrets-en-Dauphiné ou Saint-Pierre-de-Chartreuse. Le tout avec une prise en charge de l’achat des tissus, une organisation logistique et une distribution des masques assurées par les élus locaux.