TÉMOIGNAGE – Dans une maison de retraite de l’agglomération grenobloise, une cadre de santé lance un cri de détresse. Les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) doivent en effet se contenter de deux tests pour détecter des personnes âgées, en première ligne de l’épidémie de Covid-19. Or le confinement inhérent à ces structures, et que le gouvernement appelle à accentuer, s’annonce meurtrier.
C’est tout à la fois une bouteille à la mer et un cri de désespoir et de détresse que lance une cadre de santé dans une maison de retraite de l’agglomération grenobloise. Car, là, comme dans de nombreux établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), la situation devient chaque jour de plus en plus critique.
Dans ces structures, le personnel s’attend même à une hécatombe dans les jours à venir. Sans savoir quoi faire. Il dénonce aussi et surtout le manque d’anticipation, puis de réactivité face à une crise sanitaire. Crise qui va toucher de plein fouet des établissements où le confinement devient, faute de mesures adéquates, meurtrier.
« Cela va devenir dramatiquement exponentielle. On va avoir beaucoup de morts dans les Ehpad », alerte cette cadre de santé, très éprouvée. Celle-ci a souhaité garder l’anonymat parce que, selon elle, son cas n’est pas unique mais représentatif de ce que vivent de nombreux établissements en Isère et en France.
« Les personnes âgées sont davantage en sécurité chez elles que dans les Ehpad ! »
« À l’heure actuelle, les personnes âgées sont davantage en sécurité chez elles que dans les Ehpad !, alerte-t-elle. Il n’y avait et il n’y a qu’une chose à faire pour éviter l’hécatombe qui se prépare : des tests massifs ! Le test c’est le nerf de la guerre, on le dit depuis le début ! »
Des tests qui n’arrivent pas. Son établissement en a reçu deux en tout et pour tout la semaine dernière. Ce sont les directives nationales*. Comme pour les masques ou les respirateurs, le matériel est strictement et dramatiquement rationné. Cette cadre devra ainsi choisir lundi deux personnes à dépister parmi sa cinquantaine de résidents.
« Le test, c’est le nerf de la guerre »
« Deux tests, c’est insignifiant. Ça n’a aucun sens ! Il faudrait tester tous les résidents mais aussi tout le personnel car nous sommes dans un lieu confiné, à huis clos. C’est inhumain mais je ne peux pas lutter contre l’invisible. Sans tests je ne peux rien faire ! »
Comment détecter qui est porteur du virus ? Chez les personnes âgées, les symptômes sont qui plus est atypiques. Le Covid-19 ne se manifeste pas seulement par de la température ou de la toux mais aussi par des chutes, des diarrhées ou des changements de comportement. Comment déceler ce qui potentiellement peut faire penser au Covid-19 ?
Deux cas par Ehpad imposent le confinement dans leur chambre de tous les résidents
Pour cette cadre santé, sans tests massifs, c’est mission impossible. Dans tous les cas, l’issue pour les personnes détectées positives comme pour les autres, est sombre. Car la directive est de confiner tous les patients dans leur chambre une fois les deux cas confirmés.
Au risque que le « remède » soit pire que le mal ? « On est face à un risque de complication. C’est le syndrome du glissement avec, derrière, des risques cardio-vasculaires ou de phlébite ! Je ne peux pas confiner chaque résident dans une chambre, d’un point de vue logistique et d’un point de vue humain ! Ils vont dépérir et on va avoir encore plus de morts ! »
D’autant que les bras manquent dans ces structures. Déjà à flux tendu en temps normal, ces établissements sont aujourd’hui confrontés à une épidémie qui n’épargne pas le personnel. Arrêts, épuisement professionnel… Là, le personnel enchaîne les heures supplémentaires et renonce à ses jours de repos.
Le tout avec un équipement de protection réduit à son strict minimum : des masques chirurgicaux, du gel et des gants. Là, pas de maques FFP2 ni de lunettes ni de sur-blouses. Autant de matériel pourtant indispensables pour réaliser les tests selon la procédure. Résultat ? Un personnel déjà à bout de souffle alors que le corps médical annonce une première vague de malades en fin de semaine prochaine.
« Le gouvernement n’a rien anticipé, c’est la chronique d’un désastre annoncé »
« Je suis cadre de santé et je passe mon temps à chercher des gens pour venir travailler. Les boîtes d’intérim auxquelles on a recours nous annoncent déjà que cela va être compliqué ! À un moment donné, on n’aura plus le personnel pour assurer le minimum ! » À savoir les soins de base : nourrir les personnes âgées et les laver.
Car, dans les Ehpad, le risque vient aussi de l’extérieur. Dans cette petite structure de l’agglomération grenobloise, une quarantaine de personnes, hors résidents, vont et viennent. Impossible de parer aux risques, d’autant que le virus est très contagieux.
De son domicile, la cadre santé, confinée mais pas détectée après le refus des urgences de la soumettre au tests malgré sa fonction au sein d’un Ehpad**, oscille entre détresse et colère. « J’enrage de ce gouvernement qui n’a rien préparé. C’est la chronique d’un désastre annoncé. Je suis sûre qu’en Italie, en Espagne, c’est [aussi] l’hécatombe mais personne n’en parle. C’est un drame à huis clos qui se joue ! »
Dans le nord de l’Italie, les maisons de retraite sont devenues de véritables foyers d’infection, a en effet constaté Le Figaro. Là, les résidents meurent par dizaines depuis trois semaines. Hécatombe à venir ? L’Italie compte 300 000 personnes âgées dans ses Ehpad, deux fois moins qu’en France (605 000).
« Les urgences ne prendront pas les personnes âgées »
Les personnes âgées, laissées pour compte de l’épidémie de Covid-19 ? Dans les hôpitaux, les médecins ont déjà reçu des consignes pour opérer un tri parmi les personnes contaminées. « Les urgences ne prendront pas les personnes âgées. Nous, on est complètement impuissants face à cette situation ! »
Le 7 mars, son établissement a pris les devants. Et restreint les visites des familles aux résidents. Une mesure prise et édictée au niveau national le 16 mars.
Patricia Cerinsek
* Au sein des Ehpad, seuls les deux premiers cas sont dépistés, sur la base d’une recommandation du ministère de la Santé. « Seuls les premiers patients résidant dans une structure d’hébergement collectif (…) font l’objet d’un prélèvement. À partir du second cas confirmé, toute personne présentant un état symptomatique ou proche est alors présumée infectée. » Les autres cas, non dépistés, sont assimilés à des Covid-19 mais pas comptabilisés…
** Ne présentant pas de signe de détresse respiratoire, elle a été exclue des tests de dépistage.
L’OMS exhorte à dépister massivement, la France s’en tient aux personnes à risques
Pas de tests de dépistage massifs en France malgré les alertes en ce sens de l’Organisation mondiale de la santé. Paris campe toujours sur ses positions. À savoir que ne sont détectées que les personnes à risques, le personnel médical, voire les politiques et les célébrités.
Le ministre de la Santé Olivier Véran avait initialement annoncé que les tests seraient plus nombreux une fois le confinement levé. Mais le 23 mars, l’OMS a une nouvelle fois exhorté les États à tester tous les cas suspects de coronavirus. Le 24 mars, Olivier Véran a alors finalement annoncé vouloir démultiplier le nombre de tests.
Objectif : que les capacités actuelles passent de 9 000 à 29 000 par jour. Un nombre loin d’être suffisant pour les professionnels de santé alors que les tests mis au point en France sont commercialisés hors de l’Hexagone.
Un test rapide mis au point par bioMérieux à Lyon mais commercialisé aux USA
À Lyon, les laboratoires bioMérieux ont ainsi mis au point un test rapide mais développé avec le département américain de la Défense. Ce test sera mis en vente outre-Atlantique mais pas encore en France. Dans l’Hexagone, le laboratoire lyonnais doit en effet encore d’obtenir le marquage CE autorisant une vente au sein de l’Union européenne, souligne LyonMag.
En Indre-et-Loire, le laboratoire vétérinaire Inovalys a de son côté annoncé être en capacité de réaliser 1 000 tests par jour. Une proposition refusée par le ministre de la Santé pour des motifs juridiques, rapporte France bleu.