TRIBUNE LIBRE – À l’occasion des trois ans du lancement à Grenoble du projet Cœur de Ville Cœur de Métropole (CVCM), le président du collectif Grenoble à Cœur dresse un bilan sans concessions. En effet, ce collectif de commerçants et d’habitants qui veut dynamiser le centre-ville et améliorer les modes de vies des usagers, conteste l’efficacité de CVCM sur tous les plans.
C’est il y a trois ans, le 3 février 2017, qu’a été entériné le projet « Cœur de Ville Cœur de Métropole » (CVCM) qui a bouleversé en deux jours le plan de circulation du cœur de Grenoble, les 18 et 19 avril 2017. La Ville et la Métro de Grenoble ont imposé ce plan hors concertation, ainsi qu’en faisant volontairement l’impasse sur l’étude de l’impact environnemental prévue par la loi. La dispense avait été demandée, et presque aussitôt obtenue… en plein mois d’août 2016 !
La très forte ampleur de l’impact était pourtant parfaitement connue. En effet, la précédente municipalité avait étudié une proposition de l’urbaniste A. Chemetoff qui excluait la fermeture du boulevard Agutte-Sembat mais « ressemblait, en moins pire » à CVCM (selon les mots de l’adjoint aux déplacements de l’époque). Au vu de l’ampleur des conséquences, la décision avait été d’abandonner.
Nous ne saurons jamais ce que l’étude de l’impact environnemental de CVCM aurait dit des embouteillages, de la pollution, du bruit. De même concernant l’« évaluation fine des conséquences sur la vie commerciale » que la Ville et la Métro de Grenoble avaient promise mais n’ont jamais réalisée. Ce que nous savons, c’est ce que les Grenoblois constatent et disent, et ce que les organismes indépendants publient. Trois ans après, quelles sont donc les conséquences du plan de (non-)circulation de CVCM ?
Les conséquences de CVCM sur les embouteillages*
Selon Inrix, Grenoble est passée de n°10 en 2016 à n°6 en 2017 au classement des villes les plus embouteillées de France, avec un indice de congestion qui a augmenté de 3,8 à 4,3. L’année de la mise en place de CVCM a donc vu la congestion grimper de 13 % et Grenoble dépasser Lyon, Strasbourg, Nantes, Toulon, Lille et Toulouse !
Loin de se normaliser ensuite, la situation n’a cessé de se dégrader. Selon TomTom, Grenoble est n°4 depuis deux ans : en temps perdu déjà en 2018 (avant que ne commencent les travaux de l’A480), en temps perdu plus en taux de congestion en 2019 (avec le record d’augmentation, à égalité avec Paris !)
Les seules villes plus embouteillées que Grenoble sont Paris, Marseille et Bordeaux. Ce sont les plus grosses métropoles de France ! Paris est n°1, Marseille n°2, Bordeaux n°4. Que fait là Grenoble qui est bien moins peuplée (n°11) ?
Les conséquences de CVCM sur le vélo*
CVCM-Chronovélo promettait de « tripler la part modale du vélo d’ici 2020 ». Pour cela, il était annoncé que 20 800 voitures se transformeraient en 20 200 vélos ! C’était la condition sine-qua-non pour que fonctionne « un plan de circulation qui impose de fait des modifications de comportement importantes de la part des usagers à très court terme ». Sans surprises, toutes ces prédictions basées sur rien ont échoué.
2020, nous y sommes et l’utilisation du vélo est très loin d’avoir triplé, tant sur Grenoble que sur la Métropole. Le compteur du cours Lafontaine affiche 2 150 vélos par jour. Alors que le cours Berriat et le boulevard Agutte-Sembat servaient 13 100 véhicules par jour de trafic local.
Grenoble à Cœur a compté les vélos sur le boulevard Agutte Sembat, par beau temps lors d’une journée de marché de Noël à la fin 2019 (**). Il passait un peu plus de 5 vélos par minute aux heures de pointe et seulement 2 aux heures creuses !
Où sont les 20 200 vélos qui devaient remplacer 20 800 voitures à très court terme ?
Les conséquences de CVCM sur la pollution
Il s’agit de l’air que respirent les Grenoblois et de leur santé. Le respect du seuil de pollution au NO2 a été repoussé de onze ans, en 2026 au lieu de 2015. Ainsi, les élus en responsabilité depuis six ans à la municipalité et à la Métro se sont défaussés de l’engagement public du Plan de protection de l’atmosphère (PPA de Grenoble) que la Ville et la Métro avaient signé en 2014.
CVCM a largement contribué à ce retard.
Car au lieu de se transformer en 20 200 vélos, les 20 800 véhicules se sont reportés ailleurs, sur des parcours plus longs et des axes déjà saturés, dans le cœur de ville et sa périphérie jusqu’à la rocade ou l’A480. C’est la raison pour laquelle les embouteillages ont très fortement augmenté, dès le démarrage de CVCM. Ces embouteillages dans la cuvette grenobloise seraient-ils non polluants, comme certains veulent le croire ? Non, bien évidemment !
Grenoble à cœur avait montré une hausse de 15 % dès 2017 sur l’unique station d’Atmo mesurant la pollution du trafic en zone urbaine. Atmo a reconnu que la pollution avait augmenté sur certains axes de report de circulation. Cela n’est pas une découverte pour les riverains qui y vivent, et dont Atmo dit qu’ils sont plusieurs milliers à être impactés.
Combien exactement ? Atmo donne un chiffre que nous ne citerons pas car il n’est pas fiable et qu’il est certainement sous-estimé. En effet, faute d’avoir affecté des moyens dignes de ce nom à la mesure réelle de la pollution, Atmo s’est reposé sur des calculs virtuels sur informatique, avec toutes les incertitudes et inexactitudes que cela signifie*.
CVCM a donc pour résultat l’inverse du but affiché de « réduire les nuisances et la pollution ». Il figurait pourtant en premier des objectifs, sur le descriptif communiqué au préfet de Région.
Les conséquences de CVCM sur le bruit
En reportant la circulation sur d’autres voies et en augmentant la congestion, CVCM a aussi déporté le bruit. Par exemple, il a été mesuré en 2017 que le trafic avait augmenté de 27 % sur les quais, avec un niveau de bruit de 72 dB le jour et 63 dB la nuit. C’est fortement au-dessus*** de ce qui avait été mesuré avant CVCM place Victor-Hugo. Et dont il avait été dit que c’était « très proche de la limite critique d’exposition au bruit routier », une des raisons avancées pour fermer le boulevard Agutte-Sembat.
Dans les rues piétonnes « apaisées », ce sont les nuisances sonores nocturnes qui ont augmenté. Un nouveau terrain de jeu a été offert aux « fêtards ». Une monoculture des terrasses a aussi pris place, en remplacement de nombre de commerces qui ont fermé parce qu’impactés par la baisse de venue de la clientèle au centre-ville. L’attractivité globale s’en trouve diminuée.
Les conséquences de CVCM sur le commerce*
Selon Procos, le centre-Ville de Grenoble était le quatrième le plus dynamique de France en 2016. C’était l’année qui a précédé CVCM, avant que Grenoble ne tombe dans le dernier tiers des métropoles, ce qui s’est produit l’année après CVCM. En effet, selon Procos, deux tiers des métropoles avaient en 2018 « un taux de vacance de locaux commerciaux relativement faible (inférieur à 7 %) et qui n’évolu[ait] pas, voire décro[issai]t ». Ce n’est plus le cas de Grenoble. Le taux fluctue autour des 10 %, le « niveau rouge d’alerte », comme l’avait dit la Métro elle-même alors qu’elle croyait en être loin.
Comment expliquer une telle dégradation ? Qui en seulement deux ans a fait tomber la quatrième ville la plus performante de France dans le dernier tiers du classement des métropoles ? Non ce n’est pas internet, ni les grandes surfaces périphériques, ni le changement des modes de consommation ! Grenoble n’est pas une petite ville et tout cela existe aussi dans les autres métropoles, qui pour les deux tiers se portent bien. Une dégradation aussi rapide du commerce de la onzième métropole de France ne peut avoir qu’une seule explication : la brutale disparition de l’accessibilité. Combien d’emplois ont-ils ainsi été détruits ? Combien d’autres sont-ils encore menacés ?
Le bilan décevant de CVCM
Nous avions, le jour du vote de CVCM, dit devant le conseil métropolitain que : « OUI, nous avons Grenoble à Cœur, OUI nous voulons un projet Cœur de Ville Cœur de Métropole réussi », mais aussi que « les bonnes intentions ne suffisent pas. La réalisation n’a fait l’objet d’aucune étude sérieuse de ses conséquences. Tout montre pourtant qu’elles seront négatives sur la pollution, la santé, la fluidité des déplacements, la vitalité économique. »
On constate trois ans plus tard les conséquences, qu’une étude de l’impact environnemental aurait vues si le mot environnement avait pour les responsables de la Ville et de la Métro l’importance qu’ils lui donnent dans leurs discours. Mais ils ont choisi d’en faire l’impasse, ce qui risque fort de leur être reproché par la justice, comme l’a fait le tribunal administratif de Lyon en annulant une dispense délivrée quelques mois après celle de CVCM.
Dominique Grand (pour Grenoble à Cœur)
* Toutes les sources et explications complémentaires sont fournies dans les cinq communiqués publiés sur notre site entre le 9.10.2019 et le 11.02.2020
** Des extraits vidéo sont visibles sur notre site
*** Supérieur à quatre fois plus le jour (+7 dB) et à deux fois plus la nuit (+4 dB)
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