FOCUS – Avec Y.Spot inauguré ce 31 janvier à Grenoble, le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) lance son premier centre d’innovation ouverte et collaborative. Ce dernier, adossé aux équipements et au socle technologique du centre de recherche grenoblois, vise à conforter son leadership dans le transfert de technologie vers l’industrie.
« Nous voulons faire de Y.Spot, une machine à produire de l’ambition industrielle ». Et ce, à l’instar de lieux d’innovation comme les campus Mit aux États-Unis, Itri à Taïwan, ou encore Kaist en Corée. Le tout « en l’adaptant à la réalité européenne », précise encore Stéphane Siebert, directeur de la recherche technologique du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA).
Le centre de recherche a ainsi inauguré, ce vendredi 31 janvier, son premier centre d’innovation ouverte et collaborative. Sa construction a nécessité plus de deux ans de travaux. D’abord nommé Open Innovation Center, il est désormais rebaptisé Y.Spot (à prononcer Why Spot).
« C’est un lieu vers lequel une entreprise a naturellement envie de se tourner lorsqu’elle veut opérer un mouvement stratégique, tant sur le plan des produits que de son positionnement », indique Stéphane Siebert.
« Dix-huit mois seulement pour passer du concept à la solution pré-industrielle »
De fait, l’Y.Spot ne manque pas d’arguments en visant à réduire le « time to market ». Comprenez le temps de commercialisation. « Un avantage concurrentiel décisif », rappelle le CEA, qui souhaite permettre à ses partenaires de « passer en l’espace de dix-huit mois du concept à une solution pré-industrielle ».
Concrètement ? Directement adossé au CEA Grenoble, son premier bâtiment l’Y.Spot Labs* est en cours d’achèvement place Nelson-Mandela. Un autre, l’Y.Spot Partners** le complètera à l’horizon 2022.
Le bâtiment, lumineux, contemporain et d’une surface de 3 300 m², est censé « favoriser la créativité et l’intelligence collective ». Ainsi dispose-t-il d’espaces de travail indoor (à l’intérieur) et outdoor (à l’extérieur) que ses concepteurs ont voulu « inspirants et conviviaux », tels que son espace « échanges et détente ». L’ensemble est de surcroît modulable pour pouvoir accueillir des entreprises en résidence technologiques.
Des outils collaboratifs de haute technologie
Bien que jouxtant le centre protégé du CEA, ce lieu se veut résolument ouvert sur l’extérieur. S’y mélangeront « des chercheurs de sensibilités différentes, tels que des technologues, ethnologues, sociologues ainsi que des professionnels comme des designers, architectes, ergonomes, investisseurs, mais aussi des PME du tissu local, des étudiants… », énumère Claire-Noël Bigay, la directrice d’Y.Spot Labs.
Pour optimiser encore le travail collaboratif et gagner en agilité, les utilisateurs de l’Y.Spot Labs disposent en sus d’outils de haute technologie. Notamment l’espace mobile de vision de 100 m2 « Circé », conçu par le scénographe Frédéric Ravatin.
« Il s’agit d’un outil de dialogue qui peut être utilisé par des professionnels, parfois issus de différents horizons et qui ne partagent pas toujours le même vocabulaire. Ils pourront alors naviguer ensemble autour du même objet 3D », explique Tiana Delhome, chef de laboratoire au CEA. Ou encore, utiliser cet outil pour dialoguer avec un expert en téléconférence.
Un atelier de prototypage équipé d’une imprimante 3D d’HP
Fort de ses 6 500 familles de brevets, ses 4 500 chercheurs et de sa riche culture industrielle, le CEA Grenoble apportera son support aux entreprises partenaires d’Y.Spot via ses équipes dédiées à l’innovation. De quoi permettre de bénéficier ainsi de l’expertise et de l’expérience d’accompagnement de près de 600 industriels. Mais aussi, des équipements et laboratoires de recherche et développement (R&D) du centre de recherche.
Pour accélérer les cycles de développement, l’Y.Spot Labs dispose d’un atelier de prototypage rapide et de fabrication additive (ou impression 3D) thermoplastique. L’espace d’une surface totale de 500 m², est d’ores et déjà doté d’une imposante imprimante 3D fournie par le groupe Hewlett-Packard (HP), partenaire de ce lieu.
« L’impression 3D nous permet de casser le plafond de verre des limitations technologiques et d’inventer de nouvelles façons de concevoir des produits plus rapidement », explique Pascale Dumas, PDG de HP France. Mais pas seulement. Cette technologie permet aussi la fabrication des pièces en petites séries, économiquement viable. « Pour les PME, cela veut dire s’exonérer du prototypage », précise-t-elle. Cela va libérer un potentiel de créativité. »
« Un cycle de développement réduit par cinq »
Le fabricant britannique d’appareils pour l’orthodontie Your Smile Direct, l’un des premiers partenaires d’Y.Spot, ne s’y est pas trompé. Ce dernier se réjouit ainsi d’avoir réussi à diviser par cinq ses cycles de production grâce à cette plateforme.
Quant à Chabloz orthopédie, cette PME implantée à Seyssinet-Pariset, l’entreprise a déjà pu livrer ses premières orthèses (appareillages qui compensent la dysfonction d’une partie du corps) personnalisées destinées aux nourrissons atteints d’une déformation crânienne.
Cette efficacité séduit également les grands groupes de secteurs aussi divers que l’énergie, les cosmétiques, la santé, l’automobile etc. Ainsi, au sein de l’Y.Spot, le CEA et HP collaborent déjà avec Renault, l’Oréal, Siemens, Arkema ou encore General Electric.
« Y.Spot est exactement en lien avec la stratégie de notre société Novares. C’est un lieu fertile où on vient chercher des partenaires et des idées, construire des techno-briques, travailler sur les tendances et découvrir les nouveaux usages de demain », résume Luc Bornier, vice-président Développement Produit chez l’équipementier automobile Novares, qui travaille depuis trois ans avec le CEA.
« Désormais, l’open innovation a une maison »
L’Y.Spot Labs comprend également un showroom (salle d’exposition) des innovations, « vitrine du savoir faire du CEA et de ses partenaires ». Et un lieu d’évènements et d’échanges « pour valoriser de nouvelles façons de fabriquer l’innovation. Autant que favoriser les rencontres imprévues, source d’innovations fortuites », s’enflamme le CEA.
Nicolas Puget, responsable de la recherche et de l’innovation du groupe de fabrication de matériel de sport Rossignol, partenaire du CEA depuis 2005, s’en félicite. « L’Y.Spot est une très bonne nouvelle pour nous. Désormais l’open innovation a une maison », déclare-t-il.
« L’innovation n’est pas un chemin linéaire, il peut être tortueux, il y a des hauts, des bas. Plus on est entouré de différentes expertises et connaissances, plus vite on peut rebondir pour atteindre la solution finale », justifie-t-il. Alors, à quand le digital dans le ski ? Le groupe réfléchit déjà au sein d’Y.Spot aux avantages d’avoir un produit connecté, pour quel service rendu, etc.
Et, « pourquoi ne pas profiter de ce modèle pour le répliquer ensuite dans d’autres domaines comme l’Intelligence artificielle (IA), la cybersécurité avec des partenariats solides comme celui que nous avons avec HP ? », s’interroge de son côté Vincent Cachard, chef de projet innovation au CEA Grenoble. Une chose est sûre, le CEA envisage d’ores et déjà de répliquer le modèle de l’Y.Spot sur ses sites de Paris-Saclay et Cadarache.
Véronique Magnin
* Y.Spot Labs a bénéficié d’une enveloppe de 17 millions d’euros d’investissements. À savoir, 7 millions du CEA, 6 millions de la région Auvergne-Rhône-Alpes, ainsi que 4 millions du département de l’Isère.
** L’Y.Spot Partners est un futur bâtiment de 10 000 m2. Livré en 2022, il permettra l’accueil des entreprises souhaitant se rapprocher du CEA pour leur processus de conception. Ce bâtiment hébergera également des incubateurs de startups.