FOCUS – Ce vendredi 17 janvier au matin, avant le début de l’audience solennelle de la cour d’appel de Grenoble, les visages étaient tendus : mais qu’allaient donc bien oser les avocats grenoblois ? En grève dure depuis deux semaines contre le projet de réforme des retraites comme l’ensemble des barreaux français, ils avaient là l’occasion de directement faire passer des messages aux personnalités officielles invitées.
Un à un, ils s’installent. Du fond du palais de justice jusqu’à son entrée principale, les avocats forment une haie d’honneur, en attendant l’arrivée des officiels. Leur nouveau bâtonnier Me Evelyne Tauleigne passe auprès de chacun. Elle leur demande de faire honneur à la « dignité » de leur profession. Pas question donc pour les Grenoblois de jeter leurs robes noires, comme ont pu le faire leurs confrères du Barreau de Caen, suivis par d’autres depuis.
Il s’agit seulement, cette fois, de les déposer à leurs pieds ou bien de les porter pliées sur leurs avants-bras. Chacun porte aussi une affichette « Avocats en grève ».
Le silence se fait, des officiels passent… mais pas tous. Nombreux sont ceux préférant éviter le face-à-face, en empruntant un chemin parallèle pour rejoindre la salle d’audience.
« Si notre profession va mal, la Justice va mal »
Dans un ballet habituel au cours des audiences solennelles, la Première présidente de la cour d’appel Pascale Vernay et le Procureur général Jacques Dallest se sont alors tour à tour exprimés. Ce qui est moins habituel, c’est que le bâtonnier s’est aussi exprimé lors de ce rendez-vous privilégié pour les magistrats du siège et du parquet. L’idée ? Apaiser chacun, au lieu d’attiser les colères.
« Si notre profession va mal, la Justice va mal. » Pour Me Evelyne Tauleigne, c’est ce qu’on appelle un baptême du feu. Nouveau bâtonnier depuis le 1er janvier dernier, elle doit habilement expliquer le combat des avocats qu’elle représente, alerter les officiels de la situation, tout en ne braquant pas les magistrats, avec qui les relations ont parfois été particulièrement tendues par le passé à Grenoble.
« Notre combat n’est pas dirigé contre nos juges », mais « notre profession est en danger » et « elle est contrainte de se mettre en danger avec cette grève », lancée contre la réforme des retraites souhaitée par le gouvernement et remettant en cause le régime autonome des avocats. Le moment est, selon elle, « inédit, historique et grave ».
« Nous ne demandons rien à l’État, nous ne coûtons rien à l’État. Nous donnons à L’État », insiste la représentante grenobloise. Et celle-ci de rappeler l’incompréhension totale des avocats face à ce projet de réforme,
tout en exprimant un malaise plus profond et plus ancien chez les professionnels de justice.
« Je fais le vœux que notre gouvernement cesse le train des réformes qui mettent à mal notre profession et vos juridictions. Mais je sais que c’est un vœux pieux. »
Douze nouveaux magistrats installés
À l’occasion de cette audience solennelle, douze nouveaux magistrats ont été installés : neuf au siège, trois au parquet général. Nombreux chiffres de 2019 concernant la cour d’appel de Grenoble (Isère, Drôme, Hautes-Alpes) ont, par ailleurs, été pêle-mêle rappelés. Ainsi, 23 personnes ont été tuées, dont la moitié durant l’été. Trois de ces victimes étaient l’épouse ou la concubine du mis en cause. Pas moins de 2 500 victimes de violences conjugales se sont en outre manifestées. Et près de quatre tonnes de résine de cannabis ont été saisis par les douanes.
Jacques Dallest a de nouveau réclamé la hausse de la répression pour port illégal d’arme blanche. « Combien de crimes éviterait-on ainsi ? » Pascale Vernay a, elle, notamment considéré que « toute l’institution judiciaire devrait s’indigner » des délais de traitement des affaires, selon elle beaucoup trop longs. C’est ce qu’on appelle un début d’année respectueux mais offensif.
Fanny Hardy