TRIBUNE LIBRE – Le socialiste isérois Jean-Baptiste Caillet répond au texte récemment écrit par Julien Ailloud et Amin Ben Ali suite à sa tribune d’opposition à la “marche contre l’islamophobie” du 10 novembre dernier. Les deux militants de la France insoumise en Isère se disaient notamment fiers que leur mouvement ait appelé, à travers ses élu(e)s, à participer à cette marche.
© Joël Kermabon – Place Gre’net
Messieurs Ailloud et Ben Ali débutent en rappelant qu’ils prendront « toujours la défense des personnes attaquées au nom de leur croyance », jusqu’ici tout va bien, c’est exactement ce que je dis en préambule. Jamais je n’ai soutenu le contraire. Ils oublient simplement de dire également qu’ils prendront toujours la défense des personnes attaquées du fait de leur absence de croyance. Cela n’est pas mon cas, je n’ai pas d’indignation sélective, et entends défendre toute personne
discriminée.
Ils continuent en constatant que le texte d’appel à la marche du 10 novembre ne cite aucune des lois liberticides auxquelles il fait référence, puis en citent deux, qui illustrent leur thèse. Ils s’inscrivent donc en pleine adéquation avec le postulat du texte ; pour eux il existe bien des lois liberticides en France en lien avec la religion. Madjid Messaoudene a eu moins de pudeurs de gazelle dans l’émission Quotidien et a explicitement cité, lui, la loi de 2004. S’inscrivent-ils dans cette thèse ?
« Je ne considère bien évidemment pas que l’islam soit incompatible avec la République »
Je me réjouis de la position du député LFI Adrien Quattenens, qui a, quant à lui, affirmé que ni la loi de 2004, ni celle de 2010 et encore moins celle de 1905 ne pouvaient supporter ce qualificatif. Pire encore, ils exposent que, selon eux, « les islamophobes s’en sont saisi […] dans l’objectif d’accréditer la thèse selon laquelle les musulman.e.s sont contre la laïcité et que l’islam n’est pas compatible avec la république ».
Je veux revenir sur cette extrapolation. Puisque leur tribune est en réponse à la mienne, sous-entendent-ils que j’ai tenu un tel propos ? Je ne peux me résoudre à le croire. Chacun pourra juger, la tribune est en accès libre. Mais puisqu’il faut le répéter, et je le fais sans difficulté, je ne considère bien évidemment pas que l’islam soit incompatible avec la République.
Il est un moment où les tensions sont trop graves pour laisser passer des affirmations péremptoires, a fortiori quand elles sont fausses.
Etoiles jaunes à la marche du 10 novembre : mais de qui se moque-t-on ?
Par ailleurs, non seulement ils actent que les manifestants ayant arboré des étoiles jaunes l’ont fait à dessein, dans le but de se comparer aux juifs sous Vichy, mais ils présentent cet acte comme un « hommage ».
L’une des pancartes qui a fait polémique à la marche parisienne du 10 novembre. Source : compte Twitter de Sandrella
Mais de qui se moque-t-on ? La comparaison n’a pas lieu d’être, et puisqu’il faut rappeler l’histoire, les lois discriminatoires du régime de Vichy existaient bel et bien, elles, et n’avaient pour seul ressort que la qualité de juif.
Aucune loi, aucune, en 2019, en France, ne donne de droit ou d’obligation supplémentaire ni n’interdit une quelconque action à des français du seul fait de leur appartenance à une religion.
Rappelons-ici, s’agissant par exemple de la loi de 2004 sur l’interdiction des signes religieux à l’école, que les enfants ne sont pas acceptés ou refusés en fonction de leur religion, faute de quoi ce serait effectivement discriminatoire.
Ce qui est interdit, c’est le fait de porter un signe religieux ostentatoire, quel qu’il soit au passage, de la croix à la kippa en passant par le voile. C’est sensiblement différent. Et cela n’a rien à voir. Rien.
La comparaison entre français musulmans de 2019 et juifs de 1940 n’a pas lieu d’être
Mais les auteurs du texte cherchent à parachever à tout prix la comparaison entre les musulmans de France en 2019 et les juifs de France en 1940. Pour ce faire, ils mettent en avant les discriminations subies par des musulmans dans le monde du seul fait de leur appartenance à cette religion.
Bien évidemment la comparaison n’ayant pas lieu d’être entre français musulmans de 2019 et français juifs de 1940, les auteurs sont forcés de comparer des choses qui ne le sont pas. Pour condamnable que soit la persécution vécue par les musulmans en Birmanie ou en Chine, cela ne justifie en rien leur analogie.
S’ils en arrivent à devoir déplacer la focale, c’est un aveu d’échec. Puisqu’ils ne sont pas en mesure de montrer que les français musulmans subissent des lois analogues à celles du régime de Vichy en 40 pour les juifs, ils s’égarent.
Leur conclusion ne peut qu’étonner ; l’attentat contre la mosquée de Bayonne « passe[rait] pour un “sous-évènement” ». Pourquoi chercher à distiller pernicieusement l’idée qu’il y aurait des indignations sélectives ? Personne, ni au PS ni à gauche n’a jamais dit ni pensé qu’il ne pouvait pas s’agir d’autre chose qu’un acte détestable et grave.
« La femme, elle ne sort de chez elle que par la permission de son mari. »
Les auteurs abordent en conclusion les combats qu’ils entendent mener. Comment sérieusement dénoncer l’homophobie et le sexisme et défendre la signature de ce texte par l’imam Hassan Abou Anas (qui l’a retirée sous la seule pression médiatique) ?
Pour rappel, celui-ci déclarait en 2013 : « La femme, elle ne sort de chez elle que par la permission de son mari. […] Restez dans vos demeures, ça c’est la base. » Est-ce là la conception qu’ont les auteurs de l’égalité femmes-hommes ?
Et que dire de cet autre signataire, Rachid Eljay, qui déclarait que « Le hijab, c’est la pudeur de la femme. Et sans pudeur, la femme n’a pas d’honneur. Si la femme sort sans honneur, qu’elle ne s’étonne pas que les frères, des hommes, que ce soit des musulmans ou des non-musulmans, abusent de cette femme-là, la négligent et l’utilisent comme un objet. » Est-ce là la position des auteurs de la tribune sur la place de la femme dans la société ?
J’en terminerai par un épisode sombre de la manifestation. Comment les auteurs ne peuvent-ils pas simplement dire leur gêne d’avoir vu à cette manifestation du 10 novembre Marwann Muhammad exhorter les présents à crier « Allah akbar » ? Comment ne peuvent-ils pas dire leur gêne, a minima, de l’avoir entendu dire que cette phrase n’était associée au terrorisme islamique que par la faute des journalistes. Alors même qu’il y a six ans, les assassins de Charlie Hebdo sortaient de la rédaction en criant ces mots, les associant à jamais à leur acte ?
Robert Badinter a dit, en 1992 « Les morts vous écoutent ! […] Je ne demande rien, […] je ne demande que le silence que les morts appellent. » Voilà qui aurait dû guider ceux qui ont répondu en cœur à l’exhortation de M. Muhammad, près de quatre ans jour pour jour après le 13 novembre 2015.
Jean-Baptiste Caillet