FOCUS – Suite à l’incendie survenu dans la salle du conseil municipal de l’Hôtel de Ville de Grenoble, Alain Carignon dénonce des manquements supposés dans la gestion du bâtiment par une municipalité « exsangue financièrement ». En réponse, la Ville dénonce des mensonges de la part du candidat… et le renvoie à son propre passé en tant que maire de Grenoble dans les années 80 et 90.
« C’est tout de même la maison commune des Grenoblois qui s’effondrent ! » Sans surprise, Alain Carignon n’a pas manqué de réagir à l’incendie survenu dans les locaux de l’Hôtel de Ville de Grenoble lundi 30 septembre. Deux jours plus tard, le candidat déclaré aux municipales 2020 donnait rendez-vous aux journalistes sur le parvis du même Hôtel de Ville pour dire tout le mal qu’il pensait de la gestion du patrimoine municipal par Éric Piolle et son équipe.
Des critiques qui s’appuient notamment sur un avis « défavorable » rendu en 2017 par la sous-commission départementale de sécurité de la préfecture. Ainsi que sur un rapport d’observation de la Chambre régionale des comptes (CRC), daté pour sa part de 2018. Les conclusions : le bâtiment de l’Hôtel de Ville ne présente pas de bonnes conditions de sécurité incendie. Et nécessite dès lors d’importants travaux de mise aux normes.
Alain Carignon soucieux des impôts des Grenoblois
« En réalité, la Ville n’a plus les moyens : elle est exsangue financièrement et il y a une sorte de fuite en avant qui met le personnel en danger », tacle Alain Carignon. Pour qui l’Hôtel de Ville n’est pas le seul édifice du patrimoine municipal en péril. Et de citer l’ancien musée de peinture, ou encore la Tour Perret. La restauration de cette dernière n’est-elle pas sur les rails ? « Il n’y a pas un centime dans les tuyaux. Que de la palissade et de la com ! », ironise-t-il (voir encadré).
À propos de com, pas question pour l’ancien maire de Grenoble de décrire sa conférence sur les “terres” même d’Éric Piolle comme un acte de défi. « Il ne s’agit pas de défier : c’est un dossier qui concerne tous les Grenoblois, qui s’aperçoivent que le patrimoine de la Ville n’a pas été entretenu. » Alain Carignon dit compter sur la période pré-électorale pour révéler aux électeurs les manquements supposés de la municipalité. Avec, pour refrain, une question : « Où vont nos impôts ? »
La question financière taraude d’autant plus le candidat que le bâtiment de l’Hôtel de Ville est auto-assuré par la municipalité. En somme, la Ville doit provisionner chaque année une somme pour parer à d’éventuels travaux… comme ceux que vont nécessiter le sinistre. « Cette provision sera-t-elle suffisante pour couvrir les coûts du sinistre ? Combien cela va-t-il coûter au contribuable grenoblois ? », interroge l’ancien maire.
Trop tôt pour établir un coût, estime la Ville
« Mensonge ! » réplique l’adjointe de Grenoble en charge du Personnel et du Patrimoine municipal. Non seulement l’Hôtel de Ville est assuré, en l’occurrence par la société Amlin, mais Maud Tavel assure que le renouvellement du contrat en 2017 a permis « d’avoir une meilleure couverture avec une prime annuelle beaucoup moins importante que le précédent ». Seul domaine dans lequel la Ville s’auto-assure : la gestion des ressources humaines, précise-t-elle.
Quant à savoir combien le sinistre va coûter, Maud Tavel indique qu’il est encore trop tôt pour avancer un chiffre : « À quelques jours de l’incendie, on a plutôt géré la crise et assuré la continuité des services ! » Le déroulé des opérations ? L’expert de la société d’assurances s’est rendu sur les lieux jeudi 3 octobre, tandis que deux entreprises spécialisées doivent effectuer des visites pour présenter chacune leur devis pour le nettoyage des locaux.
« Ensuite, il y aura évidemment les travaux pour refaire la salle, mais pour le moment nous en sommes à nettoyer pour pouvoir réintégrer les salles de réunion et les bureaux, ainsi que nettoyer la salle des mariages, le salon et le hall d’honneur », poursuit Maud Tavel. Qui assure que les coûts totaux liés à la remise en état des locaux sinistrés par l’incendie seront discutés, et que la Ville fera acte de transparence le moment venu.
Un droit de retrait des employés refusé par la municipalité
L’ancien maire met également sur le tapis la question de la sécurité des agents et n’hésite pas à parler de « syndrome de Rouen » en accusant la Ville d’opacité sur les résultats des prélèvements effectués. Sa crainte ? La présence dans l’air de polluants, voire d’amiante, suite à l’incendie. « Il faut publier tous les documents pour que les employés, en particulier, soient rassurés », tance Alain Carignon.
Des employés dont certains ont demandé à exercer un droit de retrait, refusé par leur employeur. Maud Tavel confirme, en arguant que la municipalité se basait sur les recommandations mêmes des pompiers. À deux reprises, ceux-ci auraient indiqué que le bâtiment ne présentait pas de danger pour la santé. Au final, une quinzaine de personnes auraient été incommodées, principalement par des maux de tête.
La question des prélèvements ? Contrairement à ce que sous-entend Alain Carignon, l’adjointe affirme que leurs résultats ne sont pas encore connus. Un premier rapport devait parvenir à la municipalité vendredi 4 octobre, puis un document plus complet en milieu de semaine suivante. Et celle-ci de s’engager à communiquer les résultats aux organisations syndicales. « Je trouve assez fort de nous adjoindre quelque chose que, de toute façon, nous aurions fait ! », s’agace Maud Tavel.
Pour autant, l’adjointe se veut rassurante : « Des travaux avaient été faits pour la sonorisation et la retransmission vidéo [de la salle du conseil municipal, ndlr]. Le diagnostic indique qu’il n’y a pas d’amiante dans cette pièce-là », explique-t-elle. Reste à savoir, et c’est l’objet de prélèvements réalisés mardi et mercredi, si des particules sont restées dans l’air. Ce alors que le bâtiment a été amplement aéré dans la nuit de lundi à mardi, rappelle-t-elle encore.
« Nous avons prévu d’engager un programme de travaux »
Quid des avis défavorables qui, depuis des années, sanctionnent la sécurité incendie de l’Hôtel de Ville ? Maud Tavel met en avant plusieurs éléments de réponse, à commencer par la présence d’un PC sécurité composé de douze agents, « présents 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 ». L’adjointe évoque également les exercices d’évacuation, jugés en nombre insuffisant par la commission. « Entre 2002 et 2013, il y en a eu cinq. Depuis 2014, nous en avons fait trois et un quatrième est programmé sur l’automne », annonce-t-elle.
Autre point : la présence des archives municipales, au rez-de-chaussée d’un immeuble de grande taille, soit la configuration idéale pour occasionner un embrasement. La Ville et la Métropole, qui gèrent conjointement ce service, ont posé une préemption pour l’achat du bâtiment des archives départementales, rue Auguste-Prudhomme. En somme, les archives de la mairie prendraient la place de celles du Département, dont le déménagement à Saint-Martin-d’Hères est prévu à l’horizon 2021.
Autant de dispositifs qui, pour autant, ne constituent pas de solutions aux problèmes structurels soulevés par le bâtiment. « Nous avons prévu d’engager un programme de travaux », fait savoir Maud Tavel. « Une consultation est parue au mois de septembre pour travailler avec un maître d’œuvre et mettre en place un programme de travaux à partir de 2020 sur plusieurs années », ajoute-t-elle.
Le bureau du maire dans un HLM à Arlequin, promet Alain Carignon
Pas de quoi convaincre Alain Carignon pour qui, encore une fois, la Ville n’a pas les moyens de débourser les millions d’euros nécessaires, selon lui, à la réalisation de travaux de fonds sur l’Hôtel de Ville. Aux yeux de l’ancien maire, Éric Piolle n’a plus que deux solutions : « Soit la continuation de la fuite en avant, soit l’augmentation des impôts locaux ». Et de prédire dès lors une hausse de la fiscalité en cas de réélection de l’actuel édile de Grenoble.
Les propositions du candidat en lice ? Elles n’ont guère varié : Alain Carignon réaffirme sa promesse de déplacer les services municipaux dans les quartiers de Grenoble, à commencer par le bureau de maire qu’il installerait, dit-il, dans un HLM de l’Arlequin. Avec pour objectif de « reconquérir » Mistral, Villeneuve, le Village olympique… tout en louant le bâtiment de l’hôtel de Ville à une entreprise privée.
« Il faut que d’une faiblesse, on fasse une force », résume Alain Carignon en prévision de la « recette » que deviendrait une telle location si le maire et ses services s’installent ailleurs. Au passage, le candidat ne manque pas d’ironiser : « Cela fait deux ans qu’une de mes propositions est que le conseil municipal s’installe à la Métro. Aujourd’hui, ils le mettent en œuvre. Notre programme commence à être appliqué avant que l’on soit élu ! », s’amuse-t-il.
Un Hôtel de ville guère mieux loti… sous les mandats Carignon ?
À ironie, ironie et demi. « Alain Carignon a la mémoire un peu courte et s’arrête à une période où ça l’arrange, un peu comme le nuage de Tchernobyl qui s’est arrêté juste à la frontière ! », tacle Maud Tavel. L’adjointe pratique la raillerie sur plusieurs étages, n’oubliant pas que l’homme était ministre de l’Environnement lors de la catastrophe nucléaire en Ukraine, qui avait fait l’objet d’une communication pour le moins hasardeuse de la part du gouvernement de l’époque.
Maud Tavel indique ainsi qu’aucune visite de commission de sécurité n’a été réalisée dans l’hôtel de Ville durant les deux mandats d’Alain Carignon. Mais qu’un rapport publié à la fin de son deuxième mandat faisait état du « caractère dangereux de certaines parties de l’établissement qui peuvent être source d’incendie et surtout de propagation ». En somme, le bâtiment n’a pas attendu l’arrivée de Michel Destot aux affaires pour devenir inflammable.
Interrogé sur la question et visiblement pris par surprise, l’ancien maire botte en touche. « S’il n’y a pas eu de visite, c’est que ça fonctionnait très bien ! », répond-il aux journalistes. Avant de répéter que le patrimoine municipal est « abandonné depuis vingt-cinq ans ». Et de juger, plus ironique que jamais : « Si aujourd’hui l’Hôtel de Ville, la Tour Perret et l’ancien musée de peinture s’effondrent, ce n’est tout de même pas de ma faute ! »
Un peu quand même, semble considérer Maud Tavel. « Comment se fait-il qu’au moment où la décision a été prise de sa part de construire un nouveau musée, il ne s’est pas à un moment demandé quoi faire de l’ancien musée place de Verdun ? Ce sont toutes ces décisions et cette non-anticipation qui aujourd’hui nous mettent en difficulté ! », assène l’adjointe. Reste à investir pour les deux candidats dans une machine à remonter le temps ?
Florent Mathieu
LA RESTAURATION DE LA TOUR PERRET, BUDGÉTISÉE OU NON ?
La critique est récurrente dans le camp Carignon et le site Grenoble le changement s’en fait l’écho : la promesse d’une restauration et d’une réouverture au public de la Tour Perret pour 2022 n’est assortie d’aucun financement. « Il s’agit de tenir jusqu’en mars 2020 afin d’être sauvé par le gong de l’élection », écrit le site pro-Carignon et résolument anti-Piolle, en moquant les palissades disposées autour de l’édifice.
La Ville a pourtant présenté l’architecte en charge de la restauration, et procédé à des premiers relevés, sans convaincre ses opposants. « Aujourd’hui, nous sommes en phase d’étude, parce que la question de la fabrication du béton et de sa pérennisation intéresse aussi beaucoup la recherche », indique Maud Tavel.
Des économies pour financer des réhabilitations ?
La Ville dispose-t-elle de l’argent nécessaire pour mener à bien son projet de restauration ? « Nous recherchons un certain nombre de financements », répond l’adjointe au Patrimoine, en affirmant que la Ville compte déjà des partenaires financiers.
Pour le reste, Maud Tavel compte sur la « stratégie immobilière » de la municipalité, consistant à céder des commerces, logements ou garages dont elle n’a plus l’utilité.
Autre piste : le regroupement les services pour faire des économies. « À l’horizon 2015, nous passerons d’une quinzaine de sites techniques et administratifs à cinq sites », chiffre encore l’adjointe. Avant de conclure : « Tout cela va nous permettre de réhabiliter du patrimoine immobilier, qui a été si longtemps abandonné ».