DÉCRYPTAGE – Une quarantaine de femmes voilées et non voilées ainsi qu’une poignée d’hommes et quelques enfants ont couru, ensemble, en chantant, ce samedi 6 avril dans le centre-ville de Grenoble. Leurs revendications ? Que les femmes musulmanes soient autorisées à porter le voile, en particulier dans les piscines municipales, les
salles de sport, mais aussi à l’hôpital ou encore pour accompagner leurs enfants lors de sorties scolaires. Si les textes réglementaires sont pour la plupart édictés au niveau national, la pression monte sur les élus locaux…
Elles se sentent mises au ban de la société française, et entendent donc en changer les règles. Pour alerter l’opinion publique et interpeller les élus, des femmes voilées ont ainsi décidé de courir en groupe accompagnées de soutiens.
Munies de pancartes revendicatives, elles se sont donné rendez-vous ce samedi 6 avril devant la fontaine du Lion et du Serpent place de la Cymaise, à Grenoble. Après avoir revêtu des tee-shirts bleus aux couleurs de l’Alliance citoyenne, quelques adhérentes étant à l’origine de la course, le groupe a parcouru la ville en courant, à vélo, ou en trottinette.
L’association, née à Grenoble, organise ainsi régulièrement des événements pour interpeller les acteurs politiques et le grand public sur des situations jugées anormales et injustes. Elle s’est notamment fait remarquer par des opérations choc pour réclamer des travaux dans les logements sociaux.
« Nous voulons faire du sport, nous voulons avoir accès au bien-être ! »
Impliquées dans l’organisation de l’événement, Assia, Grenobloise de 44 ans, et Leila, Martinéroise de 42 ans, sont toutes deux voilées et coachs sportives. Elles aspirent à une société plus tolérante vis-à-vis du voile. « Les femmes voilées sont refoulées à l’entrée des salles de sport. Nous n’avons pas accès aux piscines [cf. encadré] », regrettent-elles.
« Le maillot de bain couvrant, que ce soit pour se baigner ou accompagner un enfant est toujours proscrit. Nous voulons faire du sport, nous voulons avoir accès au bien-être ! C’est indigne d’un pays où les femmes sont supposées vivre librement. »
Ces interdits vestimentaires ont beau être motivés par des raisons d’hygiène et de sécurité, Assia et Leila ne veulent pas l’entendre. Surtout, les deux femmes voilées ne considèrent ces justifications ni sincères, ni sérieuses.
Et de s’empresser d’apporter leurs arguments : « À Paris, certaines salles acceptent bien le port du voile. Si on se sentait en danger, pensez-vous que nous porterions un voile en faisant du sport ? La combinaison des femmes musulmanes pour la piscine est parfaitement hygiénique, pas moins que ne l’est une combinaison de plongée. On ne se balade pas avec un burkini toute la journée ! »
« On touche pas à mon hijab »
La course de ces femmes voilées, pour la plupart habitantes de Grenoble, de Saint-Martin-d’Hères et d’Échirolles, veut aussi faire écho aux « courses pour la dignité » qui se sont tenues en mars dernier dans différentes villes en France. Des courses organisées suite au retrait par Décathlon de son hijab de running. L’enseigne avait en effet fait marche arrière, suite au tollé généré par le nouvel article à la vente.
« À cause de tous ces fachos, fustige Taous, l’une des meneuses de la course, Décathlon a retiré ce vêtement destiné aux femmes musulmanes… Cette actualité a été la goutte qui a fait déborder le vase, et nous a poussées à faire cette course. » Histoire de bien afficher sa citoyenneté française, Taous porte, pour l’occasion, un voile auréolé d’une couronne de fleurs bleu, blanc, rouge.
« On est là pour défendre nos droits de citoyennes françaises, assène-t-elle, pour dire stop à l’islamophobie, à l’exclusion des femmes musulmanes des activités sportives, de la possibilité d’accompagner son enfant lors de sorties scolaires, d’aller voir un médecin sans être discriminée [elles demandent notamment à pouvoir être exclusivement examinées par des femmes médecins, ndlr], etc.», déroule-t-elle. « On touche pas à mon hijab » lance-t-elle pour finir.
Musulmane voilée elle-aussi, Cosette 48 ans est venue courir, en famille, avec ses deux filles non voilées, qui la soutiennent néanmoins. « On nous met constamment en marge de la société », accuse cette femme désireuse que les regards changent sur les femmes voilées. L’Alliance citoyenne pointe ainsi du doigt « les espaces où on [les] dévisage : centre de santé, université, CAF, pôle emploi… »
Récemment encore, Cosette affirme avoir été violemment invectivée dans la rue du fait de son voile. Le ton est monté et « des ouvriers sont venus mettre fin à l’altercation que je n’avais pas provoquée ! » Sa fille, Assia, 19 ans, fait référence à ses cours d’Éducation civique pour plaider la cause de sa mère : « J’ai appris à l’école que la liberté s’arrête où commence celle des autres. En quoi porter un voile enfreint la liberté des autres ? »
« On courra […] pour les femmes et leur honneur »
En cours de route, les militants se sont octroyé quelques pauses, afin de distribuer des tracts et de pousser la chansonnette, notamment avec cette ritournelle reprise en chœur : « On courra, même si les racistes ne veulent pas. Nous, on courra. Pour les femmes et leur honneur, et pour un monde meilleur, nous, on courra. »
Bien en vue des promeneurs du samedi, rue Félix-Poulat, les organisatrices ont pris le micro pour rappeler les enjeux de leur manifestation. Force est de constater que leur message a suscité peu de questionnements de la part des personnes croisées et aucune réaction hostile.
La plupart des badauds se sont ainsi contentés de prendre le tract tendu et de passer leur chemin ou d’écouter silencieusement les prises de paroles.
Assises sur un banc au Jardin de ville, deux jeunes filles non voilées ont découvert le tract et observé la course. Elles semblent approuver la démarche : « Elles ont raison. On ne parle pas assez de ces problèmes de discrimination. »
Un avis toutefois loin d’être partagé par l’ensemble des internautes qui ont commenté l’événement sur les réseaux sociaux quelques heures plus tard.
Les opposants réagissent en commentaire sur Facebook
Frédéric Vergez se dit ainsi opposé « aux dérives communautaristes ». Et enfonce le clou : « La liberté l’égalité et la laïcité sont des principes qui ne s’accommodent pas de telles pratiques. » Dans la même veine, Catherine Simone Sicler cite l’article premier de la constitution de 1958 : la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Et elle respecte toutes les croyances. « Vous le lisez comme moi, non ? », lance-t-elle.
De son côté, Myriam Martin-Arrête ironise : « Vivement les manifs devant les piscines pour séparer les hommes, des femmes. »
Une autre internaute, se déclarant proche des idées d’Élisabeth Badinter, « ne [peut] cautionner cette mode récente du port du foulard ». Car, indique-t-elle, « l’idée de cacher son corps au regard concupiscent des hommes est régressive ».
Georgia Caprio affirme, quant à elle, voir dans le voile une atteinte à la liberté de la femme, un symbole de soumission qui démontre une appartenance religieuse, ce qui est dérangeant. « Vous parlez liberté moi je réponds laïcité. Quand j’allais à l’école, nous n’avions pas le droit de porter une chaîne avec la Vierge ou le Crucifix, alors que l’on portait les chaînes de façon à ne pas les montrer. On suivait les ordres. C’est tout »
« J’aimerais que toutes ces dames qui vivent dans un pays de liberté manifestent aussi pour toutes celles qui se battent pour avoir la liberté de NE PAS mettre de voile dans les pays où on le leur impose !!, affirme enfin Vincent Dezelle. Chiche ! Vous nous faites une petite manif là-dessus la semaine prochaine ? »
Autant de critiques que ces musulmanes balayent d’un revers de la main. « Certains croient que, parce que nous sommes voilées, nous ne pensons pas par nous-mêmes, réprouvent les deux coachs sportives. Nous avons un cerveau sous notre voile, raillent-elles. Et nous réclamons d’être libres de vivre notre vie. »
« On se baignera, en combi ou en maillot, même si Piolle ne le veut pas… »
Ces femmes voilées entendent à présent mettre la pression sur les élus des communes de l’agglomération grenobloise. La balle est dans leur camp, affirment-elles. Concrètement, le groupe demande à ces élus de faire évoluer le règlement des piscines pour autoriser le port du burkini. Mais le combat s’annonce difficile, aux dires de Taous.
« À l’approche des élections, les élus d’Échirolles et de Grenoble ne veulent pas s’engager. » Du reste, à Grenoble, l’équipe municipale a déjà clos de débat, suite à une rencontre en septembre dernier avec l’Alliance citoyenne. Les militantes venues avec une pétition signée par plus de cinq cents personnes demandaient l’accès aux piscines pour les femmes voilées, rapporte Léa Galloy, de l’Alliance citoyenne.
« Quand ils [quelques élus de la majorité municipale, ndlr] nous ont reçus, ils nous ont promis qu’ils changeraient le règlement intérieur pour 2019. Quarante-huit heures plus tard, ils avaient changé d’avis, expliquant que tous les élus n[“étaient] pas d’accord. »
Les coureuses comptent bien organiser d’autres événements et happenings du même acabit pour tenter d’obtenir gain de cause. En attendant, avant d’aller prendre le pot de l’amitié devant la tour Perret, elles ont poussé une dernière fois la chansonnette… dédicacée cette fois. « On se baignera, en combi ou en maillot, même si Piolle ne le veut pas, nous, on se baignera. »
Séverine Cattiaux
DISCRIMINATION, ISLAMOPHOBIE… CE QUE DIT LA LOI
Hijab, niqab, burqa… de quoi parle-t-on ?
Le terme hijab désigne le voile islamique le plus répandu, qui couvre tête et cheveux mais pas le visage. A contrario, le niqab masque l’intégralité du corps, visage inclus à l’exception des yeux. Il est porté majoritairement par les pratiquants d’un islam rigoriste. Enfin, la burqa, rendue célèbre par les talibans en Afghanistan, couvre l’intégralité du corps de la femme, y compris le visage avec un voile ou une grille de tissu au niveau des yeux.
Pas de voile intégral dans les lieux publics
En France, le port du voile intégral (niqab et burqa) est interdit dans tous les lieux publics depuis la loi du 11 octobre 2010 : rue, commerces, hôpitaux, administrations etc, sous peine de 150 euros d’amende. Validé par le Conseil constitutionnel en 2010, puis par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) en 2014, ce texte de loi ne fait pas mention du voile islamique. Il dispose ainsi que « Nul ne peut, dans l’espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage », ces pratiques pouvant « constituer un danger pour la sécurité publique et [méconnaissant] les exigences minimales de la vie en société ».
Pas de signes religieux dans les écoles publiques
Que dit la loi concernant la possibilité d’accompagner les enfants lors de sorties scolaires ? S’il est autorisé dans l’espace public en France, le hijab est prohibé dans les écoles, collèges et lycées publics, depuis la loi du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les établissements scolaires publics. Tous les signes religieux ostensibles y sont ainsi proscrits, comme la kippa, les grandes croix chrétiennes ou bien le dastar, turban porté par la communauté sikh.
Le burkini, interdit dans presque toutes les piscines municipales
Quid du port du burkini ? Ce maillot de bain pour femme couvrant le torse, ainsi qu’une partie des membres et de la tête est interdit dans quasiment toutes les piscines municipales, officiellement pour des raisons d’hygiène. Seule la Ville de Rennes l’a autorisé. Interpellé le 11 octobre 2018 par Stéphane Ravier, député RN des Bouches-du-Rhône, sur son intention ou non d’interdire le burkini dans tous les lieux publics, le gouvernement d’Édouard Philippe n’a pour l’heure toujours pas répondu…
Hôpital public : obligation de neutralité pour le personnel
Tous les usagers « ont droit au respect de leurs croyances et doivent être mis en mesure de participer à l’exercice de leur culte, sous réserve des contraintes découlant du bon fonctionnement du service et des impératifs d’ordre public, de sécurité, de santé et d’hygiène », est-il souligné dans un guide édité par L’Observatoire de la laïcité.
Concernant l’alimentation, « les établissements de santé s’efforcent dans la mesure du possible de trouver des alternatives à la nourriture que ne consommeraient pas certains patients », mais « cette possibilité peut être limitée par des préconisations de l’équipe soignante pour le bon fonctionnement du service ».
Enfin, en dehors des cas d’urgence seulement, le patient peut « choisir librement son praticien, son établissement et éventuellement son service », mais le fait qu’il s’oppose « à ce qu’un membre de l’équipe médicale procède à des soins, pour des motifs tirés de la religion connue ou supposée de ce dernier » serait « un grave cas de discrimination, qui ne peut être admis ».
Peut-on parler de discrimination et d’islamophobie ?
Discrimination : « Fait de distinguer et de traiter différemment (le plus souvent plus mal) quelqu’un ou un groupe par rapport au reste de la collectivité ou par rapport à une autre personne » (Larousse)
Islamophobie : « Hostilité envers l’islam, les musulmans. » (Larousse)
Dans les cas où la loi s’applique à tous, sans cibler spécifiquement les pratiquants musulmans ou les femmes voilées, il n’est donc pas possible de parler de discrimination ni d’islamophobie.
MB