FOCUS – Le musée archéologique Grenoble – Saint-Laurent a présenté sa nouvelle animation scénographique résultant de l’étude anthropologique d’un des squelettes présents sur son parcours de visite permanent : celui du « prieur Guy ». Une étude anthropologique de longue haleine confortant le musée au rang des plus grands sites archéologiques et anthropologiques de France.
« Le prieur Guy fait désormais partie de notre parcours permanent. C’est donc un plus que nous proposons à nos visiteurs », se félicite Jean-Pascal Jospin, directeur du musée archéologique de Grenoble. Ce dernier a présenté, le 21 décembre, « le prieur Guy », la toute dernière animation ajoutée au parcours de la visite.
Une animation qui résulte de l’étude anthropologique menée sur l’un des nombreux squelettes visibles par les visiteurs. Ces ossements, situés dans la nef de l’église actuelle, sont très probablement ceux du premier ou second moine à avoir dirigé le prieuré de Saint-Laurent au début du XIe siècle.
Les recherches anthropologiques lui redonnant chair ont ainsi permis de retracer en images l’arrivée de l’ecclésiastique au prieuré. Mais aussi d’illustrer le développement de sa communauté monastique avec la construction de bâtiments conventuels. Sans oublier d’évoquer l’épisode de sa mise au tombeau. La scénographie va même jusqu’à rappeler la campagne de fouilles entreprise de 1978 à 1995 par Renée Colardelle, directrice du musée jusqu’en 2011.
« Nous avions à faire ici à des anonymes »
« Dans ce parcours consacré à l’évolution des premières églises paléochrétiennes, il manquait un peu d’humanité », déclare Jean-Pierre Barbier, président du département de l’Isère. C’est désormais chose faite. Ce grâce aux historiens et anthropologues qui ont livré les conclusions sur le mystérieux personnage du prieur Guy, au terme d’une étude poussée.
« L’objectif initial était de mieux connaître cette population de plus de 1 500 squelettes abrités au sein de ce qui était un mausolée au Ve siècle, pour devenir ensuite une église puis un monastère au XIe siècle et d’en faire la paléodémographie », explique Jean-Pascal Jospin.
La suite ? En 2004, est née l’idée de raconter leur histoire, de découvrir ce qu’ils étaient durant leur vie et de partager tout cela avec un large public. Mais là, ce ne fut que frustration et désappointement.
Et pour cause. « Nous avions à faire ici à des anonymes ! Aucun individu n’était connu, ne serait-ce que par une précision sur un tombeau », se souvient le directeur. Un écueil de taille auquel il convient d’ajouter la dispersion des ossements, bien souvent séparés de leur sépultures, bouleversées au fil de l’histoire…
Un squelette de deux mètres, nommé « le géant » candidat au rôle du prieur Guy
Pourquoi ce choix du prieur Guy ? D’abord parce qu’il existait des traces de ce tout premier abbé du prieuré dans les archives. D’autre part, « nous savions par un fragment de sa pierre tombale qu’il avait sa tombe à Saint-Laurent », précise le responsable du musée. Mais si son existence ne faisait aucun doute, comment faire le lien avec l’un des squelettes ?
Une question restée en suspens. Jusqu’au jour où il a fallu identifier un squelette de près de deux mètres appelé, faute de mieux, « le géant ». La seule et unique présence de sa tombe dans la nef au XIe siècle, juste à la fin du parcours, a constitué un élément de poids. En tout cas, de quoi faire de l’abbé un excellent candidat au baptême.
En outre, d’autres éléments d’ordre historique sont venus conforter historiens et archéologues dans leur intuition En conséquence de quoi, « nous avons donc pris le risque de faire l’étude anthropologique de l’individu », raconte Jean-Pascal Jospin.
L’analyse anthropologique du squelette a tranché
Les résultats ? Les anthropologues ont pu déterminer que le squelette appartenait bien à une personne ayant vécu au XIe siècle. Et même de préciser que ce n’était pas un cavalier ni un combattant. L’analyse de sa dentition et de sa croissance osseuse régulière ont révélé qu’il menait « une vie plutôt calme, correspondant à celle d’un religieux ». Par ailleurs, l’ecclésiastique se nourrissait bien et avec des aliments, pour l’époque, de qualité. Les scientifiques ont également pu cerner ses origines.
Sa taille, son visage allongé et sa mâchoire proéminente caractérisent à leurs yeux une ascendance aristocratique nordique. Une hypothèse qui tient la route quand on sait qu’à cette époque « le recrutement des prieurs s’effectuait dans les hauts lignages », indique le musée.
Comment le moine est-il mort ? Aucun constat de traumatisme sur ses os ne leur a permis de préciser les causes de son décès. Si ce n’est que sa mort est survenue entre 60 et 70 ans. Une fourchette temporelle qui, selon les textes retrouvés dans les archives, pourrait correspondre à celle de la gouvernance du monastère à l’époque du prieur Guy.
Raconter la vie du religieux et décrire l’environnement monastique du XIe siècle
Bien que cela ne soit pas une certitude absolue, le rapprochement entre le personnage du prieur et du squelette géant a fini par faire consensus entre les différents intervenants. Dès lors, comment raconter l’histoire du prieur Guy ? Cette narration débute en fin de parcours, dans les escalier remontant à l’accueil.
Parvenu à cet endroit, le visiteur déclenche une mise en lumière de la tombe et du squelette, situés juste sous ses pieds. Dans le même temps, un fragment d’épitaphe reste éclairé en permanence à hauteur d’épaule. Ensuite, juste avant de sortir de la nef, le musée invite le public équipé d’audio-guides à visionner un film d’animation faisant revivre le prieur Guy.
Les objectifs de cette mise en scène ? Raconter les secrets de sa découverte et ce que l’on a pu comprendre de sa vie d’homme en montrant le religieux dans l’environnement de la vie monastique au XIe siècle.
« Le XXIe siècle va être consacré à la reconstitution de l’histoire des populations »
« Dans le cadre du prieur Guy, c’est surtout l’anthropologie qui a apporté le plus d’informations, affirme Jean-Pascal Jospin. Dans les années qui viennent, dans les sciences auxiliaires de l’archéologie, c’est dans cette discipline que nous allons faire les plus grands progrès », prédit le directeur du musée archéologique.
« Le XXIe siècle va être consacré à la reconstitution de l’histoire des populations, des maladies, de l’alimentation, et ce principalement grâce aux études anthropologiques et génétiques », augure-t-il, laissant poindre une pointe de passion.
Joël Kermabon
« Nous attachons une attention particulière à nos musées »
Le musée archéologique de Grenoble fait partie du réseau des dix musées présents dans le giron du département de l’Isère. Si le projet du prieur Guy a pu aboutir c’est aussi « grâce au financement exceptionnel du département », tient d’ailleurs à préciser Jean-Pierre Barbier, son président.
Des dépenses qui ont notamment concerné le traitement du site du musée. Tels l’aménagement d’une passerelle, l’installation d’un système vitré pour permettre la vision de la tombe du prieur, l’ajout d’audio-guides. Sans oublier la prise en charge de la conception de la vidéo retraçant l’histoire du prieur.
« Nous avons régulièrement augmenté le budget dédié à la culture depuis 2015, avec au total sur trois ans une augmentation de 51 % », explique Patrick Curtaud le vice-président à la culture du Département.
Ce dernier l’affirme, « il est important d’avoir dans les musées départementaux des expositions temporaires de manière régulière en sus des expositions permanentes ». De quoi donner une attractivité supplémentaire aux musées. « C’est la raison pour laquelle nous avons fait des efforts dès le budget 2016 », se félicite le vice-président. Qui ne peut manquer de rappeler l’ouverture à Vif, ce avant l’été 2020, d’un onzième musée départemental : le musée Champollion.
« Ce qui a été fait au musée d’archéologie correspond tout à fait à ce que nous voulions faire, avec Jean-Pierre Barbier, pour la promotion de la culture en général et du patrimoine. Le budget de la culture n’est pas une variable d’ajustement », estime Patrick Curtaud.