FOCUS – Une soirée-débat sur la transition énergétique et l’avenir de l’hydroélectricité avait lieu ce lundi 22 janvier à l’Hôtel de Ville de Grenoble à l’initiative de l’université populaire Up ! et des intersyndicales GE Hydro et EDF de Grenoble. Comment réussir la transition énergétique alors que l’hydroélectricité est dans la tourmente ? Une questions majeure au centre des trois tables rondes auxquelles ont pu assister quelque 250 personnes. Parmi les invités de marque, l’ancienne ministre de l’Écologie Delphine Batho.
« Réussir la transition énergétique ? L’hydroélectricité dans la tourmente ». Tel était le thème des trois tables rondes organisées ce lundi 22 janvier 2018 dans le salon d’honneur de l’Hôtel de ville de Grenoble par l’Université populaire Up ! et les intersyndicales de GE Hydro et d’EDF.
L’objectif de cette soirée ? Mettre le focus sur ce secteur bien chahuté en France alors que ces deux entreprises risquent de perdre de nombreux emplois. Soit 345 pour GE Hydro tandis que EDF envisage d’en supprimer près de 6 000 en quatre ans.
Des salariés… et de nombreux politiques
Parmi les 250 personnes présentes dans le salon d’honneur de la mairie de Grenoble, de nombreuses personnalités. Notamment Delphine Batho, députée des Deux-Sèvres et ancienne ministre de l’Écologie du deuxième gouvernement Ayrault, et les deux jeunes réalisateurs du film Guerre Fantôme David Gendreau et Alexandre Leraître.
Mais aussi de nombreux élus : Éric Piolle, maire EELV de Grenoble, Christophe Ferrari, président de Grenoble-Alpes Métropole, les députés Marie-Noëlle Battistel (PS) et Jean-Charles Colas-Roy (LREM), le sénateur EELV Guillaume Gontard… Et, écologie oblige, de nombreux conseillers municipaux de la majorité municipale.
Dans le public, très nombreux, des salariés d’EDF et bien sûr de GE Hydro venus écouter leurs deux égéries, Nadine Boux et Rosa Mendes, toutes deux membres de l’intersyndicale en lutte.
« L’hydroélectricité c’est la première des sources d’énergies renouvelables avec 12 % de la production d’électricité nationale. La transition énergétique ne pourra pas réussir sans elle ! », déclare à la fin de son introduction Philippe André, syndicaliste Sud énergie à EDF et membre de Up !
« Guerre économique » et « trahison des élites nationales »
Le secteur est dans la tourmente à Grenoble avec le plan social qui frappe GE Hydro depuis le début de l’été 2017. C’est du moins ce que se sont attachés à retracer Rosa Mendes et Nadine Boux – en compagnie des deux réalisateurs de Guerre Fantôme et de Delphine Batho –, au cours de la première table ronde de la soirée.
De gauche à droite : Philippe André, Alexandre Leraitre, David Gendreau, Nadine Boux, Delphine Batho et Rosa Mendes. © Joël Kermabon – Place Gre’net
Son thème ? Les salariés de GE Hydro face aux enjeux de la transition énergétique. Avec pour cadre l’évocation de la mise à mal de l’intérêt général par « une guerre économique » et la « trahison des élites nationales » qui ont présidé au rachat du groupe Alstom par le géant américain General Electric. Tenants et aboutissants que vont rappeler les deux réalisateurs invités.
« Sans cela, on ne comprendrait pas pourquoi aujourd’hui le site de Grenoble est frappé par un plan social », tient à souligner Rosa Mendes.
« Une vaste mascarade qui ne cachait que des enjeux politiques et économiques »
« Cette vente, vous l’avez compris on l’a en travers. On nous l’avait pourtant annoncée comme une bonne chose », enchaîne Rosa Mendes à la fin de l’intervention à deux voix de David Gendreau et Alexandre Leraître. Avec sa compagne de lutte, Nadine Boux, les deux membres de l’intersyndicale de GE Hydro vont à leur tour retracer sept mois de lutte pied à pied.
Dernier épisode en date : le refus par la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte) d’homologuer le plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) soumis par la direction de GE Hydro. « En fait, ce n’était qu’une vaste mascarade qui ne cachait que des enjeux politiques, économiques et surtout personnels. L’addition est amère aujourd’hui », déplore Nadine Boux.
Si les deux représentantes des salariés se félicitent du soutien des politiques locaux dont notamment celui d’Éric Piolle et d’autres élus, ces dernières n’ont pas manqué de dénoncer le lobbying des grands groupes industriels sur l’État, tout autant que « l’étrange silence » du gouvernement. « Je crois que Nicolas Hulot ne nous a pas entendus », lance Rosa Mendes.
« Je crois qu’il est malade. Il est très silencieux, ce garçon », rétorque avec une pointe d’ironie Nadine Boux. Pour autant, Rosa Mendes l’assure, « il est encore temps d’agir, il n’est pas trop tard, nous sommes ouverts ».
En la matière, Delphine Batho sait de quoi elle parle puisqu’elle était membre de la commission d’enquête chargée d’examiner les décisions de l’État en matière de politique industrielle portant notamment sur le rachat d’Alstom.
« Ce que vous vivez, je le vis comme un crève-cœur. Tout avait été dit sur l’importance de l’hydraulique et de tous vos savoirs-faire, sur une histoire qui a plus de cent ans, sur un fleuron industriel pour la transition énergétique […] Tout a été dit sur la vente d’Alstom à General Electric. Ceux qui, maintenant, font semblant d’être surpris le savent bien, les dés étaient pipés », se désole Delphine Batho.
L’État ne joue pas pleinement son rôle, pour les syndicalistes
On l’aura compris, l’État était dans la ligne de mire des intervenants. Cela ne fera que se confirmer au cours de la deuxième table ronde consacrée aux salariés d’EDF face aux enjeux de la transition énergétique. Avec une question centrale sans concession : comment EDF est-elle en train de rater le virage de la transition énergétique ?
« Nous aussi, à EDF, nous vivons un plan social complètement passé sous silence et nous vous comprenons d’autant mieux », expose Anne Debrégeas de Sud Énergie EDF aux représentantes de GE Hydro. De fait, c’est près de 10 % du personnel qui, d’ici 2019 et au-delà, vont être supprimés par non-remplacement. « Une aberration en période de transition énergétique », estime la syndicaliste, pour laquelle l’État « a laissé faire ».
De gauche à droite : Vincent Fristot, Delphine Batho, Marie-Noëlle Battistel et Guillaume Gontard. © Joël Kermabon – Place Gre’net
L’État, actionnaire majoritaire, « ne joue absolument pas son rôle et a laissé EDF entrer en contradiction avec les objectifs de passer de 75 % à 50 % de nucléaire avant 2015 et d’augmenter la part des énergies renouvelables », poursuit Anne Debrégeas. Qui précise que la part du photovoltaïque par rapport à la production totale est inférieure à 0,5 %.
« L’électricité n’est pas une marchandise comme les autres. C’est un bien de première nécessité au cœur de la problématique environnementale. Les choix doivent s’opérer non pas sur des critères de rentabilité mais sur des critères de minimisation de l’impact écologique », conclut-elle.
« Trouver des solutions à des problèmes que nous avons nous-mêmes créés »
« Autrefois, nous avions une entreprise qui s’appelait EDF-GDF. Aujourd’hui, c’est plus de 150 entreprises, constate Cédric Thuderoz, de la CGT EDF. Et ce système-là, il a fallu le casser par tous les moyens. »
Un démantèlement du secteur énergie « où l’on essaie de trouver des solutions aux problèmes que nous avons nous-mêmes créés », ironise le syndicaliste. Et d’interroger : « Comment dans ce contexte de casse du service public avancer sur la transition énergétique ? »
Cette dispersion fait l’économie de l’analyse objective des réelles capacités de production, selon Cédric Thuderoz. Pourtant, l’enjeu est de taille et le challenge primordial motivant. Ne s’agit-il pas d’assurer à tous les Français une fourniture d’électricité optimale à des tarifs raisonnables ?
Marie-Noëlle Battistel. Soirée des élections législatives à la préfecture de l’Isère, 11 juin 2017. © Yuliya Ruzhechka – Place Gre’net
L’occasion pour Marie-Noëlle Battistel, députée de la 4e circonscription de l’Isère et présidente de la commission des affaires économiques, de revenir sur son rapport parlementaire concernant la transition énergétique.
Notamment sur l’injonction de la Commission européenne au gouvernement français concernant l’obligation de renouvellements de concessions et de gestion des ouvrages hydroélectriques.
« Y a‑t-il une réelle volonté de l’État de résister encore à la Commission européenne et de dire non à la mise en concurrence des ouvrages hydroélectriques parce qu’ils sont stratégiques en matière d’indépendance énergétique ? », s’interroge-t-elle.
L’affaire semble, en tout cas, bien mal partie puisque le Premier ministre Édouard Philippe aurait dit aux syndicats d’EDF que « le Gouvernement ne reviendra[it] pas sur le principe de mise en concurrence des constructions hydrauliques », révèle Philippe André.
« La main invisible du marché ne fera pas la transition énergétique »
« Même si les objectifs dans le domaine de l’environnement ne sont pas atteints, des énergies renouvelables se sont développées. Le problème c’est que l’État a développé des aides sans penser à la stratégie industrielle qui allait avec », souligne Delphine Batho.
L’ancienne ministre de l’Environnement prône « un grand compromis social autour de la transition énergétique ». Ce qui permettrait, selon elle, de sortir des blocages sociaux dès que l’on veut fermer une centrale nucléaire ou à charbon. Et ce « à la condition que nous reprenions la main sur notre souveraineté énergétique », assure-t-elle.
Pourquoi ? « Parce qu’il faut comprendre que la main invisible du marché ne fera pas la transition énergétique », explique l’ancienne ministre.
Quant au bilan – qu’elle estime très négatif – de la transformation de la société EDF en une société anonyme, il faut revenir sur son statut, affirme Delphine Batho. Certes pas avec une « nationalisation à l’ancienne mais en recherchant une forme moderne qui ressemble un peu au modèle coopératif, en faisant en sorte que la part détenue par le secteur privé soit détenue par les salariés et les consommateurs », plaide la députée.
Au final, un large consensus a régné durant ces tables rondes. Lesquelles sont arrivées à leur terme avec les interventions des élus locaux qui se sont exprimés sur la question d’une énergie plus locale et plus citoyenne. Se sont ainsi succédé Vincent Fristot, président de GEG, Éric Piolle, Christophe Ferrari, Guillaume Gontard et à nouveau Delphine Batho qui a conclu ce cycle de tables rondes.