TROIS QUESTIONS À… Alain Calmat était le dernier porteur de la flamme lors des Jeux olympiques de Grenoble en 1968. Après avoir gravi les 96 marches, le champion du monde de patinage 1965 a enflammé la vasque. Présent dans la capitale des Alpes jeudi 18 janvier pour la présentation des festivités du 50e anniversaire des JO, l’ancien ministre de la Jeunesse et des Sports a évoqué ce souvenir marquant.
Place Gre’net – Comment vous êtes-vous retrouvé le 6 février 1968 dernier relayeur de la flamme olympique, chargé d’allumer la vasque ? Et comment avez-vous vécu ce moment ?
Alain Calmat : Il y avait à l’époque deux grandes fédérations pour les Jeux d’hiver : la neige et la glace. Comme il y avait deux grandes manifestations – le serment olympique et l’ouverture des Jeux avec la flamme –, les fédérations s’étaient mises d’accord. Le serment olympique devait être prononcé par un skieur et la tâche d’allumer la flamme revenir aux sports de glace. J’ai ainsi été désigné par la Fédération des sports de glace.
J’étais présent pendant la quinzaine olympique, en 1968, en tant que médecin de l’équipe de France de ski. J’avais arrêté ma carrière de patineur en 1965, année où j’avais été champion du monde et où j’ai commencé à faire médecine. J’ai fait mon service militaire de 1964 à 1968. C’est la raison pour laquelle j’étais avec l’équipe de France à Chamrousse.
« Je savais que l’escalier était un peu dangereux. Au moment de monter les marches,
j’étais très concentré sur mon corps et à faire attention à mes pieds »
Je considérais que cela était un hommage que l’on rendait à ma carrière de sportif en me permettant d’allumer la flamme. J’étais d’abord très impressionné par l’ambiance pleine de ferveur. La population attendait cette ouverture et que la flamme s’allume. Quand j’ai entendu le Général de Gaulle avec son accent si particulier annoncer que les Jeux étaient ouverts, que c’était à mon tour d’y aller, j’avais une certaine émotion.
Surtout, j’étais très attentif à ce que j’allais faire parce qu’il ne fallait pas faire de bêtise. À Cortina [en Italie, lors des JO de 1956, ndlr], j’avais vu le dernier relayeur se casser la figure.
Je savais que l’escalier était un peu dangereux. Au moment de monter les marches, j’étais très concentré sur mon corps et à faire attention à mes pieds. J’étais occupé par mon équilibre.
Une fois arrivé au sommet, je me suis arrêté quelques instants. D’abord parce que j’étais content et ensuite parce que j’avais l’impression que le temps m’appartenait. J’ai pris trois, quatre secondes pas plus mais c’est un grand souvenir.
En quoi les Jeux olympiques sont-ils un événement à part ? Était-il important pour vous d’être présent à Grenoble pour la présentation des célébrations du 50e anniversaire des JO ?
Alain Calmat : Par rapport à l’histoire des deux Corées, on disait il y a quelques mois : “Ouh là là ! On ne va peut-être pas aller aux Jeux [en février à Pyeongchang, en Corée du Sud, ndlr]”. C’est n’importe quoi ! Avec les Jeux, nous pouvons arriver, même de façon très limitée, à obtenir un consensus de paix autour de cet événement.
Je le savais, parce que j’ai vu au cours des nombreux Jeux que j’ai suivis comme athlète, médecin, etc., la Corée du Nord et la Corée du Sud, l’Allemagne de l’Est et de l’Allemagne de l’Ouest être ensemble et en particulier lors du défilé.
Cela montre bien que les Jeux olympiques ont cette vertu et qu’il ne faut surtout pas avoir peur d’y aller.
Je suis très content que cela marche comme ça. Je ne dis pas que cela règle les problèmes politiques ou autres qui les séparent mais cela prouve que les gens peuvent s’entendre.
« Ce qui me surprend dans le bons sens est que Grenoble et les stations
ont très bien su profiter des Jeux alors que ce n’est pas le cas d’autres villes »
C’est extrêmement important pour moi d’être à Grenoble. D’abord, je suis content, cinquante ans après, de pouvoir le faire ! Ce qui me surprend dans le bon sens est que Grenoble et les stations ont très bien su profiter des Jeux alors ce n’est pas le cas d’autres villes [olympiques, ndlr]. Je trouve que c’est à mettre au crédit des collectivités.
Les communes se sont à la fois développées sur le plan des habitations, de la population mais également des points de vue culturel, sportif et touristique. Tout cela est lié au moins en partie à ces Jeux. Pour moi, c’est une grande satisfaction. Je n’y suis pour rien mais j’ai un peu participé en ouvrant les Jeux.
Quel regard portez-vous sur l’évolution du patinage ? Comment évaluez-vous les chances françaises dans cette discipline lors des Jeux olympiques à Pyeongchang ?
Alain Calmat : La discipline a beaucoup changé. Quand je patinais il y a plus de cinquante ans, il y avait des figures imposées qui comptaient pour 60 % et le [programme, ndlr] libre pour 40 %. Maintenant, il n’y a plus de figures imposées. Les patineurs se sont vraiment développés sur les plans de l’acrobatie, physique et de l’interprétation. Ils ne sont plus bridés par les figures imposées. Il y a donc un grand progrès sur l’aspect technique.
À mon époque, je faisais un triple [saut]. Aujourd’hui, ils ont tous les triples [différents] et des quadruples. Cela a changé de braquet. Nous avons de bons patineurs en France, il ne faut pas l’oublier !
Pour le petit [Grenoblois, ndlr] Chafik Besseghier, cela ne va pas être simple parce qu’il est un peu loin [dans la hiérarchie mondiale] pour l’instant. Par contre, nous avons un couple de patinage [Vanessa James-Morgan Ciprès] et un de danse sur glace [Gabriella Papadakis-Guillaume Cizeron] qui ont une chance de médaille. Je pense en particulier à Papadakis-Cizeron qui peuvent décrocher l’or.
Je serais déçu s’ils ne l’avaient pas. Après, vous savez, j’étais favori aux Jeux d’Innsbruck [en 1964] et je n’ai fini “que” deuxième. James-Ciprès peuvent espérer avoir peut-être la médaille de bronze, mais cela va être un peu plus difficile. Il y a aussi le patineur de vitesse [Alexis] Contin. Potentiellement, nous sommes pas mal.
Propos recueillis par Laurent Genin