UNE Jonathan Durand Folco, auteur de l'essai "A nous la ville", prix des libraires 2018 au Salon de Montréal DR

A Grenoble, la syner­gie entre les ins­ti­tu­tions et la rue « sérieu­se­ment affectée » ?

A Grenoble, la syner­gie entre les ins­ti­tu­tions et la rue « sérieu­se­ment affectée » ?

TROIS QUESTIONS À – Jeune intel­lec­tuel qué­bé­cois, spé­cia­liste de la démo­cra­tie par­ti­ci­pa­tive et du muni­ci­pa­lisme, Jonathan Durand Folco était l’in­vité de la Ville de Grenoble, fin 2017. L’auteur de l’es­sai A nous la Ville ! ne s’est pas borné au strict rôle de confé­ren­cier auprès des ins­ti­tu­tions. Il est allé ren­con­trer les habi­tants des quar­tiers, en l’oc­cur­rence ceux de la Villeneuve. Quelle impres­sion lui a laissé son pas­sage dans la capi­tale des Alpes, ville en tran­si­tion démo­cra­tique et éco­lo­gique ? Une impres­sion mitigée.

Jonathan Durand Folco, invité par la Ville de Grenoble en novembre 2017. Crédit Enzo Lesourt

Jonathan Durand Folco, invité par la Ville de Grenoble en novembre 2017. Crédit Enzo Lesourt

Docteur en phi­lo­so­phie, Jonathan Durand Folco est, depuis 2016, pro­fes­seur à l’École d’innovation sociale de l’Université Saint-Paul en Ottawa.

En mars 2017, il a sou­tenu sa thèse « Transformer la ville par la démo­cra­tie par­ti­ci­pa­tive et déli­bé­ra­tive. L’exemple des conseils de quar­tier décisionnels ».

Animateur du blog Ekopolitica, ce jeune intel­lec­tuel pro­li­fique vient de publier un essai À nous la ville ! aux édi­tions Écosociété. Un ouvrage qui s’est vu auréo­ler du prix des libraires 2018, au salon du livre à Montréal.

De la néces­sité de par­ta­ger le pou­voir avec les citoyens

L’idée force qui sous-tend l’es­sai de Jonathan Durand Folco est la néces­sité de par­ta­ger le pou­voir déci­sion­nel avec les citoyens si l’on veut s’o­rien­ter vers une société durable, plus authen­tique et plus équi­table. A quel niveau ce par­tage est-il le plus appro­prié ? A l’é­chelle muni­ci­pale, selon lui.

L’auteur plaide ainsi pour une réap­pro­pria­tion démo­cra­tique des espaces de vie, appe­lés les « com­muns », y com­pris des outils éco­no­miques. Tels sont à gros traits les prin­ci­paux res­sorts du « muni­ci­pa­lisme », prin­cipe déve­loppé par le menu dans l’es­sai de Jonathan Durand Folco.

Anne-Sophie Olmos, conseillère municipale de Grenoble, déléguée Contrôle de gestion et marchés publics et Jonathan Durand Folco, auteur de l'essai "A nous la Ville, traité de municipalisme, le 21 novembre 2017 à Grenoble. DR

Anne-Sophie Olmos, conseillère muni­ci­pale de Grenoble, délé­guée Contrôle de ges­tion et mar­chés publics et Jonathan Durand Folco, auteur de l’es­sai « A nous la Ville, traité de muni­ci­pa­lisme, le 21 novembre 2017 à Grenoble. DR

Vue de l’es­prit ? Utopie ? Pas vrai­ment, puisque ce type de gou­ver­nance est à l’œuvre dans cer­tains endroits du monde par­fois insoup­çon­nés, comme au Rojava (Kurdistan syrien) ou l’État du Kerala en Inde.

En France, le muni­ci­pa­lisme s’est illus­tré à tra­vers l’é­pi­sode court mais intense de la Commune de Paris (du 18 mars au 28 mai 1871), qui a très mal fini au demeu­rant, avec la Semaine san­glante.

Plus récem­ment, une autre forme d’au­to­gou­ver­ne­ments locaux a émergé en Europe, avec la créa­tion de « pla­te­formes citoyennes muni­ci­pa­listes », qui se sont empa­rées par les urnes des mai­ries de Barcelone, Madrid, Cadix, Saint-Jacques-de-Compostelle, Saragosse, Valence…

La ville de Grenoble ten­tée par le municipalisme ?

Si à Grenoble, on n’en est pas là, cette vision poli­tique semble par­ti­cu­liè­re­ment séduire l’équipe muni­ci­pale gre­no­bloise et son maire éco­lo­giste Eric Piolle, aux affaires depuis 2014.

C’est d’ailleurs lors du som­met Fearless Cities – encore appelé « International muni­ci­pa­list sum­mit » – de Barcelone, en juin 2017, que Jonathan Durand Folco a fait la connais­sance d’Anne-Sophie Olmos, conseillère muni­ci­pale de Grenoble, délé­guée au Contrôle de ges­tion et aux mar­chés publics. « Nous sommes res­tés en contact », relate le doc­teur en phi­lo­so­phie. En effet, quelques mois plus tard, le Québécois a fait un pas­sage remar­qué à Grenoble.

Pour sa part, qu’a-t-il observé, lu et entendu lors de son bref séjour ? Jonathan Folco Durand s’est en effet rendu à la Villeneuve sur l’in­vi­ta­tion de Mélissa Perez « impli­quée dans une foule de réseaux et de pro­jets liés aux com­muns et à la démo­cra­tie muni­ci­pale », décrit-il.

Et là, chan­ge­ment de décor, des habi­tants lui confient avoir eu toutes les peines du monde à dia­lo­guer, tant avec la muni­ci­pa­lité pré­cé­dente qu’a­vec l’ac­tuelle. Y aurait-il loin de la coupe aux lèvres avec le « muni­ci­pa­lisme » à Grenoble ?

Place Gre’net – Quel regard por­tez-vous sur la dyna­mique par­ti­ci­pa­tive à Grenoble, ses points forts, ses faiblesses ?

Jonathan Durand Folco – Éric Piolle et son équipe du Rassemblement citoyen de la gauche et des éco­lo­gistes ont ins­tauré toute une série de mesures très inté­res­santes depuis leur arri­vée au pouvoir.

Cet habitant vote en parfaite connaissance des projets. Il a pris le temps de visionner les petites vidéos des porteurs de projet. © Séverine Cattiaux – Place Gre’net

© Séverine Cattiaux – Place Gre’net

De ce que j’ai entendu, le bud­get par­ti­ci­pa­tif fonc­tion­nait assez bien, tan­dis que les conseils citoyens indé­pen­dants (CCI) ne don­naient pas les résul­tats atten­dus, avec une par­ti­ci­pa­tion plu­tôt faible.

Cela découle à mon avis de leur rôle essen­tiel­le­ment consul­ta­tif, au même titre que les conseils de quar­tier en France, qui repré­sentent des « ins­ti­tu­tions faibles », selon le poli­to­logue Loïc Blondiaux [lui aussi venu à Grenoble à plu­sieurs reprises, ndlr] […]

[Quant au] pro­jet de démo­li­tion de loge­ments sociaux dans le quar­tier la Villeneuve, [il] a quelque chose de fort regret­table, car il me semble « imposé par le haut » sans la moindre consi­dé­ra­tion des besoins des gens sur le terrain.

Mobilisation contre les démolitions à la Villeneuve 28 septembre 2016.© Séverine Cattiaux – Place Gre’net

Mobilisation contre les démo­li­tions à la Villeneuve le 8 mars 2017. © Séverine Cattiaux – Place Gre’net

Mon juge­ment est peut-être un peu dur, mais après avoir dis­cuté avec dif­fé­rents acteurs à Grenoble, j’ai réa­lisé que le pro­blème décou­lait sur­tout du pro­jet de l’Agence natio­nale de réno­va­tion urbaine (Anru) et de paliers supé­rieurs à la muni­ci­pa­lité, comme la Métropole.

Les ques­tions de finan­ce­ment, les com­pro­mis que la Ville a dû faire pour limi­ter les dégâts, et la forte oppo­si­tion du col­lec­tif d’habitants mani­festent en quelque sorte les défis pra­tiques du muni­ci­pa­lisme, qui doit affron­ter une série de contraintes par­fois colossales.

Cela dit, l’initiative de l’Atelier popu­laire d’urbanisme [à la Villeneuve, ndlr], qui consiste à pré­sen­ter un pro­jet de réno­va­tion alter­na­tif co-construit par les habi­tants, me semble l’incarnation type de l’esprit du muni­ci­pa­lisme : redon­ner le pou­voir aux habi­tants sur les déci­sions qui touchent leur milieu de vie.

Jonathan Durand Folco, avec des habitants du quartier Villeneuve, novembre 2017. DR

Jonathan Durand Folco, avec des habi­tants du quar­tier Villeneuve, novembre 2017. DR

Ensuite, com­ment concré­ti­ser ce pro­jet ? La seule option réside dans les alliances entre élus locaux et mou­ve­ments sociaux, visant à créer un rap­port de forces contre la cen­tra­li­sa­tion des déci­sions dans les mains des grandes entre­prises et de l’État. Or, cela n’est pas tou­jours facile à construire car des ten­sions vives peuvent émer­ger entre ces logiques contradictoires.

À Barcelone, il semble y avoir une « ten­sion dyna­mique » entre les ins­ti­tu­tions et la rue, alors qu’à Grenoble j’ai l’impression que cette syner­gie a été sérieu­se­ment affec­tée par ce pro­jet… Maintenant, com­ment réta­blir la confiance et renouer des alliances pour faire avan­cer des mesures qui vont dans le sens du muni­ci­pa­lisme ? Sur ce point, je n’ai aucune idée.

Depuis la loi Lamy, la réno­va­tion des quar­tiers doit être cocons­truite avec les habi­tants et les asso­cia­tions. Dans les faits, la loi Lamy ne demande pas aux élus de co-déci­der avec les habi­tants, mais de réunir, de recueillir leurs idées et d’en tenir compte, ou pas. Est-ce la défi­ni­tion que vous don­ne­riez de la co-construction ?

La co-construc­tion est un terme com­plexe et par­fois gal­vaudé, à l’instar d’autres “buzz­words” comme « déve­lop­pe­ment durable », « gou­ver­nance », « inno­va­tion sociale », et ainsi de suite. Selon le Dictionnaire de la par­ti­ci­pa­tion (Dicopar), la co-construc­tion désigne « l’implication d’une plu­ra­lité d’acteurs dans l’élaboration et la mise en œuvre d’un pro­jet ou d’une action ». Cela ne veut pas dire grand chose, car à peu près toutes les déci­sions et les pro­jets seraient alors co-construits.

Guide pratique de la participation citoyenne. DR

Grenoble a publié en sep­tembre 2017 son guide pra­tique de la par­ti­ci­pa­tion citoyenne. DR

À mon avis, il faut déve­lop­per une échelle de la co-construc­tion, à l’instar de Sherry Arnstein qui a éla­boré en 1969 une échelle de la par­ti­ci­pa­tion citoyenne. Celle-ci fai­sait la dis­tinc­tion entre la mani­pu­la­tion, l’information et la consul­ta­tion d’un côté, et le par­te­na­riat, la délé­ga­tion du pou­voir et le contrôle citoyen de l’autre.

Il va sans dire que le muni­ci­pa­lisme pré­co­nise une par­ti­ci­pa­tion citoyenne forte, qui va du par­te­na­riat (co-concep­tion, co-déci­sion et co-ges­tion) jusqu’à la démo­cra­tie directe.

Ainsi, les élus ne devraient pas tou­jours déci­der en bout de course, ceux-ci devant être res­pon­sables, rede­vables et révo­cables, puis inté­grer au maxi­mum les habi­tants dans les pro­jets… Même s’ils doivent par­fois prendre des déci­sions difficiles.

Est-il envi­sa­geable de vrai­ment co-construire un pro­jet de quar­tier ? Peut-on satis­faire tout le monde au final ?

Il n’est pas pos­sible de satis­faire tout le monde et d’atteindre l’unanimité dans les grandes socié­tés contem­po­raines. Mais il est pos­sible d’améliorer la légi­ti­mité des pro­jets, leur équité et de réduire leurs consé­quences néga­tives en inté­grant une diver­sité de pers­pec­tives dans leur éla­bo­ra­tion et leur mise en œuvre.

Pour ce faire, plu­sieurs stra­té­gies et dis­po­si­tifs peuvent être uti­li­sés, selon les contextes et les enjeux : des assem­blées citoyennes ouvertes à tous, des ate­liers popu­laires d’urbanisme, le tirage au sort pour créer des comi­tés déli­bé­ra­tifs, l’usage de tech­no­lo­gies numé­riques pour favo­ri­ser la par­ti­ci­pa­tion en ligne, etc.

UNE Jonathan Durand Folco, auteur de l'essai "A nous la ville", prix des libraires 2018 au Salon de Montréal DR

Jonathan Durand Folco, auteur de l’es­sai « A nous la ville », prix des libraires 2018 au Salon de Montréal DR

Le pro­blème, c’est qu’il y a sou­vent un déca­lage entre les pro­jets citoyens de co-construc­tion et les ins­ti­tu­tions publiques, car nous res­tons pri­son­niers de la struc­ture hié­rar­chique du gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif, basé sur le mono­pole du pou­voir déci­sion­nel par les élus.

Ce que pro­pose de le muni­ci­pa­lisme, c’est d’instituer dif­fé­rentes formes de contrôle citoyen – dans les quar­tiers, au conseil muni­ci­pal, dans les dépar­te­ments de la fonc­tion publique et les ser­vices publics locaux – pour éven­tuel­le­ment démo­cra­ti­ser la société à plus grande échelle.

Cela peut sem­bler uto­pique, mais les uto­pies sont déjà réa­li­sées dans plu­sieurs villes à tra­vers le monde. Ce qui manque, comme sou­ligne le phi­lo­sophe John Holloway, c’est de pen­ser la fédé­ra­tion des ini­tia­tives, c’est-à-dire « ces réso­nances et leur mise en réseau comme une grande vague de rage qui ava­le­rait à la fois le capi­tal et les vieilles ins­ti­tu­tions de média­tion qui l’ont pro­tégé pen­dant si long­temps ».

Propos recueillis par Séverine Cattiaux

Séverine Cattiaux

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