Trois questions à Amélie Artis, enseignante à Sciences Po Grenoble, qui accueille un séminaire pour clore le Mois de l'Économie sociale et solidaire (ESS).

ESS en Isère : l’emploi croît dans les coopé­ra­tives et mutuelles, mais pas dans le sec­teur associatif

ESS en Isère : l’emploi croît dans les coopé­ra­tives et mutuelles, mais pas dans le sec­teur associatif

TROIS QUESTIONS À – Sciences Po Grenoble orga­nise, en par­te­na­riat avec Grenoble-Alpes Métropole, un sémi­naire sur la coopé­ra­tion entre les struc­tures de l’ESS et les autres acteurs du ter­ri­toire, ce jeudi 30 novembre, pour clore le Mois de l’Économie sociale et soli­daire (ESS). L’occasion de faire le point sur ce sec­teur par­ti­cu­liè­re­ment dyna­mique avec Amélie Artis, maître de confé­rence et res­pon­sable du par­cours Développement et exper­tise de l’é­co­no­mie sociale à Sciences Po.

Place Gre’net – Pouvez-vous rap­pe­ler quelles struc­tures font par­tie du sec­teur de l’Économie sociale et soli­daire ? Sont-elles pour la plu­part de culture alternative ?

Amélie Artis, maître de conférence, responsable du Parcours Développement et Expertise de l’Économie Sociale, Sciences-Po Grenoble. DR

Amélie Artis, res­pon­sable du Parcours déve­lop­pe­ment et exper­tise de l’économie sociale à Sciences-Po Grenoble. DR

Amélie Artis – L’ESS désigne des struc­tures qui ont une forme d’or­ga­ni­sa­tion par­ti­cu­lière se carac­té­ri­sant par deux traits spé­ci­fiques : la gou­ver­nance démo­cra­tique et la lucra­ti­vité limi­tée. Il n’y a pas d’ap­pro­pria­tion indi­vi­duelle de la richesse : ce qui est créé col­lec­ti­ve­ment reste dans l’or­ga­ni­sa­tion col­lec­ti­ve­ment. Ces règles de fonc­tion­ne­ment se tra­duisent en France par trois sta­tuts qui sont les asso­cia­tions de loi 1901, les coopé­ra­tives et les mutuelles.

Par exemple, la Clinique mutua­liste est une struc­ture his­to­rique sur Grenoble. Vous avez les mutuelles de santé donc, mais aussi d’as­su­rances. Pour ce qui est des coopé­ra­tives, on peut citer Alma, une Scop dans l’informatique.

Et dans les nou­velles struc­tures dont on parle beau­coup en ce moment, il y a le maga­sin coopé­ra­tif l’Éléfàn ou Cité Lib [marque pro­priété de la société Alpes auto­par­tage, société coopé­ra­tive d’intérêt col­lec­tif, ndlr]. Dans les struc­tures un peu “polé­miques”, vous avez les banques coopé­ra­tives comme le Crédit mutuel ou le Crédit agri­cole.

ESS : L'Éléfàn en travaux, une nouvelle coopérative en plein essor. © Florent Mathieu - Place Gre'net

L’Éléfàn, coopé­ra­tive en plein essor © Florent Mathieu – Place Gre’net

Ce ne sont tou­te­fois pas des struc­tures si éloi­gnées que cela de l’es­prit coopé­ra­tif : elles s’en rap­prochent dans le fait qu’au moment des assem­blées géné­rales, c’est “un homme, une voix”. Et qu’il n’y a pas de lucra­ti­vité : quand vous êtes au Crédit agri­cole, vous n’en­grais­sez pas des actionnaires…

Ensuite, il faut com­prendre que c’est à leur émer­gence que ces orga­ni­sa­tions étaient alter­na­tives. Le Crédit agri­cole au XIXe siècle était com­plè­te­ment rejeté par la classe domi­nante. Les banques coopé­ra­tives ont en effet été créées à l’o­ri­gine contre l’ex­clu­sion ban­caire et pour l’ac­ces­si­bi­lité au cré­dit de la classe popu­laire. Au moment de leur créa­tion, il n’exis­tait que la Banque de France ou des banques d’affaires.

L’Éléfàn, par exemple, est pour le moment le petit Poucet qui veut com­plè­te­ment trans­for­mer les règles de la grande dis­tri­bu­tion pour essayer de chan­ger les rap­ports de consom­ma­tion et d’or­ga­ni­sa­tion qu’il y a autour. Donc, aujourd’­hui, c’est une struc­ture super alter­na­tive. Mais si elle gros­sit et se déve­loppe, peut-être qu’elle va perdre ce côté alter­na­tif, parce que d’autres auront fait comme elle !

Place Gre’net – L’ESS est, semble-t-il, le sec­teur le plus créa­teur d’emplois dans la Métropole de Grenoble, avec un bond de 17 % entre 2010 et 2015. D’où pro­vient ce dyna­misme de l’ESS en période de crise ? Concurrence-t-elle les sec­teurs plus traditionnels ?

Oui, quand on prend les chiffres au niveau de la Métropole de 2009 à 2014, on a vrai­ment une pro­gres­sion signi­fi­ca­tive des emplois de l’é­co­no­mie sociale, par rap­port à l’emploi privé et public qui dis­pa­raît ou tombe à zéro. C’est une part rela­tive. Cela repré­sente une crois­sance de 200 ou 300 emplois, mais c’est une dyna­mique très signi­fi­ca­tive. Il s’a­git d’une crois­sance de l’emploi dans les coopé­ra­tives et les mutuelles. Il y a en revanche une stag­na­tion de l’emploi dans le sec­teur associatif.

Institut Daniel Hollard à Grenoble. © Groupe hospitalier mutualiste de Grenoble

ESS : Institut Daniel Hollard. © Groupe hos­pi­ta­lier mutua­liste de Grenoble

Le dyna­misme s’ex­plique par deux élé­ments : il y a his­to­ri­que­ment beau­coup de mutuelles sur le ter­ri­toire gre­no­blois et celles-ci conti­nuent leur déve­lop­pe­ment et emploient donc de plus en plus de per­sonnes. Pour les coopé­ra­tives, il y a aussi de plus en plus d’ac­tions publiques, et même de mobi­li­sa­tion autour du modèle coopératif.

De plus, ces struc­tures ont une forme de rési­lience par rap­port à la crise. En période de crise, les coopé­ra­tives et les mutuelles sont en capa­cité de mobi­li­ser la richesse col­lec­ti­ve­ment créée les années pré­cé­dentes, puis­qu’elle n’est pas dis­tri­buée à des action­naires et consti­tue un capi­tal col­lec­tif indivisible.

Et puis, l’une de ses spé­ci­fi­ci­tés de l’é­co­no­mie sociale, c’est d’être beau­coup dans des acti­vi­tés de ser­vice et de proxi­mité. Or on a tou­jours besoin de ser­vices à côté de chez soi : il y a donc beau­coup plus de pro­tec­tion par rap­port à des crises dues à des chocs externes.

Quant à la concur­rence, s’il peut y en avoir dans cer­taines situa­tions, on est plu­tôt dans des approches de com­plé­men­ta­rité, dans un espace de diver­sité et de plu­ra­lisme. Il n’y a pas d’i­dée de pré­da­tion : on a une diver­sité de struc­tures au sein de l’é­co­sys­tème, avec presque une seg­men­ta­tion en fonc­tion des besoins. Il y a des choses que les struc­tures de l’é­co­no­mie sociale peuvent faire que d’autres acteurs de l’é­co­no­mie ne pour­ront pas faire.

Place Gre’net – Quelles formes peut prendre cette coopé­ra­tion entre les struc­tures de l’ESS et les autres acteurs du ter­ri­toire ? Et que pen­ser du désen­ga­ge­ment de cer­taines col­lec­ti­vi­tés locales vis-à-vis des asso­cia­tions, comme le Département qui inter­na­lise ses missions ?

Les formes que peut prendre cette coopé­ra­tion, c’est d’une part de pou­voir pro­po­ser de nou­velles acti­vi­tés entre les struc­tures de l’é­co­no­mie sociale et les struc­tures lucra­tives, de prendre en compte cette com­plé­men­ta­rité en fai­sant ensemble sur des appels à projets.

Il y a aussi, d’autre part, des exemples comme les Pôles ter­ri­to­riaux de coopé­ra­tion éco­no­mique. Ce sont des formes de clus­ters, des pôles de com­pé­ti­ti­vité, qui regroupent des struc­tures de l’é­co­no­mie sociale et soli­daire, des entre­prises clas­siques, des col­lec­ti­vi­tés ter­ri­to­riales et des ins­ti­tuts de recherche. On a ces dyna­miques-là qui se mettent en place !

Le président du Département Jean-Pierre Barbier a confirmé sa volonté d'internaliser certaines compétences, autrefois confiées aux associations © Florent Mathieu- Place Gre'net

Le pré­sident du Département Jean-Pierre Barbier a confirmé sa volonté d’in­ter­na­li­ser cer­taines com­pé­tences, autre­fois confiées aux asso­cia­tions © Florent Mathieu- Place Gre’net

Pour le sec­teur asso­cia­tif, il est vrai qu’il y a aujourd’­hui des chan­ge­ments de poli­tique. De la part du Département, mais aussi la Région qui n’est plus du tout motrice dans l’ac­tion publique en faveur de l’é­co­no­mie sociale, alors qu’elle était un fort soutien.

Dans tous les cas, un même ser­vice pro­posé par une asso­cia­tion ou un acteur public n’aura pas du tout la même dimension.

Je ne sais pas ce qu’il “faut” faire, mais c’est un choix de poli­tique comme de société, en matière d’en­jeu de démo­cra­tie et de par­ti­ci­pa­tion des indi­vi­dus : soit faire les choses dans le monde asso­cia­tif, qui va inci­ter à la par­ti­ci­pa­tion des indi­vi­dus, soit dans une logique de ser­vice public, qui est une logique des­cen­dante dans laquelle on a juste un col­lec­tif d’u­sa­gers. Et encore…

Propos recueillis par Florent Mathieu

Florent Mathieu

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