FOCUS – Depuis cet été, des habitants des Côtes de Sassenage s’inquiètent suite à l’annonce par le groupe cimentier Vicat de son intention d’étendre le périmètre d’exploitation de sa carrière, située à proximité des habitations. Un projet qui, pour voir le jour, nécessite une mise en compatibilité du Plan local d’urbanisme de la commune. Les Sassenageois sont actuellement appelés à se prononcer sur ce dossier par le biais d’une enquête publique qui se poursuit jusqu’au 29 novembre prochain.
Poussières, tirs de mines, nuisances sonores, fissures dans les maisons, voire glissements de terrain… Autant de désagréments que redoutent, depuis quelques mois, des habitants de Sassenage. En cause ? Le plan d’aménagement et d’extension de la carrière des Côtes que la société Vicat a présenté en juin dernier, lors d’une réunion publique animée par le maire de la commune, Christian Coigné.
Implanté depuis des décennies aux Côtes de Sassenage, le groupe Vicat ambitionne en effet de réorganiser l’ensemble de ses lots, tout en y intégrant une parcelle de 2,4 hectares, située sur le terrain de Combe Chaude. À savoir, un ancien champ de tir appartenant à la municipalité, laissé à l’abandon suite à la récente expulsion du Ball Trap Club (voir encadré).
Outre l’acquisition de ce lot, Vicat prévoit, dans ce plan de modification du périmètre de la carrière, la réexploitation de zones antérieurement rétrocédées et la sécurisation de quelques secteurs sensibles, dont celui de l’éperon de la Dent du Loup, ainsi que la restitution de certains terrains à la nature.
L’objectif : « pérenniser » la carrière Vicat à Sassenage pour les trente ans à venir
Cette réorganisation se traduirait au final par « une réduction de 5 % sur les 54 hectares représentant la surface d’exploitation actuelle », a indiqué Jean Raymond Vernet, directeur des carrières cimentières de France au sein du groupe Vicat, lors de la rencontre avec des habitants de Sassenage.
Une assertion contestée par l’association des Côtes de Sassenage. « Si l’on prend en compte l’extension du ball trap ainsi que celle des parcelles anciennement exploitées qui le seraient à nouveau, la zone d’exploitation sera en réalité plus importante », souligne ainsi un fondateur de l’association qui s’est déjà battue contre une précédente extension de la carrière. « Sans compter que Vicat n’a jamais rendu une grosse parcelle qui aurait dû l’être il y a de nombreuses années »
Autre sujet de débat : Vicat compte prolonger l’exploitation de la carrière pour les trente prochaines années. Et va déposer début 2018 en préfecture un dossier demandant le renouvellement de cette autorisation. Une demande qui étonne l’association des Côtes, dans la mesure où le tonnage autorisé sur les trente dernières années n’a pas été atteint. « Pourquoi cette volonté d’agrandir la zone d’exploitation alors que les tonnages accordés, de 800 000 tonnes/an sur la zone actuelle, sont loin d’avoir été exploités, sachant qu’ils en exploitent 400 000/an ? », interroge cet habitant des Côtes.
« La durée d’instruction d’un tel dossier par les services préfectoraux est d’environ douze mois », répond Vicat. Et cette durée pourrait être prolongée sur décision du préfet. « Il n’y a donc pas d’anticipation car l’instruction d’un dossier déposé en 2018 peut se prolonger pour aboutir à une décision du préfet en 2019 ou 2020 », précise le groupe cimentier.
L’objectif affiché de cette extension ? Tout simplement « pérenniser un gisement de calcaire qui permet à la cimenterie de Saint-Égrève de disposer de matières premières de qualité et à l’état naturel », justifie Jean Raymond Vernet.
Christian Coigné « obligé d’accélérer la procédure »
Interrogé sur la future utilisation du lot de Combe Chaude, le groupe cimentier nous indique par courriel que « cette parcelle permet[tra] de faciliter l’exploitation [de la carrière, ndlr] par le développement du linéaire de pistes afin d’atteindre les couches sous-jacentes ». Un projet qui se base sur une « évaluation environnementale » menée par l’entreprise en vue du changement du PLU.
Pour cela, la société doit toutefois demander une mise en compatibilité avec le plan local d’urbanisme (PLU). Or, avec le passage aux PLU intercommunaux, ce domaine va bientôt relever de la compétence de la Métropole.
Raison pour laquelle Christian Coigné, premier élu de Sassenage, a déclaré en juin avoir été « obligé d’accélérer la procédure » nécessaire au traitement de la demande du groupe cimentier. Ce qui signifie aux yeux de l’association que la mairie est prête à donner les extensions demandées…
Quels impacts sur l’environnement ?
Certains administrés ne semblent pas partager cet empressement, alors même que s’ouvre l’enquête publique. « Dans cette période critique, on aimerait surtout savoir quelles seront les conséquences sur l’environnement si Vicat récupère le lot du Ball Trap », affirme Farid Benzakour, président de l’association des Côtes de Sassenage.
« Si on avait la garantie que l’impact était neutre, on accepterait le changement du PLU. […] En revanche, si jamais on comprend que l’intégration de cette parcelle supplémentaire entraîne une augmentation des nuisances, nous sommes prêts à nous mobiliser de manière forte pour dénoncer le problème auprès du commissaire enquêteur. »
Autant de doutes que seul Vicat est en mesure de lever. C’est pourquoi les habitants des Côtes ont entamé, aux côtés de l’association Environnement et nature Sassenage, un dialogue avec le groupe cimentier depuis quelques mois. Objectif ? Empêcher que d’anciens problèmes ne remontent à la surface.
Des craintes que l’histoire se répète
L’association des Côtes de Sassenage est en effet née pour s’opposer à l’extension de la carrière dans les années 80. Un projet soutenu par l’équipe municipale du maire RPR de l’époque, Dominique Valeille. L’association s’était alors battue contre les nombreuses nuisances liées à l’exploitation des carrières.
« D’après les témoignages de l’époque, ceux qui vivaient dans les lotissements confinant avec la carrière ne pouvaient pas passer la journée dans leur jardin parce qu’il y avait trop de poussière et beaucoup de bruit. Certaines personnes sont même tombées malades à cause de la poussière », relate Farid Benzakour.
Avait alors suivi une long bras de fer avec la société Vicat. Une fois l’affaire portée devant le tribunal administratif de Grenoble et des démonstrations de force à coup de pétitions, d’actions diverses et d’une manifestation dans les rues de Sassenage, la tension était finalement redescendue.
Vicat s’était alors engagé à faire des investissements pour réduire les nuisances : utilisation de machines permettant de vaporiser la poussière, construction d’un téléphérique reliant le gisement à l’usine de Saint-Égrève afin d’alléger le trafic routier, ou encore création de barrières naturelles de végétation visant à protéger les lotissements.
« Aujourd’hui, on subit encore des problèmes de bruits, avec des “bangs” qui commencent très tôt le matin [semble-t-il au moment du démarrage du téléphérique, ndlr] », relate Farid Benzakour. Or le cimentier doit normalement respecter un niveau sonore qui ne dépasse pas 3db supplémentaires par rapport au bruit ambiant la nuit…
« Ceux qui sont plus proches de la carrière n’ouvrent plus les fenêtres pendant l’été parce qu’ils pourraient être réveillés », ajoute le président de l’association. Autre sujet de préoccupations : les vibrations causées par les tirs hebdomadaires de mines qui, selon les habitants, endommageraient de plus en plus certaines propriétés.
« Une étude d’impact est en cours de rédaction », assure Vicat
Mais le sujet d’inquiétude le plus prégnant concerne le risque d’éboulement des contreforts du Sornin sur les lotissements récents des Côtes. Les tirs hebdomadaires antérieurs ont en effet déjà déstabilisé la montagne. Notamment l’éperon de la Dent du Loup qui a fait l’objet d’une première étude. Des déplacements auraient déjà été constatés…
Quid donc des risques de déstabilisation de la montagne et d’éboulement ? Sur ce point, le groupe Vicat se veut rassurant. Une première analyse géotechnique aurait été lancée pour évaluer l’importance de ces alarmants mouvements de rochers. De plus, « une étude d’impact est en cours de rédaction et sera intégrée au dossier futur de renouvellement de l’extension de la carrière qui sera instruit en 2018 », précise Vicat.
« Suite à l’extension de la carrière sur le champ du Ball Trap, vont-ils augmenter également le nombre et la puissance des tirs de mines ? », se demande, par ailleurs, Farid Benzakour. Une question qui, pour l’heure, reste en suspens.
« L’intérêt général veut que la carrière soit exploitée »
Loin de s’opposer à la cession de la parcelle, le maire de Sassenage a quant à lui souligné, lors de la réunion publique, l’aspect financier lié à la demande de Vicat : « Il faut prendre en compte les contraintes d’économie, le maintien des emplois… L’intérêt général veut donc que la carrière soit exploitée, tout en essayant de réduire les nuisances pour l’entourage et pour les Sassenageois ».
La concession des terrains exploités par la société rapporte en effet près de 64 000 euros par an à la commune. Rapporté à ce chiffre, le montant du loyer du lot de Combe Chaude – estimé à environ 1 200 euros par an – représenterait toutefois des recettes quelque peu négligeables…
Quoi qu’il en soit, la décision finale reviendra au commissaire enquêteur qui, à l’issue de l’enquête publique le 29 novembre, donnera son avis.
Giovanna Crippa, correspondante à Sassenage
A qui profite le terrain de Ball Trap ?
Selon le projet de Vicat, la principale extension de la carrière se situerait sur le lot de Combe Chaude qui, actuellement déserté, était occupé jusqu’en juillet dernier par le Ball Trap Club. Suite à une querelle avec la mairie de Sassenage et au jugement qui a suivi, le club de tir a fini par être expulsé de ce terrain.
Les raisons invoquées ? Outre un manque de respect des normes de sécurités, « les nuisances sonores qui étaient apportées par le Club de tir aux habitants des Côtes tous les samedis », a justifié le maire de la commune Christian Coigné, lors de la réunion publique de juin dernier. Un argument qui, s’il a servi à stopper l’activité de l’association, ne semblerait en revanche pas valable pour Vicat.
Même si, dans l’hypothèse où la société obtiendrait la concession de la parcelle, les tirs s’étaleraient sur plusieurs jours de la semaine et les bruits ne pourraient qu’augmenter…
Un investissement inutile
De plus, quelques mois avant l’éviction du club, la municipalité avait consacré quelque 260 000 euros pour des travaux visant à amener l’eau sur le terrain du Ball Trap. « On a l’impression que cet investissement n’a servi à rien », résume Farid Benzakour, en précisant que le site était déjà équipé d’une citerne.
Pollué à cause du plomb des projectiles et confinant avec la carrière, ce site nécessiterait d’être revalorisé. Concernant la future exploitation du lot, plusieurs idées ont été proposées, dont celle de le transformer en zone de loisirs. Un projet qui, « pour de raisons de sécurité », ne peut pourtant être mis en place.
« Il faut trouver une autre manière d’utiliser le champ du Ball Trap, soit avec l’exploitation de Vicat soit avec d’autres solutions qui devront être étudiées » a souligné Christian Coigné. Qui conclut : « De toute façon, le terrain reste communal ».